Si le poème a une source, où est-elle ? Il puise en
nous une force qui le met en branle et l'entraîne vers
un horizon dont il ignore tout, mais aussitôt nous
avons la sensation qu'à l'horizon s'émeut une autre
force qui l'attire, l'oriente. Ces deux forces, ces deux
souffles lui prescrivent la tâche de les faire se
rejoindre. S'il ne faiblit pas, la rencontre a lieu : le
poème qui ne savait pas qu'il était un poème s'incarne
en incarnant la poésie. Il se garde d'en prononcer le
nom. À son tour, il deviendra une source.
in
Et même le versant nord, Pierre Dhainaut, Éditions Arfuyen, 2018, p.63
Quoi de plus pur que l'élan d'une source ! Pierre Dhainaut, dans ce tout dernier recueil, s'interroge sur les sources d'inspiration du poète :
De la vasque où flottaient quelques morceaux d'écorce
ornés de voiles de papier ou d'oriflammes,
l'eau s'écoulait, et les jeunes marins,
tout un jour de vacances, s'ébrouaient, intrépides.
Nous retrouvions la nuit, nous l'affrontions,
la veilleuse allumée, une phalène se cognait
aux parois de verre, disant, redisant: aucune issue,
aucune issue, mais en profondeur le silence,
c'était le bruissement du lierre, le tumulte
du torrent, c'était dans la pièce voisine
la respiration de nos fils. Discrète, incessante,
parturiente, l'eau jaillit des fontaines.
in
Et même le versant nord, Éditions Arfuyen, 2018, p.7
Telle une
parturiente, la poésie nous met au monde, elle affine nos sensations, élargit notre horizon et nous ouvre à l'inattendu d'une nouvelle lecture.
Le
versant nord d'une vie
n'est pas le plus attirant. Il faut du courage pour l'affronter de face.
Ici, Pierre Dhainaut fait montre d'une belle détermination. Comment ne pas l'accompagner, ne serait-ce qu'un moment, sur ce versant abrupt ? À l'image de Giacometti, il se remet à l'ouvrage :
Inutile, exténuée, la main de Giacometti,
lui qui, depuis l'enfance, dessinait ou sculptait
s'en est-il cru le maître ? Ici, les draps,
les murs, là-bas, la blancheur l'obsède, la blancheur
du plâtre ou du papier. Et lui qui parlait tant
devant ses amis pour se plaindre
que le travail n'avançait pas, jamais
il ne finirait, confiait-il, a-t-il fini
puisqu'il s'est tu ? Sans un geste, sans un mot,
il s'obstinera cependant. Que sait -il de l'espace
entre les objets de la chambre, une chaise,
un flacon ? Le vide même lui rappelle
ce qu'il a désiré faire apparaître, toute sa vie.
Aussi véhément, le tourment de l'œuvre :
des yeux, au fond de l'air, il fera frémir un visage
jusqu'au dernier regard.
ibid
Et même le versant nord, À tout âge la parole, p.30
Chez tout créateur, nombre de désirs restent inassouvis car
la nuit ne révèle un secret que pour l'accroître !
La poésie offre à son lecteur une infinité de voix, elle interpelle, émeut, séduit, déroute ou apaise, pour peu que l'on prête l'oreille à ses présages :
Il n'y a pas de poèmes à proprement parler, il n'y a que
des avant-poèmes en permanence réécrits, revécus.
Ils dégagent une perspective où la poésie est chez elle,
la poésie rebelle à toute capture, à toute figuration
irréfutable. Sous l'influence des poèmes nous ferons
nous aussi acte de présence en faisant de nos vies des
préludes, la poésie n'en dit pas davantage. Son silence,
un bon signe.
(extrait)
in
Et même le versant nord, Prélèvements à la source, p.p.64/65
Devant le temps et l'énergie, qui risquent de manquer, le poète réitère ses promesses et son engagement et nous l'en remercions très vivement.
Renouvellement des présages
Très tard, la chambre étroite, le corps captif,
ne te lamente pas d'être las, de te taire,
de ne pouvoir aller plus loin, tu comprendras
que rien ne s'interrompt tant que les souffles
ont le libre passage : avant de t'endormir,
choisis un de ces mots errants
dont la mémoire est saturée, murmure-le
comme en t'adressant à des morts,
que la nuit soit ingrate ou généreuse,
as-tu le choix ? ce sera ton offrande.
ibid p.33
Pour en savoir davantage sur le poète, je vous suggère vivement de lire ou relire un précédent article, rédigé le 18/10/2012 sur La Pierre et le sel :
Pierre Dhainaut, en la complicité des souffles, dont vous trouverez le lien ci-dessous :
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/10/pierre-dhainaut-en-la-complicit%C3%A9-des-souffles-.html
Bibliographie:
- Et même le versant nord, Pierre Dhainaut, Arfuyen, 2018.
sur internet: