Attente du prince
J'attends le prince aux limites du monde
Car l'invisible a dérobé mon nom.
Auréolé, le front ceint d'une étoile,
Il me dira les ères d'où je viens.
Nous partirons, nous serons les orfèvres
de la nature en nos pas ciselée.
J'inventerai des chants pour quatre lèvres
Et tout le jour nous y vivrons noyés.
Accompagnés des animaux lucides,
De la licorne et du cheval volant,
En tête iront ma tristesse et mon prince,
Moi je suivrai, les mains pleines d'oiseaux.
Il me dira, plus fluide qu'une rime,
mon nom futur, celui d'astre accompli.
J'entrouvrirai mes mains pour qu'il y dorme,
O belle barque où Dieu naviguera.
*
Je le pourchasse au-delà du miroir,
Je suis la nuit, son espoir insensé.
Suis-je le fruit de l'arbre qui voyage
Ou bien la fleur des végétaux futurs ?
Je me situe à la gauche du prince,
Ma place est là dans l'ombre de son cœur.
Comme un bouffon, je me noue et j'espère
Un seul sourire à la pointe du jour.
Ou je deviens un dais qui le protège
Quand les pumas déchirent le soleil.
Je me divise en mille et mille obstacles
Pour l'ennemi qui rôde sur son front.
Ma main dessine un palais pour qu'il vive
Dans une fable où l'impossible est mort.
Et s'il voyage, alors je suis sa voile
Et son escale et son tapis volant.
*
Mes floraisons sont ses métamorphoses,
Ma vigilance a le goût d'une fleur.
Il m'a fallu pour inventer la rose
Vivre mille ans d'un silence total.
Pour mériter le Parfum, je dus prendre
Tous les flocons des neiges de l'Asie.
J'ai divisé mon unique poème
En cent jardins de pétales et d'ors.
J'épuise en vain les cascades, les sources
Pour la fraîcheur d'un instant de ses jours.
Je lui dédie un faon bleu qui s'apprête
A traverser la montagne et mon corps.
Je l'invoquais dans de froides cavernes
Et je l'espère en ce monde nouveau.
Je suis l'errant qui va de siècle en siècle
Vers l'âge d'homme en attendant le prince,
Chantant, chantant tous ses exploits durables
Sans le secours des autres galaxies.
in Les châteaux de millions d'années, Robert Sabatier, par Alain Bosquet,
Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 1978, p.p.p.106/107/108
Cette longue ode, je la dédie, en ces temps de fête, à tous les poètes et fidèles lecteurs du Temps bleu.
Et j'y joins, pour conclure, un poème du même auteur, qui célèbre allègrement les roses de la vie :
Rose rose
La rose morte avait pris pour mission
De refleurir. L'ai-je trempée dans l'encre
Où dans le sang ? La voici rose rouge
Comme ce point posé sur l'avenir
Et qui regarde un serpent sans alcool.
Mon territoire est semé de ces roses.
Chaque moment vécu, dans cent mille autres
Veut refleurir. Qu'importe ! Étant nuage,
Je peux pleuvoir. Étant l'aigle, je monte.
Étant serpent, je rampe. Étant poisson,
Je nage au fond, tout au fond de moi-même
Et je regarde un peu de moi couler.
Encre est mon sang si j'écris cent fois rose
en respirant mon poème futur,
Je suis grisé. Espace, emporte-moi
Car je ne suis qu'un vieil horticulteur.
Et je murmure en parcourant ma vie
Et mes jardins le nom d'une autre rose
Que je tairai, car ma fleur est discrète
Et je ne suis qu'un troisième pétale.
ibid Les poisons délectables, éditions Albin Michel 1965, p.98
Bibliographie:
- Robert Sabatier, par Alain Bosquet, Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 1978.