Moi l'envolée
J'ai perdu dans les airs la trace des oiseaux
Moi l'écoulée
En dormant j'ai perdu la voix des passeurs d'eau
Je suis le chant qui s'en va tout seul
Entre terre et ciel
in Anne Perrier, Œuvre poétique 1952-1994, Le livre d'Ophélie, L'Escampette 1996, p.137
J'ai découvert Anne Perrier ( 1922-2017) par Poézibao, en 2006, et j'ai appris sa mort en janvier 2017, par la même voie. J'en profite pour remercier Florence Trocmé de son travail de pionnière sur le net, qui nous a permis de découvrir tant de voix nouvelles et de poètes de qualité.
J'ai rédigé un premier article à propos d'Anne Perrier, intitulé Dans la royauté fragile du vivre, paru en décembre 2012, sur La Pierre et le sel. Je vous y renvoie, vous en trouverez le lien plus bas.
J'ai acheté tous ses livres disponibles et lui ai écrit également, à deux reprises aux bons soins de ses éditeurs, pour lui dire ma profonde émotion à la lire, courriers restés hélas! sans réponse et qu'elle n'a peut-être jamais reçus.
Aujourd'hui, j'ai plaisir à rendre un dernier hommage à la profondeur et à la simplicité de sa poésie, avec ce court florilège :
Nous avions cru chanter
Sur la plus haute branche
Et nous n'étions qu'à peine
Au-dessus des grenouilles
in La voie nomade Mini Zoé, 2000, p.47
Anne Perrier était une grande admiratrice d'Émily Dickinson, poétesse recluse de la fin du 19ème, très peu connue à l'époque en France et qui pratiquait l'humour dans la sobriété et qu'elle cite en exergue de son recueil, La voie nomade :
"Et pour occupation, ceci: /Ouvrir bien grandes mes étroites mains/ Pour ramasser le Paradis."
Ramasser le paradis, Anne Perrier s'y est appliqué toute sa vie, transformant les choses les plus ordinaires en émerveillement, comme ici le désert, où elle a voyagé :
Me fascinent
Les routes nulles du désert
Et la longue patience des chameaux
in La voie nomade 1982- 1986, L'Escampette, 1996, p.167
Ce là-bas
Ce chant cette aube
Cet envol de ramiers
Cet horizon comme un jardin
Qui repose dans la lumière
Et les aromates
ibid, p.167
Ou bien en décrivant simplement des arbres, auxquels elle prête une âme :
LE TREMBLE
L'aède au pied léger
Le très humble
Le traversé de vent
Et toujours vulnérable
Frère que d'imprécises peurs
Convulsent
ibid p.186
LE SAULE
Le bienheureux
Déjà sa chevelure effleure
La surface de l'invisible
Bientôt peut-être tout à l'heure
L'eau profonde l'emportera
Vers les oiseaux de mer
ibid p.187
LE PIN
La colline ruisselle de ses parfums
Et l'on entend le vent glisser
Sur sa tête soyeuse
Pourtant il tremble
Dans l'air ardent de mourir
Immolé par le feu
ibid p.190
LE FIGUIER
Ces mains ouvertes
Fraîches comme le cours des rivières
Et qui appellent
Une impossible pluie d'été
Sur nos cœurs secs
ibid p.190
Ailleurs, comme dans Le joueur de flûte, elle dénonce avec véhémence dans le grand blanc de la page tout ce qui cloche dans le monde :
Chaque matin le monde
S'éveille si usé
Si frais
Les enfants meurent par milliers
Et nous marchons et nous dormons
Sur le velours du jour
Pourquoi d'un jardin si beau
Sommes-nous incapables
De répartir les fruits
Ici les mains trop pleines
Là-bas les mains trop vides
Entre les deux l'amour la mort se battent
Tant de silence sur ma page
Blanches brassées de fleurs
Sur toute la douleur du monde
Inutile de me distraire
Avec vos danses vos castagnettes
Le vent ne me rapporte que bruits d'ossements
ibid Le joueur de flûte, p.p.218/219
Là où repose désormais Anne Perrier, elle voit sans doute le monde sous un autre angle, mais par la grâce de la poésie elle touche encore ses lecteurs comme par les fentes de l'éternité.
NOTRE SOEUR LA MORT
Le jour se fend
Comme un noyau de pêche
Amande amère amande
Un oiseau passe
L'air tremble un peu plus fort
Ce n'est rien
Que le rire en pente
Des morts
ibid Le temps est mort 1961-1967, p.64
mais elle peut encore affirmer, sereine :
Je suis mille
Je serai une
Tranquille absolue
Équation résolue
Charade trouvée
Toujours verte pensée
De Dieu
ibid p.69
bibliographie:
- Anne Perrier, Œuvre poétique 1952-1994, L'Escampette, 1996
- Anne Perrier La Voie nomade Mini ZOE, 2000
sur internet:
- http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2011/12/anne-perrier-dans-la-royaut%C3%A9-fragile-de-vivre.html
- https://www.letemps.ch/culture/2017/01/22/poete-vaudoise-anne-perrier-rejoint-leternel-silence