Pablo Neruda, 1904-1973, de son vrai nom Ricardo Eliécer Neftali Reyes Basoalto, est un poète chilien, qui s'est fait le chantre de l'amour et du quotidien en son pays, dédiant sa poésie à des gens simples et souvent démunis, tout au long d'une vie engagée à défendre le droit de tous à la dignité, à la liberté et à la vie.
Militant de gauche, ami de Salvador Allende, diplomate, Prix Nobel de littérature en 1971, il meurt brutalement au lendemain de l'arrivée au pouvoir du Général Pinochet, en septembre1973, dans sa maison de Santiago. Une mort restée suspecte.
Le 26 avril dernier, son pays lui rendait un dernier hommage. Ses restes, exhumés en 2013 pour tenter de déterminer les causes précises de la mort, ont été remis en terre, sans résultat probant.
Le poète à la casquette
Santiago du Chili, fresque murale dans une rue proche de sa maison, 2012
Dans ce long poème, le poète revoit le jeune poète qu'il fut, s'évalue et se renouvelle les conseils essentiels.
Même en ces hautes
années
en pleine
cordillère de ma vie
après avoir
gravi
la neige verticale
et être entré
sur le plateau diaphane
de la lumière décisive
je te vois
près de la mer coquillière
recueillant des vestiges
du sable
perdant ton temps avec
les oiseaux
qui traversent
la solitude marine
je te regarde
et je n'y crois pas
c'est moi-même
si crétin, si lointain
si désert
Jeune homme
tout juste
arrivé
de province,
poète
au sourcils effilés
aux souliers
fatigués
tu es
moi
moi de nouveau
vivant,
arrivé de la pluie,
ton silence et tes bras
sont les miens
tes vers ont
le grain
répété
de l'avoine,
la féconde fraîcheur
de l'eau où naviguent
feuilles et oiseaux de la forêt,
tout jeune encore, et maintenant
écoute
conserve
étire ton silence
jusqu'à ce qu'en toi
mûrissent
les paroles,
regarde et touche
les choses,
les mains
savent, elles ont
une sagesse aveugle
mon garçon,
il faut être dans la vie
bon conducteur de train,
honnête conducteur,
ne va pas te mettre
à te vanter de ta plume,
d'être un argonaute,
un cygne,
un trapéziste entre les hautes phrases
et la rondeur du vide,
ton devoir
est de charbon et de feu,
tu dois
te salir les mains
d'huile brûlée,
de fumée
de chaudière,
te laver,
te mettre un costume neuf
et alors
apte au ciel tu peux
te préoccuper de l'iris
user du laurier et de la colombe,
arriver à être rayonnant,
sans oublier ta condition
d'oublié,
de noir,
sans oublier les tiens
ni la terre
endurcis-toi
marche
sur les pierres aiguës
et reviens.
in Tes pieds je les touche dans l'ombre Seghers 2016, p.p.44 à 51
La note 7, qui accompagne ce texte, précise qu'on ne trouve rien de similaire ailleurs dans l'œuvre de Neruda.
Ce poème a été découvert dans une caisse, qui rassemblait en majeure partie des manuscrits, des odes au printemps, à Walt Whitman, à Louis Aragon, qui furent incluses dans Odes élémentaires et Nouvelles odes élémentaires, Navigations et retours.
Être poète selon Neruda exige "d'aller au charbon", d'accepter de se salir les mains autant que de manier le feu des mots. Il s'agit d'un métier de manœuvre, au service des autres.
Dans son Discours de réception du prix Nobel, lu à Stockholm en 1971, il utilise l'image du poète-boulanger, image on ne peut plus messianique, que nous retrouvons dans cet extrait de son Ode au pain, et qui tiendra lieu de conclusion.
(...)
O pain de chaque bouche,
nous
ne t'implorerons pas,
les hommes
ne sont pas
mendiants
de vagues dieux
ou d'anges obscurs :
de la mer, de la terre
nous ferons du pain,
nous sèmeront de blé
la Terre et les planètes,
le pain de chaque bouche,
de chaque homme,
chaque jour
sera là parce que nous serons allés
le semer
et le faire,
non pour un homme mais
pour tous,
le pain, le pain
pour tous les peuples,
et avec lui nous répartirons
ce qui a forme
et goût de pain :
la terre,
la beauté,
l'amour,
tout cela
a goût de pain,
forme de pain,
est germinal comme la farine,
tout
est né pour être partagé,
pour être donné,
pour se multiplier.
(...) extrait in Odes élémentaires Gallimard 1974, p.199, 200, 201
Grille de fenêtre dans la maison de Santiago, devenue la Fondation Pablo Neruda,
le P de Pablo enlacé au M de Mathilde, 2012
le P de Pablo enlacé au M de Mathilde, 2012
Porte de l'atelier d'écriture à Santiago, 2012
et le jardin
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