trompé sur ce que promet la récolte. Le livre dans sa masse n'a pas encore libéré le courant jaillissant de la lecture, que le grappillage a presque tout dit sur la physionomie du cru, ou du moins sur sa teneur en alcool.
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Moments de flânerie absente où on musarde devant sa bibliothèque, atteignant un livre
sur l'étagère, l'ouvrant, le grappillant, le replaçant, l'abandonnant pour un autre qui révèle à l'échantillonnage plus d'épice et de montant. Picorant là-dedans comme fait l'Espagnol à l'heure
de l'apéritif parmi les tapas, et quelquefois, comme lui, à force de picorer, déjeunant par cœur.
Comme les vieux connaisseurs en bourgognes font au moyen de leur tastevin, avec le temps et le long usage on en vient à flairer les livres plus souvent qu'à les lire: moins besoin de nourritures consistantes que plutôt d'une espèce de spiritualisation revigorante de l'odorat. On peut déjeuner
parfois exquisément de la fumée du rôti, et à qui sait attendre, et vieillir consubstantiellement avec elle, la littérature délivre aussi, assez mystérieusement, sa quintessence.
Cet homme seul, en pantoufles, qui renifle et qui chipote devant ses rayonnages, tout entier devenu, nez au vent, c'est un détecteur et un juge que plus rien n'embrouille. Et cet homme, c'est aussi un croyant, un fidèle de la secte : nul ne communie vraiment avec la littérature qui n'a pas le sentiment du tout présent chez elle dans la plus petite partie.
in Nœuds de vie, Lire, Julien Gracq, Éditions Corti, 2021, p.p.93/94
Ironie du jour, occupée à taper ce texte, j'étais chez moi en pantoufles et robe de chambre quand le facteur à sonné à la porte d'entrée de l'immeuble avec un paquet de livres pour moi et j'ai dû descendre lui ouvrir, sans oublier d'ajuster un masque sur mon nez !
Bref intermède, auquel Julien Gracq ne pouvait que faire écho avec ces mots, à la page 96 :
Pourquoi ne pas avouer que la poésie connaît aussi auprès de ses lecteurs les plus fervents ses fiascos – ces moments de parfaite atonie où elle glisse sans plus y mordre nulle part à la surface de l'esprit désensibilisé, où les vers les plus aimés viennent heurter à la porte de la mémoire sans que s'allume une étincelle, où le doigt, sans que s'éveille un fourmillement, touche le fil soudain inexplicablement déconnecté ? Pourquoi ne pas avouer que la poésie la plus enchanteresse, la plus certaine de son pouvoir, ne met en train ses amants...qu'une fois de temps en temps ?
ibid p.96
Bibliographie:
Nœuds de vie, Julien Gracq, Éditions Corti, 2021.
sur internet:
https://www.babelio.com/livres/Gracq-Le-Rivage-des-Syrtes/4088