Sommes-nous dans un temps de crise ? Et comment définir celle-ci ? Doublement, je crois.
Nous avions vécu depuis à peu près les années 1960, une période où les dégâts de la dernière
guerre avaient été à peu près réparés...et largement oubliés, et où tout semblait de plus en plus
accessible, grâce aux moyens de communication. Télévisions, téléphones portables, ordinateurs,
créaient un monde où même les enfants "avaient tout, tout de suite", dans les classes aisées ou
moyennes de notre Occident. "Tout"? Ce tout n'était vrai que pour une petite partie du monde,
et il était déjà payé au prix fort par ceux qui en profitaient : simplification et même vulgarisation
des arts, rapports à la fois trop faciles et peu profonds entre les gens, perte de beaucoup
d'éléments de la culture traditionnelle, grande puissance de l'argent… Tout cela créait une sorte
de totalitarisme mou.
Mais quand l'argent est venu à manquer en Europe, quand de nombreux scandales ont éclaté
alors une très brusque baisse de l'optimisme s'est manifestée. Autre élément de la crise: le
sentiment que le monde autour de nous, est en proie à des violences dont nous sommes
incapables d'augurer la fin. À ce propos, je mets de coté, dans les lignes que j'écris ici sur la crise,
ce temps-là de "crise" abjecte, assassine, qu'est la guerre (j'avais treize ans quand s'est terminée
notre dernière), sous quelque prétexte qu'elle ait éclaté. Pour les poètes qui la vivent, il n'est
certainement pas d'autre solution que "d'engager" leur poésie contre elle, de souffrir, de
s'opposer, radicalement. De quelque coté qu'il se trouve, un poète, à mon avis, n'a pas à
condamner les camps d'extermination, s'il oublie les bombardements de Dresde ou d'Hiroshima.
Nous ne sommes plus de ce coté de la violence; redoutons toujours sa survenue.
Mais dans nos conditions, à nous, que peut la poésie? "Changer la vie", comme dit Rimbaud,
ambition que les surréalistes ont nourrie à sa suite? "Nier notre néant" comme l'écrit Malraux?
Nous avons aujourd'hui connu une série de déceptions qui nous interdisent de penser ainsi ; nous
ne songeons pas non plus à la possibilité d'entreprendre une poésie qui apporterait aux gens une
vie de fraternité et de bonheur, comme le voulait Hugo ou des poètes politiquement engagés.
Exprimer une révélation divine ? Même les poètes croyants, par exemple Jean-Pierre Lemaire
ou Philippe Delaveau, tâtonnent aujourd'hui dans ce monde en crise, et n'écrivent plus avec cette
"foi sans coupage" que prônait Claudel.
in L'inquiétude de l'esprit ou pourquoi la poésie en temps de crise? p.p.71/72
Éditions Nouvelles Cécile Defaut, 2014.
Ce texte nous offre l'occasion de relire l'année écoulée avant d'aborder celle à venir et de
formuler des vœux pour tous ceux qui nous entourent et que nous aimons.
Pour en savoir plus sur Marie-Claire Bancquart n'hésitez pas à lire, ou relire, l'article rédigé
précédemment à son propos, grâce au lien indiqué plus bas.
Le Temps bleu fera une pause en cette fin d'année pour mieux vous retrouver le vendredi
4 janvier 2019.
Bibliographie :
- L'inquiétude de l'esprit ou pourquoi la poésie en temps de crise? éditions Cécile Defaut, 2014.