La bobine
Je tiens la bobine d'une main
De l'autre, un fil
Le ciel est là-bas, au-dessus de la montagne
Il me faut faire envoler ma solitude avec ce fil
Je la vois s'élever encore et encore
Et lorsque la queue de ma solitude disparaîtra
Je trancherai le fil
Et jetterai la bobine dans le puits
in Un jet de pierre, Al Manar 2016 p.11
Sète, soirée d'ouverture du Festival de Poésie, 22 juillet 2016 dans les Jardins du Château d'Eau : Ashur Etwebi, un poète lybien, dit en arabe un de ses poèmes, suit sa traduction en français, qui retient aussitôt mon attention.
Cette voix s'imposera comme l'une de ces "Voix vives" de la Méditerranée, que nous offre chaque année le Festival.
L'auteur, né à Tripoli en 1952, est médecin, romancier et poète, auteur de neufs recueils de poésie. Il a traduit en arabe plusieurs poètes américains, canadiens et lithuaniens et compte parmi les poètes les plus renommés de Lybie, nous dit la quatrième de couverture de ce recueil, Un jet de pierre, paru en version bilingue, arabe - français, aux éditions Al Manar à l'occasion du Festival Voies Vives de méditerranée en méditerranée, 2016.
Contraint à l'exil en 2015, après l'attaque et la confiscation de sa maison à Tripoli, il vit désormais à Trondheim en Norvège.
Une maison dans le vent
Au bout d'une fragile après-midi
Une mer immense
Des arbres évidés
Un papillon, une tombe
Je suis ici
Les villageois aussi
Et des contes en d'étranges langues
Ici sont des verbes brisés
Pourquoi n'ai-je pas su
Que je m'accoudais à l'oreiller de l'absence
Que le grillon terrifiait la petite chenille
Que les mots étaient perdus, le café léger
Pourquoi n'ai-je pas su que les yeux étaient voilés, et la cloche, maudite !
Les vieilles barques ont levé les visages des réfugiés comme voiles
Seuls les êtres terrifiés peuvent construire une maison dans le vent
ibid p.7
Ashur Etwebi use de l'ironie comme d'une arme dans ses haïkus de guerre :
Sur le char
Le pied du jeune tué
Se balance avec le vent de fin de soirée
ibid p.59
L'homme armé a parlé à son camarade du tatouage
sur le bras de sa bien aimée
mais il n'a pu achever son histoire
ibid p.61
La poésie se nourrit de droiture et de noblesse. Elle est de tout temps un sursaut dans la détresse, la voix qui interpelle et redonne courage. Elle se fait d'autant plus ardente que l'on tente de la museler. Ashur Etwebi nous en offre un éloquent témoignage :
Le faucon se lève-t-il sans ailes ?
une aile jetée sur le sol
une autre agite le vent
une aile, plume à son début
à sa fin, sanglot
l'œil de chaque aile est encrier
dans le cœur de chaque encrier, une écriture unique
la plume est le fard des pauvres
l'encrier est le gardien des secrets du cierge
le sanglot est sans pagne
À jamais ouvert
ibid p.31
Les ombres
Les ombres qui nous quittent la nuit, jamais ne reviennent
même celles qui nous arrivent à l'aube, ne sont pas nôtres
Alors quoi ?
Nous arrachons notre peau
Répandons autour de nous ce que nous pouvons d'histoires
Puis nous penchons sur nos prières, silencieux
Comment savoir que cet air que je respire ici n'est pas le
même dans ce pays lointain ?
Comment savoir que ces pierres couvertes de neige
maintenant, ne sont autres que celles dont le vent
a déchiré la chemise ?
Comment savoir que ce cœur qui tremble maintenant,
sera un fort et ma monture pour cet ailleurs ?
ibid p.49
Bibliographie :
- Ashur Etwebi, Un jet de pierre, Al Manar, 2016