Le 15 mars dernier le théâtre de la Comédie Nation accueillait, entre ses murs pour un récital poétique, le poète irakien Salah Al Hamdani, réfugié politique vivant en France depuis 40 ans, ainsi que le jeune poète syrien Omar Youssef Souleimane, réfugié politique, en France depuis trois ans.
L'un et l'autre disaient leurs poèmes, tantôt en français tantôt en arabe. Ceux, inédits, d'Omar Youssef Souleimane, traduits de l'arabe au français par Salah Al Hamdani et Isabelle Lagny, étaient repris en français, par cette dernière.
Arnaud Delpoux accompagnait magnifiquement ce récital à la guitare et au piano. Un moment de chaleureuse amitié nous était partagé.
La musique voilait de nostalgie les regards des exilés.
Une seule frappe sur le piano
Fera fondre autour de moi les pierres de l'oubli
Afin que se glissent hors de leurs nids les serpents de la mémoire
écrit Omar Youssef Souleimane dans son recueil bilingue, La mort ne séduit pas les ivrognes, édité par L'Oreille du Loup, en 2014. Cette maison a l'art de faire découvrir des talents et des voix étrangères.
Je souhaite en faire de même en mettant l'accent sur la poésie d'Omar Youssef Souleimane, afin de donner une plus large audience à ce jeune poète, dont les mots parlent d'eux-mêmes.
Je ne suis plus personne
Je connais ce couchant qui sommeille sur le dos d'un chien roux
Je connais ce nuage aguicheur comme les vêtements d'une adolescente
Je connais les murs blancs de l'enfance
Je connais l'odeur de propreté qui se promène nue devant les boutiques
Je connais la griffure du chat gravée sur le trottoir de l'immeuble
C'est mon village
Mais où sont les pierres lavées par la fumée
Où est l'odeur de poudre si proche
Où est mon frère, je nous vois debout sur le balcon à attendre les égorgeurs
Où sont les doigts déchiquetés de l'enfant
La bombe a-t-elle raté sa cible aujourd'hui
La balle du sniper a-t-elle atteint ma mémoire
Je me frotte les yeux derrière le balcon du temps
Je tends ma main vers la rose dans son verre pour retrouver le sens de la vie
Je le touche à peine qu'il redevient sable
Et mes doigts pierre
Depuis un an je vis dans une banlieue près de Paris
Mais elle est mon village
Mon village!
Peut-être le miroir du village qui est en moi
Peut-être le miroir du village où je suis toujours
Mais il a disparu
Peut-être, peut-être
Une seule certitude confirmée par le couloir sombre devant la porte de l'appartement:
Je ne suis plus personne
in La mort ne séduit pas les ivrognes, L' Oreille du Loup 2014, p.11et 13
La quatrième de couverture de ce recueil nous apprend l'essentiel à propos de l'auteur. Ses poèmes se chargeront du reste:
Omar Youssef Souleimane est né en 1987 à Qutayfeh (Syrie) sur les plateaux du Qalamoun, au nord de Damas. Après avoir étudié la littérature arabe à Homs, il est correspondant pour la presse syrienne de 2006 à 2010 et collabore à plusieurs journaux arabes. Il est l'auteur des livres de poésie, Chansons de saisons (2006), Je ferme les yeux et j'y vais (prix koweitien Saad Al Sabbah, 2010), Il ne faut pas qu'ils meurent (2013).
Après avoir participé aux manifestations pacifiques en mars 2011, il a été recherché par les services de renseignements syriens. Il entre alors en clandestinité, quitte son pays et obtient en 2012 l'asile politique en France. Il suit actuellement une spécialisation en langue et littérature arabes à Paris 8.
Il s'est passé quelque chose
Quelque chose est survenu en un temps lointain
Je ne me souviens ni de son nom ni de sa forme
cette chose est présente devant moi
Comme l'éclat d'un couteau à midi dans le désert
Et sans avoir mon apparence
Elle me suit comme mon ombre
Entre des murs recouverts de boue et de folie
Sous un toit d'où la solitude goutte en abondance
Et fort peu la rouille
Cette chose m'apparaît comme un trou dans la mémoire
Je l'entends comme un murmure circulant dans les caves étouffantes
Son écho rebondit dans ma bouche
Comme s'il sortait de moi
Peut-être un dieu qui me rendit visite un jour sous l'aspect d'un être aimé
Ou bien une fourmi qui salua de ma part un enfant d'un battement de paupières
Sans que j'y prête attention
Une chose qui ne cesse de m'animer
Comme une partie de moi
Oubliée en un temps lointain
ibid, p.55
Cette écriture se passe de tout commentaire, il suffit de s'y plonger pour mesurer ce qu'est l'exil forcé, l'ampleur du désastre, sa douleur et toutes ses conséquences.
Au matin
Avec du verre brisé le vent écrivait quelque chose qu'alors je ne compris pas
Maintenant, deux ans ont passé
Dans cet exil ma voix est devenue sans voix
Le vent creuse dans les ruines de ma bouche
La vie est une vie mitoyenne de la mort
La vie loin de la mort est une mort
(extrait) ibid p.21, traduction d'Aïcha Arnaout
Le poète rejoint une parole universelle, qu'il nous revient de relayer et faire circuler. Elle dénonce l'intolérance, l'injustice, la haine, la violence, la guerre, les dictatures, qui jettent hors de chez eux des peuples entiers.
Plus loin, tel Salah Al Hamdani qui sut l'accueillir en frère, Omar s'imagine après des années d'exil:
La tombe du réfugié
Demain quand je serai vieux
De jeunes réfugiés d'un pays lointain me rendront visite
Leurs paupières la liberté
Leurs yeux des étoiles
Leurs bras des mots
Que j'ai oubliés sur les herbes de mon pays depuis de longues années
Je distinguerai sur leurs traits mes yeux que je ne vois plus désormais
Et je verrai
Le réfugié n'est enterré que dans sa langue
Il l'a enterrée comme une graine dans son cœur quand il est devenu réfugié
Elle s'épanouira quand son corps s'anéantira
Et grandira
Grandira au point de devenir une tombe
J'ignore cela maintenant
Je le saurai quand ils m'interrogeront sur mon pays
Je leur répondrai avec des feuilles de citronnier enfouies dans un vieux cahier
ibid p.49
Plusieurs poèmes inédits d'Omar furent dits durant cette soirée. Il a bien voulu m'en confier quelques uns que je reproduis ici, dans une traduction de Salah Al Hamdami et Isabelle Lagny.
Nous n'avons plus le temps
Oui! J'avouerai tout ce que tu voudras
Je suis l'assassin des idées
un agent du diable ou d'Allah
un trafiquant de nuages en Méditerranée jusqu'au nombril de ma bien-aimée!
Fais ton réquisitoire, nous n'avons plus le temps
De la fenêtre
vois-tu les yeux des soldats exploser comme des feux d'artifice?
Et la fumée qui reste, dessine-t-elle des verres pour trinquer dans le ciel?
Oui, tout ceci nous attend
Nous n'avons plus le temps
Remplis ma tête avec quelques balles
Cette poudre nous servira aussi à fabriquer le pain
Et de nous deux, on sait déjà qui mourra le premier
Alors buvons le thé avant que nos cadavres soient gelés!
***
Tout ce qui a existé
Tout ce qui a existé
n'est qu'un film
Il se terminera aussi brusquement que la visite d'un obus
Alors nous sortirons simplement de la salle
Il n'y a pas de sens dans les scènes de serpents enroulés
Ni dans des tours d'illusionnistes en représentation perpétuelle
La balle a pénétré la chair
jusqu'à devenir rouge à lèvre dans la main du thanatopracteur
et la vie à l'orifice du canon est restée suspendue comme une balançoire
Tout ce qui a existé
n'a jamais existé
***
Message le long des fibres optiques
Lavez-moi dans la fontaine des noces éternelles
vous les fenêtres de chêne immémoriales
Je possède un arbre qui s'est désaltéré aux flammes du jour
là où fleurissent les étoiles
Le monde se remplit de messages électroniques
et entre l'œil du tigre et les minarets
mon cœur est une boîte à lettres
***
Au poète, le dernier mot. La poésie est libre, elle dépasse et transfigure haines et drames de ce monde et poursuit immanquablement son chemin. Ne manquons pas de lui prêter au passage l'oreille.
Plusieurs poèmes inédits d'Omar furent dits durant cette soirée. Il a bien voulu m'en confier quelques uns que je reproduis ici, dans une traduction de Salah Al Hamdami et Isabelle Lagny.
Nous n'avons plus le temps
Oui! J'avouerai tout ce que tu voudras
Je suis l'assassin des idées
un agent du diable ou d'Allah
un trafiquant de nuages en Méditerranée jusqu'au nombril de ma bien-aimée!
Fais ton réquisitoire, nous n'avons plus le temps
De la fenêtre
vois-tu les yeux des soldats exploser comme des feux d'artifice?
Et la fumée qui reste, dessine-t-elle des verres pour trinquer dans le ciel?
Oui, tout ceci nous attend
Nous n'avons plus le temps
Remplis ma tête avec quelques balles
Cette poudre nous servira aussi à fabriquer le pain
Et de nous deux, on sait déjà qui mourra le premier
Alors buvons le thé avant que nos cadavres soient gelés!
***
Tout ce qui a existé
Tout ce qui a existé
n'est qu'un film
Il se terminera aussi brusquement que la visite d'un obus
Alors nous sortirons simplement de la salle
Il n'y a pas de sens dans les scènes de serpents enroulés
Ni dans des tours d'illusionnistes en représentation perpétuelle
La balle a pénétré la chair
jusqu'à devenir rouge à lèvre dans la main du thanatopracteur
et la vie à l'orifice du canon est restée suspendue comme une balançoire
Tout ce qui a existé
n'a jamais existé
***
Message le long des fibres optiques
Lavez-moi dans la fontaine des noces éternelles
vous les fenêtres de chêne immémoriales
Je possède un arbre qui s'est désaltéré aux flammes du jour
là où fleurissent les étoiles
Le monde se remplit de messages électroniques
et entre l'œil du tigre et les minarets
mon cœur est une boîte à lettres
***
Au poète, le dernier mot. La poésie est libre, elle dépasse et transfigure haines et drames de ce monde et poursuit immanquablement son chemin. Ne manquons pas de lui prêter au passage l'oreille.