À l'improviste
Je mets le bric-à-brac dans le placard
Les miettes sous le tapis
La vaisselle sale derrière le buffet
Mes boutons sont de travers
Mes chaussettes dépareillées
Les aiguilles de l'horloge arrêtées
Quant à mes paroles déplacées
Mes mots retenus
Non
Ils n'auront nulle part où se cacher
Cependant
Viens à l'improviste.
in
Je ressemble à une chambre noire, Marcher sur le fil, éditions Bruno Doucey, 2015, p.109
Ce poème rieur s'accorde aux belles journées d'été que nous vivons actuellement, où légèreté et fantaisie sont de mise.
Roja Chamandar sait aussi évoquer l'absence avec des mots de tous les jours, qui nous la rende encore plus touchante.
Chaque matin
Chaque matin
Je me réveille en sursaut
Je me dépêche
J'accroche les dauphins bleus à ma chevelure
Je mets du rose sur mes lèvres
Suivant les traces de tes lèvres
Je mets la table
Et je t'appelle
Puis
Je me souviens
Depuis l'automne
Tu n'es plus là
Et moi, je me suis réveillée en sursaut
Je me suis dépêchée
J'ai accroché les dauphins bleus à ma chevelure
J'ai mis du rose sur mes lèvres
Suivant les traces de tes lèvres
J'ai mis la table et puis
Je t'ai appelé...
ibid
Marcher sur le fil, p.93
Elle vit en Iran, où elle est née en 1981, et désormais considérée comme l'une des grandes voix de la poésie iranienne.
Elle était présente à Sète, au Festival de Poésie
Voix vives de Méditerranée en Méditerranée, en 2013.
Les éditions Bruno Doucey ont publié par la suite, en 2015,
Je ressemble à une chambre noire, son premier recueil bilingue, persan – français, d'où proviennent ces poèmes.
Vive, enjouée, insolente sa poésie séduit d'emblée, mais le poète sait user également d'un ton plus grave.
Pour le mur
L'essence de mes poèmes
Fleurit dans ta chevelure
Je récite mes poèmes d'amour pour la porte
Pour que le mur...
ibid
Les pierres de neuf mois p.37
Ce recueil s'articule autour de trois chapitres ayant pour titres :
Les pierres de neuf mois, Mourir dans la langue maternelle et
Marcher sur le fil.
L'auteur vit semble-t-il des amours contrariées, qui nous valent des vers poignants tels
ce nœud logé à jamais dans ma gorge me tourmente... comme une mère qui nourrit ses petits, tu déposes une douleur dans ma bouche, une blessure ardente dans mon cœur, et tu t'en vas.
Nous éprouvons avec elle combien
le goût de l'eau est amer et combien il peut être périlleux en amour de marcher sur un fil...
Le goût de l'eau
Tu sais que cette lune
Ne s'accorde pas
Au ciel banal de cette ville
Que l'arbre
Par des milliers de mains collées à notre mur
Ne s'accorde pas
À la couleur fumée de cette ville
Que le petit marchand de bonne aventure sur le pont
Ne convient pas aux petits souhaits de cette ville
Je ressemble à une chambre noire
De sa tête une lumière rouge sang
Jaillit en fontaine et tu sais
Que ce sang versé ne revient plus
À nous
Les gants noirs et silencieux
À nous
Les mensonges faciles
À nous
Les exécutions en masse
À nous
La patrie en déroute
À nous
Les manches de couteaux
On te rumine avec délectation et demain
On te dissèque
Tu sais
Ô combien le goût de l'eau est amer
ibid
Mourir dans la langue maternelle, p.p.49/51
Autour d'elle, la violence quotidienne impose sa loi :
un jour je serai projetée / Contre une vie encore plus dure/ Et je vais mourir/ Au milieu d'un peuple endolori clame
-t-elle.
Pourtant sans se résigner elle
part en quête de l'autre
avec un petit flambeau dépeignant gestes et états d'âme d'un ton sensuel et familier .
Temple
Avec un petit flambeau
Je viens à ta rencontre
Bruit de pas dans la neige
Humide était la tanière
Et noire la masse entrelacée aux bouches ouvertes
J'ai collé un voile aux fenêtres
Afin que la lune dévergondée
N'atteigne pas les replis les plus intimes de mon corps
Je me suis dégagée du ciel
De la terre
De mon long châle en cachemire
Avec sa gorge remplie de pierres
La fenêtre est une grande cassure
Imposée à la chambre
Je m'étire
Collée à la lune
Entre ciel et terre
Je regarde au loin
Tu m'as saluée
À présent
Je suis au minuit de l'hiver
Dis à la neige de tomber en silence
Je n'ai plus
Qu'une contrée pillée
Une tasse brisée
Et j'attends que tu sois à mes cotés.
ibid
Temple, Mourir dans la langue maternelle, p.59
La terre est seule
Je suis un chemin du rivage
Sois donc la mer
Au souffle vif né de l'eau !
Aime-moi autrement.
ibid p.61
Un oiseau
J'aurais voulu que tu sois un oiseau
Que tu t'envoles
Et que tu ne reviennes plus
À présent
Depuis des années tu es niché en moi
Tu as cassé mes branches
Chaque nuit
Tu mets en désordre mes rêves
Et chaque jour
Tu viens becqueter ma vie.
ibid
Marcher sur le fil, p.79
Poème après poème, avec une maturité et une sagesse bien au-dessus de son âge , elle exprime combien
marcher sur le fil / c'est comme marcher sur le feu ...
Une porte ouverte
J'ai toujours été une porte ouverte sur l'errance
J'aimais partir plus que venir
Ta voix était ma seule vraie contrée
Je cache des mots dans ton étreinte
Dorénavant
Tout le monde peut lire mes poèmes
En toi.
ibid
Marcher sur le fil p.89
Je vide...
Je vide
Le ciel de ses aiguilles
Ma gorge de ses oiseaux
La chambre de ses fenêtres
Le cadran de l'horloge de ses chiffres
De moi tu t'éloignes
En moi tu deviens poème.
ibid p.113
Dans un pays divisé par la guerre et l'intolérance, cette toute jeune femme installe, au plus profond d'elle-même,
une chambre noire, lieu magique pour sublimer l'absence.
Bibliographie :
- Je ressemble à une chambre noire, éditions Bruno Doucey, 2015
sur internet :