Port des Barques
vendredi 31 juillet 2020
Un jour, un poème, l'appel à vivre de Robert Sabatier
Entendre
L'appel de vivre écarte les rumeurs
Du temps sans rive. Écoute qui se tait.
Par lui s'exprime un tel espace d'être
Que l'arbre mort se reprend à verdir.
Les végétaux enfermés en nous-mêmes,
Eux, si discrets dans leurs tâches secrètes,
Sont oubliés. Heureux qui les sait vivre
Et les entend dans la nuit de son corps.
Mais qui reçoit le chant sinon la feuille
Au vent jetée, au feu du temps promise ?
Les yeux bandés, les oreilles de cire
Et la pensée ouverte comme grotte,
La main fidèle à cueillir, à servir,
Et qui se joue en écartant la branche.
Entends mon ongle : il pousse musical
Et mes cheveux font un bruit de forêt.
Qui nous parlait du brouillard solitude ?
J'appelle mort ce qui n'existe pas.
in Icare et autres poèmes, Robert Sabatier, par Alain Bosquet, Poètes d'aujourd'hui,
Seghers, p.124
Pour en savoir davantage sur l'auteur, je vous invite vivement à lire ou relire un bel article écrit par Jacques Décréau, en 2012, et paru sur la Pierre et le sel, sous ce lien:
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/06/robert-sabatier-la-passion-de-la-po%C3%A9sie.html
ainsi qu'un poème de l'auteur mis précédemment en ligne sur Le Temps bleu :
http://lintula94.blogspot.com/2018/05/robert-sabatier-une-danse-de-saison.html
vendredi 24 juillet 2020
Un jour un poème, Pierre Reverdy, La trame
Photo de Roselyne Fritel, été 2020.
La trame
Une main, d'un mouvement rythmique et sans pensée, jetait ses cinq doigts vers le plafond où
dansaient des ombres fantastiques.
Une main détachée du bras, une main libre, éclairée par la lueur du foyer qui venait de plus bas –
et cette tête innocente et vide qui souriait à l'araignée activant dans la nuit son chef-d'œuvre
inutile.
in La liberté des mers, Poésie-Gallimard, p.49, 2003
sur internet:
http://lintula94.blogspot.com/2017/01/pierre-reverdy-une-voix-dans-loreille.html
http://lintula94.blogspot.com/2018/08/pierre-reverdy-quand-on-une-fois-ouvert.html
vendredi 17 juillet 2020
Un jour un poème, Eva-Maria Berg, telle une brèche dans l'eau
immensité de beauté
lumière pure l'eau
porte encore
toujours la source
de la vie même privée d'hommes
immensité de froideur
lumière pure l'eau
avale non seulement le soleil
mais aussi le mouvement
immensité d'éblouissement
lumière pure l'eau
attire les yeux
et les laisse sombrer
in Une brèche dans l'eau, éditions pourquoi viens-tu si tard?, 2020, p.87
Eva-Maria Berg est l'heureuse invitée du Festival de Poésie, Voix vives de méditerranée en méditerranée, qui se déroulera, en ce mois de juillet 2019, à Sète.
Je saisis cette occasion pour l'en féliciter très vivement et lui souhaiter de belles lectures.
Vous trouverez plus bas différents liens à propos d'articles antérieurs, rédigés à propos de l'auteur et parus sur le Temps bleu, ainsi que le programme du Festival de Poésie de Sète, cet été 2020.
Bibliographie :
Une brèche dans l'eau, Eva-Maria Berg, éditions pourquoi viens-tu si tard ? 2020
sur internet:
http://lintula94.blogspot.com/2019/09/eva-maria-berg-bien-plus-quun-souvenir.html
https://lintula94.blogspot.com/2018/05/eva-maria-berg-avant-que-le-crayon-ne.html
http://lintula94.blogspot.com/2017/04/eva-maria-berg-et-olga-verme-mignot-les.html
http://www.sete.voixvivesmediterranee.com/Edition/Programme/
vendredi 10 juillet 2020
"Un futur sans poids", dernier hommage au poète Françoise Hàn
Il n'y a pas eu d'adieu
Le soir est passé
pareil à tous les soirs
comme s'il devait y avoir
un lendemain
les choses n'ont pas
murmuré entre elles
le sel de la terre
dans son filon
le sel n'a pas noirci
de la plaine à la mer
il n'y a pas eu de signe
à travers nuit
aucune fêlure
n'a rayé la faïence peinte
au-dessus de nos têtes
Quelqu'un
s'est éloigné dans l'invisible
l'a voulu sans doute ainsi
ne pas déranger
les milliards d'étoiles
aller son chemin
sans soulever la poussière
ne pas froisser le pli
du temps qui retombe
se dissoudre dans
l'ailleurs à jamais
sans y laisser de déchirure
Françoise Hàn, in Un été sans fin, éditions Jacques Brémond 2008
L'auteure, aussi discrète que passionnée, vient de nous quitter. Elle fréquentait régulièrement les allées du Marché de la Poésie, où je l'ai croisée à plusieurs reprises.
Son recueil, Un été sans fin, acheté sur le stand de Jacques Brémond, m'accompagne, depuis.
Le premier article écrit à propos du poète était intitulé Le vide est mon élan, il est paru sur La Pierre et le sel le 9 septembre 2013; le second intitulé, Il n'y a plus d'étoiles à atteindre, est paru sur Le Temps bleu, le 8 mars 2019. Vous trouverez plus bas, en annexe, les liens pour ces deux articles.
Vers
Aucun langage ne lui parvient
ni celui qu'échangent
la terre et l'eau
l'air et le feu
ni celui de la ville au petit jour
ni celui des vents de sable
sur les plus anciens déserts
pas même les mots perdus
dans les marges du poème
si longue soit leur errance
une figure de l'espace
s'est refermée sur lui
la suture
s'en est effacée
Parler de lui à la terre
où reste une empreinte
de ses pas
à la source qui garde
sous les eaux son image
à l'air qui s'est ouvert
devant lui
au feu son dernier élément
le dire dans la rumeur
de la cité au bord du fleuve
dans le vent qui passe chargé
d'années lointaines
dans les quatre directions de l'espace
et l'unique direction
de la flèche du temps
l'écrire pour que la page
se couvre du soleil
de sa présence
matins midis et soirs
de sa présence
pierres blanches
à chaque ligne en allée vers
l'inachevé du poème
un futur sans poids
ibid
Bibliographie:
Françoise Hàn, Un été sans fin, éditions Jacques Brémond, 2008
sur internet:
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/09/fran%C3%A7oise-h%C3%A0n-le-vide-est-mon-%C3%A9lan.html
http://lintula94.blogspot.com/2019/03/francoise-han-il-ny-plus-detoiles.html
http://www.m-e-l.fr/,ec,125
https://www.actualitte.com/article/monde-edition/deces-de-la-poetesse-francoise-han/101591
vendredi 3 juillet 2020
Claire Malroux, une invite à sortir de nos grottes virtuelles
Parce que nous avons dormi
La tête sur la mousse
Dans les grottes des mots
Parcouru des labyrinthes
Les yeux sur les étoiles
Mais une boussole en poche
Piétiné des chemins d'ogre
Avec des bottes de Poucets
Penchés sur le plus fin caillou
Longé des ruches sans écouter
Le chant des abeilles
Derrière la grille
Plus pressant qu'une morsure
Piocheurs du vent
Nous aurons perdu notre route
Claire Malroux , Ni si lointain, Ligne d'Horizon, Le Castor Astral, 2004, p.38
Au sortir de nos grottes virtuelles", nous revenons à la vie avec ces poèmes décapants de
Claire Malroux.
L'auteur, qui fut aussi la talentueuse traductrice d'Emily Dickinson et de Wallace Stevens, nous
les offre, aiguisés à souhait:
Plutôt qu'endosser l'habit commun sauf
À en élargir les déchirures être lettre
(L'être) au monde qui ne nous écrivit pas
Ou si mal, avec tant d'incohérence
Lettre portée sur la peau
Incorruptible et codée (Le courrier
Du tsar ses yeux crevés trouant les blizzards
Hélait l'enfant mais l'enfant fasciné
Par l'histoire ignorait le message)
Là où il court maintenant, ni lettre ni
Pelisse pour franchir les glaces, plus de
Plume douce à la joue ni de gants pour
Descendre dans la glaise balayer
Les chiures de soie du cerveau éclaté
ibid p.59
Les saisons s'envolent
On va son chemin
À marche forcée
Certains matins qui sont des soirs
On lève la tête
La lune se dissout dans un lait bleu
On boit
Cette drogue douce
Pour alléger le poids du havresac
D'autant plus lourd qu'il se vide
Ne plus voir ne prouve rien
ibid p.60
Dans l'orage du silence
Comme dans la jungle des bruits
Les jardins s'abolissent
Les forêts brûlent
Les semences se perdent
ibid p.61
Certaines choses demeurent intactes, ainsi du vert qui envahit le paysage, du bleu d'azur et de l'or
de l'amitié, qui ravivent notre désir d'écrire et de partager nos découvertes.
Entre, ciel
Ne reste pas par-dessus les toits si bleu si calme
ou autrement
Ne t'arrête pas à la vitre ou à notre œil
content de réfléchir nos images nos soleils
nos solitudes
d'offrir serre à nos plantes et volière
à nos oiseaux
Ne garde pas le silence: entre ou plutôt
envahis-nous
descends dans nos poumons
assiège notre cœur
mets ta langue vierge dans notre bouche évidée
in Ni si lointain, Conversations, p.101
Bibliographie:
- Ni si lointain, Claire Malroux, Le Castor Astral, 2004
sur internet:
Inscription à :
Articles (Atom)