Port des Barques

Port des Barques

vendredi 6 janvier 2017

Pierre Reverdy une voix dans l'oreille



VOIX DANS L'OREILLE

         Le temps est clair comme une goutte d'eau
         Des oiseaux migrateurs passent dans mes rideaux
         La plaine est entraînée par le souffle des ailes
         Et la fumée des champs est pleine d'étincelles
         Sur la montagne en feu qui tourne à son verso
         Ma tête sur le champ d'azur
         semé d'étoiles
         avec les bras roulés autour des branches
         des ailes métalliques de l'appareil brutal
         qui éclabousse l'air
         Le chant est arrêté aux lèvres
         par surprise
         Entre le lourd bouquet d'arbres noirs
         et la terre
         Où la partie est sans cesse reprise
         Quand on pense aux détours des chemins
         Quand on rit des jeux du lendemain
         Quand on s'éveille
         Et que le monde est au bas des croisées
                qui vous appelle

         in Pierre Reverdy, Œuvres complètes, Tome II, La Balle au bond, 1928, éditions Flammarion
         2010, p.43

Quand Reverdy rédige le poème précédent, il se trouve à Solesmes, où il a choisi de se retirer avec son épouse dans une maison, au chevet de l'abbaye du même nom. Cette retraite est le fruit sévère d'un cheminement spirituel entrepris au contact de Jacques et Raissa Maritain dans les années 20 et qu'il poursuivra tout le restant de sa vie.


(...)
         Ici la tête tourne
         Et le vent se renverse
         Le soleil bat en plein
         Et ce clairon du jour
         Dans la main qui le presse
         Répond au rythme sourd
         Du parchemin des toits

         Et la vapeur sacrée
         Monte comme une houle
         La résine et l'encens
         Les notes de ta voix
         Aveuglent le vitrail
         De la haute cabine
         Où depuis tant de temps
         S'illuminait ma joie

         Je vous suivais de loin
         Bergers de la lumière
         Aux pentes douces des ravins
         Et moi je continue à chercher mon butin
         Comme une abeille d'or
         Trop tôt dans la clairière
         Engourdie lentement par le froid du matin

         (...) extrait
         in Sable Mouvant, Pierre Reverdy, Œuvres complètes, Tome II, Flammarion 2010,
         p.p.1411/1412

Sable mouvant, d'où est tiré ce poème, est un recueil ample et apaisé de fin de vie. Rédigé en 1959. il ne paraîtra, suite au décès du poète, qu'en 1966 avec en frontispice une gravure originale de Picasso.

Reverdy écrit une poésie grave à laquelle il fait bon revenir, car on y pénètre plus profond à chaque nouvelle lecture.



         AU CARREFOUR DES ROUTES

                     Les bras se levaient vers la croix et la tête restait pendue au
          flot de ses cheveux, sous la lucarne.
              Sur les marches il n'y a plus que l'ombre que le soleil projette et
          les mains perdues dans les rayons qui l'empêchent de tomber. Une voix
          d'en haut sortait de derrière un nuage, mais le tonnerre, en roulant,
          la brisée. Et la pierre qui montait du fond n'est plus qu'un souffle,
          une voix de poitrine qui se laisse tomber dans les plis de la robe
          après être sortie.
               À gauche on monte par le chemin du ciel qui ne révèle aucune
          plaque indicatrice.

          in Étoiles peintes, Pierre Reverdy, Œuvres complètes, tome 1, Flammarion 2010,
          p.309

Si les "plaques indicatrices" font toujours défaut, la poésie demeure le lieu où ressourcer une âme ardente.

          L'ÂME ARDENTE

          La flamme monte à mesure que le froid s'abaisse sur la nuit.
          La flamme de la lampe monte entre les ombres froides qui bougent dans la nuit.
          Et la lueur s'allonge et pousse comme un arbre.
          Un arbre de feu dans la nuit, sur les routes de glace,
          entre les parapets de lune et de métal sous les flèches piquantes
      de mille rayons de cristal ou de reflets d'étoiles.
          Vers la flamme qui monte droite dans la nuit.
          C'est la voix de la foule obscure qui murmure ou le bruit des pas
      qui battent le chemin.
          Mais jusqu'où poussera la flamme qui monte, ardente et droite, dans la nuit...

          in Flaques de verres, Pierre Reverdy, Œuvres complètes, tome II, Flammarion 2010
          p.516


bibliographie:
  • Pierre Reverdy, Œuvres complètes Tomes I et II, Flammarion 2010
sur internet :

         





  

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