VOIX DANS L'OREILLE
Le temps est clair comme une goutte d'eau
Des oiseaux migrateurs passent dans mes rideaux
La plaine est entraînée par le souffle des ailes
Et la fumée des champs est pleine d'étincelles
Sur la montagne en feu qui tourne à son verso
Ma tête sur le champ d'azur
semé d'étoiles
avec les bras roulés autour des branches
des ailes métalliques de l'appareil brutal
qui éclabousse l'air
Le chant est arrêté aux lèvres
par surprise
Entre le lourd bouquet d'arbres noirs
et la terre
Où la partie est sans cesse reprise
Quand on pense aux détours des chemins
Quand on rit des jeux du lendemain
Quand on s'éveille
Et que le monde est au bas des croisées
qui vous appelle
in Pierre Reverdy, Œuvres complètes, Tome II, La Balle au bond, 1928, éditions Flammarion
2010, p.43
Quand Reverdy rédige le poème précédent, il se trouve à Solesmes, où il a choisi de se retirer avec son épouse dans une maison, au chevet de l'abbaye du même nom. Cette retraite est le fruit sévère d'un cheminement spirituel entrepris au contact de Jacques et Raissa Maritain dans les années 20 et qu'il poursuivra tout le restant de sa vie.
(...)
Ici la tête tourne
Et le vent se renverse
Le soleil bat en plein
Et ce clairon du jour
Dans la main qui le presse
Répond au rythme sourd
Du parchemin des toits
Et la vapeur sacrée
Monte comme une houle
La résine et l'encens
Les notes de ta voix
Aveuglent le vitrail
De la haute cabine
Où depuis tant de temps
S'illuminait ma joie
Je vous suivais de loin
Bergers de la lumière
Aux pentes douces des ravins
Et moi je continue à chercher mon butin
Comme une abeille d'or
Trop tôt dans la clairière
Engourdie lentement par le froid du matin
(...) extrait
in Sable Mouvant, Pierre Reverdy, Œuvres complètes, Tome II, Flammarion 2010,
p.p.1411/1412
Sable mouvant, d'où est tiré ce poème, est un recueil ample et apaisé de fin de vie. Rédigé en 1959. il ne paraîtra, suite au décès du poète, qu'en 1966 avec en frontispice une gravure originale de Picasso.
Reverdy écrit une poésie grave à laquelle il fait bon revenir, car on y pénètre plus profond à chaque nouvelle lecture.
AU CARREFOUR DES ROUTES
Les bras se levaient vers la croix et la tête restait pendue au
flot de ses cheveux, sous la lucarne.
Sur les marches il n'y a plus que l'ombre que le soleil projette et
les mains perdues dans les rayons qui l'empêchent de tomber. Une voix
d'en haut sortait de derrière un nuage, mais le tonnerre, en roulant,
la brisée. Et la pierre qui montait du fond n'est plus qu'un souffle,
une voix de poitrine qui se laisse tomber dans les plis de la robe
après être sortie.
À gauche on monte par le chemin du ciel qui ne révèle aucune
plaque indicatrice.
in Étoiles peintes, Pierre Reverdy, Œuvres complètes, tome 1, Flammarion 2010,
p.309
Si les "plaques indicatrices" font toujours défaut, la poésie demeure le lieu où ressourcer une âme ardente.
L'ÂME ARDENTE
La flamme monte à mesure que le froid s'abaisse sur la nuit.
La flamme de la lampe monte entre les ombres froides qui bougent dans la nuit.
Et la lueur s'allonge et pousse comme un arbre.
Un arbre de feu dans la nuit, sur les routes de glace,
entre les parapets de lune et de métal sous les flèches piquantes
de mille rayons de cristal ou de reflets d'étoiles.
Vers la flamme qui monte droite dans la nuit.
C'est la voix de la foule obscure qui murmure ou le bruit des pas
qui battent le chemin.
Mais jusqu'où poussera la flamme qui monte, ardente et droite, dans la nuit...
in Flaques de verres, Pierre Reverdy, Œuvres complètes, tome II, Flammarion 2010
p.516
bibliographie:
- Pierre Reverdy, Œuvres complètes Tomes I et II, Flammarion 2010
- un article de Roselyne Fritel sur le Temps bleu : https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3657709267519266914#editor/target=post;postID=6888426955197393816;onPublishedMenu=publishedposts;onClosedMenu=publishedposts;postNum=50;src=postname
- une article d'Hélène Millien sur La Pierre et le sel : http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/04/pierre-reverdy-un-po%C3%A8te-mystique-%C3%A0-laube-du-surr%C3%A9aliste.html
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