Port des Barques

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vendredi 20 janvier 2017

Geneviève Amyot poème à une adolescente



         ADOLESCENCE

         Dans cet espace que tu as établi
         désormais entre nos corps
         Je me tiens
         Je voyage

         De la rigueur de tes ruptures
         à l'inévitable de ma perte
         je voyage

         De tes désirs à mon inquiétude
         De tes silences à ma nostalgie
         De ta porte close à mes bras vidés

         Je t'en prie

         Laisse-moi t'aimer encore
         comme on aime une petite fille
         Encore un peu
         Parfois

         Dans la persistance heureuse
         de nos complicités matrices
         je voyage

         Tu es belle je suis fatiguée
         Pourtant encore si vive je me tiens

         Ma jeunesse n'est pas perdue
         puisqu'elle est en toi

         De tes chants à ma joie je voyage
         De tes sarcasmes à mes fureurs
         De ton amour troublé à mon amour
         en désarroi

         Ta jeunesse est une pudeur extrême
         que je contemple du bout des cils

         Tu te caches parchemin précieux
         dans la nécessité de ton urne propre

         Je me tiens
         Sentinelle fragile
         Ignorante
         Ridée

         De le splendeur de tes mouvances
         à la ténacité de mes pertes je voyage

         De mon enfance saccadée à la tienne
         en miracle incomplet

         De ta colère de mal entendue
         à ma honte de répudiée

         De mon sang qui s'en va
         à ton sang qui s'en vient
         Et je le bénirai
         Que tu m'en montres ou non la couleur
         je le bénirai
         Ton premier livre t'en souviens-tu
         C'était une toute petite dame
         Tu seras la première
         La toute première dame
         Je te bénirai
         Puisque nous ne nous berçons plus

         De tes danses à mon pas
         je voyage
         De tes grandeurs à mes gloires
         De tes conjugaisons à mes poèmes
         De mes espoirs à tes rêves

         En cette nouvelle face pour l'amour
         Méconnaissable de toute évidence
         Dans la nécessité aveugle de l'arrachement
         Dans le dur contentement du don
         Je me tiens
         Sentinelle forte
         Fière
         Fervente je me tiens
         Je voyage
         Silencieuse
         Au plus ultime de tes feux

         in Autour du temps, Anthologie de poètes québécois contemporains, Éditions du Noroît, 1999,
         p.p.33/34/35

Geneviève Amyot est québécoise, née en 1945. Ce texte figure dans une anthologie, qui rassemble un échantillon de quinze voix contemporaines québécoises.
Les poètes, nous dit la préface, ont joué le jeu d'écrire pour la circonstance à partir du thème: "Autour du temps". Le dit temps étant aussi celui de l'âge, mère comme fille ou petite fille, et de ses impondérables.

Le poète évoque, ici, avec simplicité un vécu douloureux.
Sentinelle forte mais silencieuse, fière mais fervente, la mère attend que s'apaisent les années rebelles ...Ce sujet, très inhabituel en poésie, surprendra heureusement le lecteur français mais n'importe quelle mère d'adolescente s'y reconnaitra.

C'est l'une des richesses et originalités de la poésie canadienne: oser dire avec simplicité le meilleur comme du pire pour l'exorciser et en guérir.
Vous en avez eu quelques exemples avec la poésie de Claudine Bertrand, de Denise Desautels, présentées antérieurement sur le blog de La Pierre et le Sel, et celle de Louise Dupré présentée sur Le Temps bleu, articles qui restent accessibles par le lien internet, indiqué ci-dessous.

Bibliographie:
  • Autour du temps, Anthologie de poètes québécois contemporains, Éditions du Noroît, 1999

sur internet:

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