ADOLESCENCE
Dans cet espace que tu as établi
désormais entre nos corps
Je me tiens
Je voyage
De la rigueur de tes ruptures
à l'inévitable de ma perte
je voyage
De tes désirs à mon inquiétude
De tes silences à ma nostalgie
De ta porte close à mes bras vidés
Je t'en prie
Laisse-moi t'aimer encore
comme on aime une petite fille
Encore un peu
Parfois
Dans la persistance heureuse
de nos complicités matrices
je voyage
Tu es belle je suis fatiguée
Pourtant encore si vive je me tiens
Ma jeunesse n'est pas perdue
puisqu'elle est en toi
De tes chants à ma joie je voyage
De tes sarcasmes à mes fureurs
De ton amour troublé à mon amour
en désarroi
Ta jeunesse est une pudeur extrême
que je contemple du bout des cils
Tu te caches parchemin précieux
dans la nécessité de ton urne propre
Je me tiens
Sentinelle fragile
Ignorante
Ridée
De le splendeur de tes mouvances
à la ténacité de mes pertes je voyage
De mon enfance saccadée à la tienne
en miracle incomplet
De ta colère de mal entendue
à ma honte de répudiée
De mon sang qui s'en va
à ton sang qui s'en vient
Et je le bénirai
Que tu m'en montres ou non la couleur
je le bénirai
Ton premier livre t'en souviens-tu
C'était une toute petite dame
Tu seras la première
La toute première dame
Je te bénirai
Puisque nous ne nous berçons plus
De tes danses à mon pas
je voyage
De tes grandeurs à mes gloires
De tes conjugaisons à mes poèmes
De mes espoirs à tes rêves
En cette nouvelle face pour l'amour
Méconnaissable de toute évidence
Dans la nécessité aveugle de l'arrachement
Dans le dur contentement du don
Je me tiens
Sentinelle forte
Fière
Fervente je me tiens
Je voyage
Silencieuse
Au plus ultime de tes feux
in Autour du temps, Anthologie de poètes québécois contemporains, Éditions du Noroît, 1999,
p.p.33/34/35
Geneviève Amyot est québécoise, née en 1945. Ce texte figure dans une anthologie, qui rassemble un échantillon de quinze voix contemporaines québécoises.
Les poètes, nous dit la préface, ont joué le jeu d'écrire pour la circonstance à partir du thème: "Autour du temps". Le dit temps étant aussi celui de l'âge, mère comme fille ou petite fille, et de ses impondérables.
Le poète évoque, ici, avec simplicité un vécu douloureux.
Sentinelle forte mais silencieuse, fière mais fervente, la mère attend que s'apaisent les années rebelles ...Ce sujet, très inhabituel en poésie, surprendra heureusement le lecteur français mais n'importe quelle mère d'adolescente s'y reconnaitra.
C'est l'une des richesses et originalités de la poésie canadienne: oser dire avec simplicité le meilleur comme du pire pour l'exorciser et en guérir.
Vous en avez eu quelques exemples avec la poésie de Claudine Bertrand, de Denise Desautels, présentées antérieurement sur le blog de La Pierre et le Sel, et celle de Louise Dupré présentée sur Le Temps bleu, articles qui restent accessibles par le lien internet, indiqué ci-dessous.
Bibliographie:
- Autour du temps, Anthologie de poètes québécois contemporains, Éditions du Noroît, 1999
sur internet:
- un article de Roselyne Fritel à propos de Claudine Bertrand http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/05/claudine-bertrand-cette-voix-qui-renonce-%C3%A0-se-taire.html
- un article de Roselyne Fritel à propos de Denise Desautels http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2014/07/denise-desautels-il-faut-bien-que-la-beaut%C3%A9-vienne-au-secours-des-d%C3%A9sastres.html
- un article de Roselyne Fritel à propos de Louise Dupré https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3657709267519266914#editor/target=post;postID=3771849657791592522;onPublishedMenu=allposts;onClosedMenu=allposts;postNum=1;src=postname
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