Port des Barques

Port des Barques

lundi 29 février 2016

Liliane Wouters, en guise d'adieu


Apprenant par Poezibao, le décès de Liliane Wouters, survenu, hier, 28 février 2016, je m'empresse de lui rendre un dernier hommage avec deux de ses poèmes, parus dans Derniers Feux sur terre en 2014, chez Le Taillis Pré.

         Il paraît qu'en mourant nous reverrons
         le film accéléré de notre vie.
         Je ne sais pas, je ne suis jamais mort
         ou seulement un peu ce que je fus souvent.

         Que reverrai-je à ce moment?
         Sûrement pas les grands spectacles
         D'un monde pris dans le chaos
         mais les petits évènements
         qui nous marquèrent au fer rouge
         et qui brûlent toujours en nous.

         in Derniers feux sur terre, Le Taillis Pré, 2014, p.33

         Comment le dire simplement
         sur les milliards d'instants de notre vie
         presque tous sont des bulles
         qui crèvent aussitôt.
         D'autres – très peu – durent toujours
         pris dans le fleuve qui nous porte
         ils sont déjà l'éternité.

         ibid p.34

La poésie fait partie de ces instants précieux gravés dans l'encre de nos mémoires, dont nous vous sommes infiniment reconnaissants, chère Liliane Wouters.
Pour retrouver l'article précédent sur l'auteur, il vous suffit de cliquer sur le lien indiqué plus bas.
sur internet:

vendredi 26 février 2016

Jacques Josse une ombre entre les draps de sa mémoire

             

                De retour dans la lenteur de l'aube, sur une
         route qui file le long du littoral, érafler l'herbe
         rase, le sable, localiser deux blockhaus, n'en rien
         dire mais retourner, sans cesse, les poches de nos
         pensées perdues au creux des vagues, voire même
         en-dessous, là où veille à coup sûr un souffleur,
         un jeteur de mots tapi dans la position du péri
         définitif, capable de nous inviter à l'oublier un
         instant, de façon à ne pas rater l'éclat, la lumière,
         le sourire de la femme allemande qui se balade
         sur les bas-côtés.

         in Hameau mort, avec des encres de Tanguy Dohollau, éditions Jacques Bremond, 2014, p.31

Jacques Josse s'est vu attribué, pour Hameau mort ,le Prix Louis Guillaume du poème en prose 2016.

C'est à Françoise Ascal, que je dois sa découverte. Elle me recommande son recueil, Les Lisières, paru en 2008, chez Apogée. L'un et l'autre ont en commun le même éditeur et de fortes attaches paysannes, qui font écrire à Françoise, en quatrième de couverture de son Des voix dans l'obscur : "frontière poreuse, entre soi et le paysage originel, entre la chair et les mots, entre les vivants et les morts...".
Jacques Josse, comme elle, est de ceux qui portent fiévreusement en eux leurs racines.

Dans Hameau mort, l'auteur dépeint un monde resté en marge, celui des exclus, ceux de son hameau natal mais aussi de la Bretagne profonde. On y vivote, on y meurt de cirrhose ou bien pendu dans sa grange. Les femmes choisissent souvent le puits. Le poète entreprend de redonner vie à tous ces personnages, issus de la mémoire collective.
Tanguy Dohollau, qui illustre ce livre, vit également dans les Côtes d'Armor. Il est le fils du poète Heather Dohollau, décédée en 2013, à Saint Brieuc.

 Le ton en est bref, cinglant, inéluctable, tels ces deux poèmes du premier chapitre, Absente

          Elle n'a pas souffert, dit-il.
          La lune s'est simplement posée sur son visage.

          Tout est alors devenu blanc.
          Ce fut une histoire de chambre, de blouse,
          de piqûre...

          L'infirmière l'a aidée à passer
          pendant que vos phares balayaient la route,
          les arbres, les talus

          pour parcourir les trente kilomètres
          qui séparent la maison de l'hôpital.

          ibid.p.9


          Son visage ne se découpera plus sur l'eau noire
          de l'Élez.

          Ce soir, entre ténèbres et bas-fonds, seul un chien
          ivre à le cœur à boire du purin d'orties à petites
          gorgées.

          Elle, ensevelie dans sa tombe,
          se souvient à peine de la couleur du marais et de
          de la tourbe.

          Allongée, morte,
          paisible sous la terre,
          occupée à coudre une à une les larmes de la
          rivière,
          elle confectionne une écharpe de deuil

          pour serrer le cou du chien.

          ibid.p.11

Louis Guillaume attendait du poème en prose : condensation, rapidité des images, et sobriété. Ce recueil réunissait donc toutes les qualités requises pour obtenir ce prix.

 Jacques Bremond, l'éditeur, note pour sa part à la fin de Hameau :
"Ces bribes des temps disparus, des moments défunts, des morceaux de vies brisées englouties dans les creux des mémoires et des flots sur les landes mortes ont été enserrées sous une couverture de pur coton coloré, du Moulin de Brousses, dans la Montagne Noire audoise, réalisée à la main."
Les laissés pour compte de la vie trouvent là un accueillant linceul.

Jacques Josse, né en 1953, grandit à Liscorno, un hameau des Côtes du Nord – ainsi qu'on les nommait à l'époque. Ses personnages lui sont inspirés par des gens qu'il a connus ou croisés dans les cafés-bars. Dans chaque village breton, il y a au moins trois cafés-bars, sur la place entre la mairie et l'église.
Il travaille par la suite au tri postal, à Rennes, dans des conditions pénibles et tout en écrivant. Il commence à publier en 1979.

Peu de voix s'élèvent actuellement en poésie pour parler des laissés-pour-compte avec un ton si cru et si fraternel à la fois. Il pourrait tout aussi bien s'agir des habitants des cités ravagées des grandes banlieues.

En 2010, dans Journal d'absence, dédié à sa sœur défunte, il évoque ainsi ce travail de mémoire:

                Désirant prolonger un périple entamé depuis
         longtemps déjà, initié dès les premiers cahots
         d'une enfance larvée, minée, caressée par les
         mains tièdes du vent d'Ouest et par celles,
         plus froides, de dieu, de l'alcool et des morts,
         il rassemble des bribes, recolle les morceaux
         d'une histoire tragique, essaie de trouver assez
         de clarté en lui pour glisser une ombre entre les
         draps de sa mémoire.
                L'ombre recherchée n'a pas la teneur grise
         de la sienne. Elle s'avère plus souple, plus
         légère et surtout moins en prise avec la terre
         boueuse qui recouvrait, dès novembre, une cour
         de ferme où lui et sa sœur aimaient à s'attarder
         les soirs de pluie. Cette ombre-là gambadait
         près de lui. Elle avait les joues colorées et le
         rire facile. Elle n'a désormais plus d'existence.
         Elle est morte sans jamais dévoiler sa douleur.
         Elle a tenu à partir en fumée en se mêlant
         au vent jusqu'à devenir invisible et furtive.
         C'est ainsi qu'elle s'est diluée dans la bruine
         d'une fin d'après-midi, en mars 2004, dans
         les environs de Saint-Brieuc, avant de se
         perdre, pour de bon, dans le tumulte lumineux
         d'un ciel du bord de mer.

         in Journal d'absence, Éditions Apogée, 2010, p.p.9/10

Dans Hameau mort, une phrase de Thierry Metz, placé en exergue confirme la démarche:" Il va me falloir revenir d'où je viens."
 
                L'homme au pilon offre ses restes d'arthrose
         au soleil. Il fume debout près d'une faucheuse
         rouillée. Devant lui, il y a la maison éventrée où
         Eugène M., l'ancien-terre-neuvas, s'est pendu.
         Depuis peu, poutres pourries et ardoises cassées
         s'emmêlent et s'émiettent sous les ronces.

                Entre deux taffes, il revoit l'encordé, poussant
         une brouette sur laquelle était posé un fût rempli
         de langues et de joues de morues conservées dans
         du gros sel. Il rentrait tard par les fossés. Finissait
         sa tournée en gueulant aux fenêtres que c'était sa
         part de pêche, son quota de fatigue et de travail
         pour rien qu'il se devait de distribuer aux gens
         du hameau.

         in Hameau mort, éditions Jacques Bremond. 2014, p.53

La fatalité mène en tout lieu la danse, la religion n'offre aucune échappatoire, seule la boisson apporte l'oubli. Quelques écrivains et poètes l'ont payé de leur vie, à l'heure où la solitude prend l'eau... J'ajouterai volontiers Armand Robin à ceux évoqués plus bas. La révolte est palpable.

                L'envie d'aller servir un cognac à ses morts
         et de filer au cimetière en creusant l'obscurité à
         l'aide d'une lampe lui a traversé le crâne en une
         seconde.

                Autour de lui, le bois craquait, la nuit était
         froide, la solitude battait des ailes. Seule une
         ombre froissée sous terre semblait en mesure de
         retaper le regard de cet homme qui, boitant,
         descendait, fiole en poche, la route du bourg.

         ibid p.19

                Pris entre les remous et retenues, d'autres
         dormants, ses préférés, fissurent des parois de
         glaise et sortent dans la grisaille.

                Ils les repère, leur emboîte le pas. Ils
         zigzaguent sous les lampadaires. Ou près des
         oyats, au ras des dunes. Ils font de grands gestes.
         Sinuent des ruelles au port. Se nomment Corbière,
         Elléouët, Lequier...

                Ils portent des nuages, des bouteilles, des
         livres – toute une misère – aux ordures.

         ibid 27

Vision claire d'un semblant d'absence au monde, paru en 2003 chez Apogée, réunit les poèmes écrits
entre 1985 et 2001.
Lionel Bourg en rédige la préface : c'est de vivre dont il s'agit d'emblée, ou de survivre, de se bâtir un corps avec ce qui toujours échappe, et tombe, s'anéantit en un instant, ou, pareil à la nuit  qui partout s'abîme, recouvre l'étendue d'un pays où la chienne fait bon ménage avec des voyageurs égarés.

L'écriture sert souvent à exorciser et survivre, mais dans un long entretien, accordé à Mathieu Brosseau, sur Le Sofa, dont vous trouverez le lien en annexe, Jacques Josse tient un discours plus dynamique :
Ce n'est pas la mort elle-même qui circule ainsi dans mes textes mais plutôt ceux qui ont  
 franchi la frontière et se trouvent de l'autre coté. J'essaie parfois à ma façon de leur faire changer de berge. Finalement cette rôdeuse aurait plutôt tendance à décupler mon envie de vivre.

Il y  dit également avoir renoncé à écrire de la poésie. J'ai cependant retenu de son anthologie quelques poèmes, cités dans un ordre chronologique, qui affirment le contraire.Vous en jugerez par vous-mêmes.
        

          demain
          je me parlerais
          d'une enfance bâtie
          sur pilotis de paille
          quand on jouait à réveiller
          les morts avec nos doigts,
          des odeurs de fruits rances
          sur les lèvres, le verbe
          branché sur le vent
          des oublis.

          in Vision claire d'un semblant d'absence au monde, Un jour plus d'autres, Éditions Apogée,      2003, p.34

L'emploi du conditionnel dans: demain je me parlerais, laisse entendre que le fait de témoigner est encore à venir et exigera une plus grande audace.

          la nuit
          sème du grésil
          & des éclisses de lune
          ou du ciel sous la nuque
          du promeneur endormi sur un banc

          puis, du noir dans les yeux,
          ne tenant plus son cœur en place,
          elle lui plante
          le couteau rouge & or
          du soleil dans le ventre.

          in Vision claire d'un semblant d'absence au monde,p.39

Le sort en est jeté, le promeneur éventré se fait le chantre des désespérés.

          le dos tourné à la Manche
          & les talons rivés sur le bord
          d'une falaise de granit rose

          notre frère, l'écorché tiède,
          se prépare à son tour

          victime de l'épidémie
          qui ravage le village

          c'est ce soir
          qu'il s'invente

          un destin à la 22 long rifle.

          in Vision claire d'un semblant d'absence au monde p.44


         ici
         quand
         un homme
         se mouche
         dans un verre de bière
         on entend rouler
         des paquets de mer
         sous sa langue
         il évite le regard
         de celui qui sait
         tout sur sa croix
         derrière le zinc.

         ibid Fenêtres de sable, p.73

         la vie
         est devenue
         froide comme un chien
         de fossoyeur qui joue
         avec des os sous terre
         les yeux ouvrent le lac noir
         que cachent des paupières scellées
         du dehors au-dedans des rêves
         plus personne n'ose
         imaginer la danse mauve
         du vent sur les tavelures
         d'une peau de morte.

         ibid Autres petits morts, p.88

Toujours des morts violentes, partout les mêmes blessures, les mêmes douleurs et s'il s'agissait d'une délivrance comme le laisse entendre la phrase de Jean Tardieu, mise en exergue à Il flâne: "Se disperser et se perdre n'est pas forcément une chose tragique mais peut-être une délivrance?"

            Georges. Son visage est dans les mémoires. Sourire
          d'algues, barbe grise. Rides tailladées au burin, casquette
          collée sur le front, pipe au bec parfois...Avec ce trop-plein
          de gentillesse au coin des lèvres et le cœur qui débordait
          sans cesse. Il s'est pendu mardi soir. Sa femme a dit qu'elle
          l'a trouvé vers vingt heures. Il était au-dessus de la porte
          du garage. Ses jambes flottaient dans le vide. Elle a
          d'abord coupé la corde avant de téléphoner aux pompiers
          et de s'asseoir dans l'herbe.

          ibid Il flâne, p.125

           Au milieu des lilas, des roses, du sapin qui meurt et des
         mouettes qui suivent la herse du voisin,
           on le voit qui sort de l'ombre. Il avance en titubant. De
         de temps à autre sort une fiole de sa poche, la porte à sa
         bouche,
           à l'écart, sans recul,
           pratiquement au bout de la terre,
           revenant du cimetière, marchant en costume noir sur la
         route, avec le halètement des vagues dans la tête.

         ibid p.127


Le long poème qui suit, intitulé Des étoiles dans le cœur, du nom d'un recueil paru en 1997, déborde de tendresse filiale à l'évocation de la mort de son père.

         Il est tombé
         le septième jour
         du mois de septembre

         je préfère dire
         dans les fleurs – parce que
         les pommes ça sera
         pour plus tard –

         personne
         ne s'est douté
         de rien, et même pas lui,
         j'en suis sûr,

         il est tombé, comme ça,
         comme un oiseau qui perd
         l'équilibre à cause des ailes
         qui n'en peuvent plus de battre
         l'air pour se maintenir
         entre ciel et terre.

         Son cœur a lâché la joie
         pour l'ombre obscure d'un midi
         qui s'est teinté de noir

         Il a simplement eu le temps
         de regarder le soleil, la ligne bleue,
         un héron cendré près de la berge,
         l'herbe haute, sans doute,
         entre le talus et la rivière...

         Il est tombé
         comme une mésange,
         un bouvreuil, une hirondelle
         mais c'était un homme avant tout,
         un père, un mari, un frère
         à bout de souffle en fin d'été.

         Une voix lointaine,
         une vie fragile à l'autre
         bout du fil
         est venue nous prévenir,

         elle n'a pas trouvé
         de mots plus justes, plus doux
         que cette comparaison avec l'oiseau
         qui oublie de voler
         pour atténuer notre douleur.

         ibid Des étoiles dans le cœur, p.p.135/136

De la mort de sa mère, dans Linges rendus à la lumière fertile, il écrit ces vers d'une infinie délicatesse:

         (...)

         ne dis rien
         des nuages délavés,

         rien du cours
         passé de la douleur,

         rien
         de l'utopie
         que l'on ouvre
         au couteau

         pour en extraire
         les iris mauves

         d'un fantôme qui claudique
         dans les couloir du vent

         (...)

         plus loin,
         vers l'Orient,
         les cendres d'une mère
         flottent sur la rivière.

        
         il reste
         aux linges

         taillés dans d'infimes
         poussières

         et mis à sécher
         sur le fil de l'intuition

         à devenir feuilles mortes.

         ibid Linges rendus à la lumière fertile, p.142/146/147

 Jacques Josse a l'art de faire re-vivre dans une fraternité pudique tous ceux dont on ne parle que rarement et qui croisent aussi bien nos routes.

Vous découvrirez en annexe sur internet les multiples aspects de l'écriture de l'auteur, qui a à son actif une bonne trentaine de livres.

Bibliographie:
  • Hameau mort, encres de Tanguy Dohollau, Éditions Jacques Bremond 2014
  • Vision claire d'un semblant d'absence du monde, Éditions Apogée 2003
  • Journal d'absence, Éditions Apogée 2010
  • Les Lisières, Éditions Apogée 2008            
sur internet:


vendredi 19 février 2016

Brigitte Baumié états de la neige


                            3

          maison cocon
          la neige monte aux fenêtres
          un peu de ciel subsiste
          lumière blanche et douce
          le lit accueillant
          où tu es nu

          États de la neige, Color Gang édition 2011, p.11
          
 Brigitte Baumié rédige, sous le titre de États de la neige, une suite de petits textes contemplatifs d'une grande sensibilité, qu'elle situe en pleine nature sauvage, dans un pays de grands froids et de lacs, où les étés sont brefs et la neige précoce.
Par petites touches intimistes, qui évoquent les haïkus japonais sans en être, elle analyse au quotidien les fluctuations d'une vie amoureuse dans ce décor blanc et feutré, dont le silence et la beauté masquent les failles .
D'un hiver à l'autre, ces États de la neige sont autant d'états du cœur avec leurs éblouissements, hésitations et désillusions.

Quatre gravures de Philippe Tardy, ainsi que quatre poèmes de facture très différente, illustrent  chacune des quatre saisons. Ils précisent l'état de la neige : ci gèle, ci glace dérive, ci neige effacée, ci neige en attente, ci neige en suspens...
Rédigés dans un style télégraphique, sans le moindre article, ces poèmes résonnent à l'oreille sur un rythme saccadé, nous rappelant que Brigitte Baumié est également musicienne.


         Hiver

         ci gèle gît tu neige est fausse douceur
         ci blanc gît bien sûr poudre aussi
         ci blanc abstrait cristal
         envolée poudreuse
         ci-gît tu crois
         tu peux marcher sur l'eau
         ci neige mur vertical brûlant
         pour perdre
         se perdre
         plus que neige enveloppe
         ci-gît neige gelée au matin

         in États de la neige, Color Gang édition, 2011, p.7

Elle a créé et anime, avec Michel Thion, poète, l'association Arts Résonances, auprès de sourds, dans l'Hérault.
Elle est présente, chaque été depuis sa création, au festival Voies Vives, à Sète, où elle anime des ateliers de création poétique et de lecture en langue des sourds.
On lui doit la première anthologie de poésie en langue des signes : Les mains fertiles, 50 poèmes en langue des signes, parue aux Éditions Bruno Doucey, en 2015.
   
        

                             21

         vent
         l'air épais de neige
         ni jour ni nuit
         des tourbillons de gris
         laiteux et hurlant
         la maison est île ou bateau
         on prépare une soupe chaude avant de larguer les voiles

         in États de la neige, Color Gang édition, 2011, p.20


                            5

         sur la berge
         on sait qu'au pas suivant on marchera
         sur l'eau
         la différence est imperceptible
         la neige juste un peu plus
         désordonnée

         ibid p.12

                             47

         laisser la neige se poser
         un flocon sur ta main
         juste voir cela

         ibid p.33

                            53

         nous avons laissé l'empreinte de nos visages
         dans la neige légère
         souffle retenu
         ombres bleutées
         plus denses avec le soir
         nous observons ces visages à l'envers
         s'emplir de nuit

         ibid p.36

                             59

         derrière la maison
         à perdre haleine
         dans la neige

         ibid p.39

                              20

         marchant dans tout ce
         froid
         l'émoi de ta chaleur
         en moi

         ibid p.19

                             62

        avec les mots que tu dis
        j'invente des histoires que je pose sur la neige
        j'essaie de me débrouiller de ceux
        que tu ne dis pas

        ibid p.40

Nul besoin de lire ce recueil dans l'ordre établi. Chacun de ces états s'accorde ou non avec celui du lecteur. Il y vient et y revient à son gré, ce qui en fait un livre de chevet, qui offrirait juste:

         des provisions
         images
         mots
         silences
         pour tenir l'absence

         ibid p.41

De la taille d'une main, il peut se glisser dans une poche, couvre quatre saisons d'une vie et bien plus... Il ne se quitte plus, ne s'oublie pas davantage. Avec lui, tout en douceur, le cœur et la pensée voyagent.

 Bibliographie:
  • États de la neige, éditions Color Gang 2011.
sur internet:
        

vendredi 12 février 2016

Anise Koltz l'alphabet du silence

         Dans chaque pierre
         une maison
         rêve d'exister

         in Un monde de pierres, Arfuyen 2015, p.9

Anise Koltz, à quatre-vingt-huit ans, reste la grande voix de la poésie luxembourgeoise, avec qui j'ai eu le plaisir d'échanger suite à deux articles rédigés pour La Pierre et le sel, en 2011 et 2012.
Son récent recueil, Un monde de pierre, nous régale d'une écriture, qui a conservé tout son mordant, son humour et sa profondeur.

         Comme le visible
         reste invisible

         J'ai inventé
         la seconde
         la troisième vue

         ibid p.96

Forte de ces atouts, elle arpente ce monde de pierres, où il n'est pas bon de perdre ses repères.

         Dans chaque vie
         il y a une autre vie

         Je suis née
         et pas née

         Ma mort
         n'a ni fin
         ni commencement

        ibid p.10

        Ma naissance n'existe pas
        c'est un nombre
        qui ouvre le ventre de ma mère
        comme un coffre-fort

        Ma mort n'existe pas
        c'est un mirage
        j'ai existé avant moi
        le temps m'a plagiée

        Avec le ciel et l'enfer
        sous mes ongles
        je marche
        vers mon inconciliable éternité

        ibid p.p.10/11

Rebelle dans l'âme et ne mâchant pas ses mots, elle demeure sans pitié pour sa mère, la mort et elle-même. Par contre, elle s'acharne à déchiffrer les signes de cette longévité en écriture et tous les autres signes de vie, qu'elle choisit de désigner.

         Le Nil
         connaît son parcours

         Nous aussi suivons la voie
         inscrite en nous

         La source de nos paroles
         est dans le murmure de l'eau

         Comme le fleuve
         nous passons
         tout en demeurant

         ibid p.76


         Les anciens Égyptiens
         couvraient les murs
         de leurs chambres funéraires
         de signes écrits

         J'inscris mes expériences
         sur les panneaux de silence
         de ma chambre

         Des ébauches d'images
         sont gravées sur mes rétines
         comme un héritage ultime

         Contenant testaments
         et prophéties

         ibid p.77

Le réel ne lui échappe pas mais elle s'autorise le rêve.

         Tant de choses passent
         que je ne sais assumer

         Combien de fois
         devrai-je renaître encore?

         Personne ne connaît
         mon cosmos intérieur

         Les paradoxes
         les rébellions de mes profondeurs

         Mon présent
         est déjà passé

         Mes rêves
         suspendent des filets nébuleux
         dans l'espace

         ibid p.81

Chaque poème, écrit sur le ton du monologue intérieur, invite le lecteur à faire sa propre introspection.
 Mon passé est la réponse / à la question du futur affirme-t-elle, telle la résistante qu'elle a été dans sa jeunesse.

         La mort naît
         avec chaque vie

         La terre promise
         est restée sans promesse

         Je m'associe aux pierres
         délirant au soleil

         Comme elles
         je suis une constellation
         perdue
         dans l'univers

         ibid p.80

Bien que sans illusions, elle s'avère "une illusionniste" géniale :

          Chaque matin
          après lui avoir brossé les ailes

          Je range mon ange gardien
          dans le placard

          ibid p.106

Si chacun en faisait autant, la vie serait plus légère! Le mieux serait de lire Anise Koltz, comme on avale un gin tonic, avant de regarder le monde en face.

          La nuit roule
          sur les toits

          Les signes s'effacent
          la cicatrice de naissance s'ouvre

          Chaque rupture
          est un nouveau recommencement
          une nouvelle alliance

          Pour exister
          nous avons besoin
          d'ailes solides de rapace

          ibid p.111

Aux rapaces, il faut des ailes mais aussi du souffle, ce vent du nord, soulève et dynamise celui ou celle qui n'a jamais rêvé assez loin!
Le miracle poétique s'accomplit magnifiquement sous nos yeux.

           Je t'ai retrouvée
           pierre différente des autres

           Je t'ai rechargée de mon sang
           prête à mourir
           pour te garder en vie

           ibid p.152

           Approche-moi
           enfant inapprochable

           Je t'avais désapprise
           mais tu as éclaté à nouveau
           en mon corps clairvoyant

           Réglant mes saisons
           changeant mon sang

           De toi
           jamais je ne guérirai

           ibid p.153


Bibliographie:
  • Un monde de pierres, Arfuyen 2015
sur internet:

deux précédents articles de Roselyne Fritel sur la Pierre et le sel:

http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2011/11/anise-koltz-dans-linsurrection-du-verbe.html


http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/06/anise-koltz-soleils-chauves.html


vendredi 5 février 2016

Patrick Laupin chacun est seul comme le soleil est seul



         La main secourable

         Mais sache nous n'étions pas triste
         nous ressentions seulement l'intuition muette
         jusqu'à l'inaudible
         et comme il est difficile d'écrire
         quand vous ne reconnaissez plus rien
         de ce que vous savez aimer
         dans votre être tout s'élide
         et reste ce trait vague d'intermittence au cœur
         ou la pluie qui témoigne comme une parenthèse
         infinie, ouverte
         un couloir de plein vent, un trou d'irréalité
         des choses coutumières et psalmodiées en vain
         et au plus indolore de soi une chose essentielle
         brûlante de mystère et d'énigme simple
         demande le nom qui la délivre
         Nous en trouvions l'issue seulement
         après bien des naufrages
         dans ce presque gisant linceul
         des blessures de la mémoire
         et l'inertie d'une lettre muette
         comme une chose
         inutile et froide
         jetée à terre
         Et puis chacun est seul comme le soleil est seul
         et un grand trait de distinctivité pure
         éclaire dehors les feuilles d'arbres
         Le ciel est alors le signe même de l'espérance
         car il semble indifférent à jamais
         à notre peur naïve d'atteindre
         et dans ce ciel tout chavire si vite
         des heures d'ancienne gare qui font mal
         un visage derrière la vitre
         des maisons mortes comme si ce n'était rien
         cette amertume sans histoire qui descend
         effeuille vague après vague la consonance froide
         et coupe en plein cœur le passage
         Et l'on regarde les arbres ajourés de blanc
         la galerie ruinée des rotondes
         l'eau goutte à goutte sur les feuilles
         le tocsin têtu des choses
         dans le tremblement presque muet de l'air
         et le corps d'instinct désaccordé aux choses
         Comme si nous ne retrouvions plus la porte secrète
         de notre propre manière de ressentir
         on reste à l'extrémité des choses et du geste
         dans une périphérie gelée & enclose
         On passe des heures à écouter sans mot
         le hiéroglyphe de la pierre
         ou la version italique des arbres
         qui ne connaissent pas ce sentiment natal
         d'être en prolongement de soi
         Puis la migration visible des grands ciels
         où se réfracte étrangement
         en coupole opaque de blancheur
         le bruit des mots qui s'endorment
         On s'égare dans le ravin du monde
         on n'aime rien que l'irradiante opale du vent
         le chemin sous les arbres et le respir du souffle
         le miracle du ciel vide
         deux mains qui se rejoignent loin
         Presque une plénitude de ce vide et de ce rien
         personne ne dénoue les heures
         la prodigalité de la lumière est seule
         Et la découpe oblique des chenaux sur le ciel
         presque trop bleue tranchante
         de sa masse irradiante pourtant d'un seul aplat
         jetée par la main mystérieuse et froide
         avec rien que la grande pureté salubre
         de la pluie lointaine
         Et se voit toute la vision de l'air
         qui semble appeler je ne sais quelle voix
         comme implorer très seule dans ce las mystère
         d'attendre quoi
         On a envie de dire Salut soleil Mais on se tait
         et le grand rire naufragé des intelligences
         qui passe au parapet du rythme
         encore plus près du ballast d'un monde physique
         qu'aucune incarnation ne l'a jamais dite
         Et la lumière dorée sur le mur ocre du chagrin
         fait comprendre si vite que tant de jours
         s'abolissent sans secours
         dans cette lente irradiation du monde blanc
         où le langage se défait mot à mot lettre à lettre
         Et l'on murmure de mi-voix seul
         de peur d'être entendu ou bien montré du doigt
         comme un fou un homme invraisemblable
         de toucher au dénuement du monde muet
         qui tremble en soi
         Et puis chaque trait d'encre sort du néant
         comment ne le voyez-vous pas
         comment n'entendez-vous pas
         ce qui vient à pas vivant
         Mais vous ne pourrez noyer ma tristesse
         ma tristesse seule d'être humain

         in Œuvres poétiques, tome I, La rumeur libre, Corps et âmes, éditions La rumeur libre 2012,  p.p.84 à 87

On chavire tête la première dans ce poème, happé par son souffle épique dans une spirale d'irréversible solitude. Qui osera tendre la main secourable?
Noir mais superbe, ce texte mérite qu'on le lise jusqu'au bout, qu'on s'en imprègne, qu'on le vive de l'intérieur et y revienne. Le déferlement des images, leur âpreté en font un témoignage bouleversant. L'être humain y affronte une à une ses contradictions mais, à l'image du soleil, il n'en cesse pas moins de resplendir.

Étrangement la blancheur est partout présente dans cette anthologie : celle de la lumière blanche ingouvernable, couleur d'opale, que l'on mendie, celle de la pluie criante de blancheur et de la longue nuit blanche que l'on quitte pour s'asseoir face au soleil, la voix par la fatigue devenue blanche. Le bleu, l'ocre et le jaune alternent avec cette frêle blancheur du blanc et ces maisons jaunes dans le soleil.
Derrière un halo de blancheur farouche, il n'est que l'homme qui soit triste de naissance, mais quelle audace pour en parler !

Le texte précédent a été publié pour la première fois en 1993, le suivant en 1985; l'auteur a choisi de ne pas respecter la chronologie lors de la publication récente de ces anthologies I et II. Le ton et l'inspiration restent les mêmes.

         Nous avons longé la nuit. Sans nous retourner. Derrière nous la rive. Toi. Moi.
         J'ai conservé  l'odeur de tes tempes. Le noir de tes cheveux. Un peu de ta salive et de ton sang.
         Comment désormais oublier. Avancer. Avec tout ce que nous avons laissé derrière nous.
         Sans nous retourner. Je suis un peu de ta salive et de ton sang. Qui coulait. Un peu de ta voix.
         Où je revenais. Dans ta gorge serrée. Et qui parlait. Je ne suis pas lavé de toutes ces fuites, de
         tous ces abandons, quand nous partions dans la nuit, toi et moi, poussés par la peur. Je suivais
         tes yeux. Le jour ne venait pas. Nous éloignait. La douleur est restée derrière nous. Un peu de 
         gris reste attaché au souvenir de tes yeux. Je ne sais plus avancer. Aujourd'hui remuer les
         débris de tout ça, de tout ce ciel étouffé dans ma voix. Tout ce qui lentement su nous déchirer,
         nous gagner. Comme ces branches ces fougères que nous frôlions des doigts, du visage, en
         marchant.
         Quelques images demeurent là-bas, tournoyantes, ensoleillées. Les brumes matinales roulant
         au fond du val, ces grands vols de colombes, beiges et blancs, au-dessus du lavoir. La terre ocre
         ravinée par les pluies, l'éboulement des sols, la bruyère et l'éclat de la rocaille comme un
         incendie soudain des voix. Ces pierres refermées sur elles-mêmes, lavées du sommeil. Et le
         bruit de ton pas, enseveli dans cette terre compacte de nuit, d'oubli. De tes deux mains
         encerclant mes genoux, dans ces gares où la voûte transparente gelait les étoiles. L'immobile est
         venu sur ton visage renversé, sur ton sang et sur tes lèvres. Pour ne plus parler. Je garde
         quelques lettres de toi. Sans que tu ne me voies jamais errer, ni me perdre. Le silence de ces 
         matinées. La fenêtre. La faïence pâle de la cuisine...

         in Œuvres poétiques, tome II, Ces moments qui n'en deviennent qu'un, Autobiographie blanche, La rumeur libre, 2012, p.p.61/62

Pour mieux comprendre cette œuvre, il faut savoir l'attachement viscéral du poète à la région minière des Cévennes, où vécurent et travaillèrent nombre des siens jusqu'à la fermeture des exploitations. Deux mondes constamment opposés, nature méridionale baignée de lumière et labyrinthes souterrains, s'affrontent en lui.
 La blancheur s'impose pour contrebalancer la présence de la mine, l'obscurité redoutable de ses galeries, la permanence des dangers qu'engendre le métier.
La même blancheur accueille aussi la remontée du mineur au grand air, à la lumière, à la vie et vaut d'être célébrée.

 Dans la préface de son livre, Les visages et les voix, Le chemin de la grande combe, Patrick Laupin s'en explique:

         La cité des mines fut pour moi ce lieu des signes. Aujourd'hui encore les sensations
         d'alors interviennent comme rythme d'ouverture et de fermeture de mes propres perceptions.
         Comme s'il me fallait déchiffrer, traduire, cette blancheur évasive des choses inécrites.
         Lorsque l'intuition a fini momentanément de résonner en nous, nous sommes momentanément
         libres. Je crois qu'enfant, j'ai pressenti le courage et la fatigue, le corps écrit, le retour du
         nocturne, et le bonheur du jour, toute cette impassibilité muette de matière amoncelée en eux
         tel un cœur mystérieux de l'univers. Là où la présence transmet l'énergie vibrante d'un langage.
         Là où au-delà de l'ordre inversé du monde existent des histoires vraies, d'uniques, de secrètes
         paroles.
         (...)
         Je crois que j'écris parce que j'ai pressenti ce continent muet, quelque chose d'insondable,
         d'inexprimable et qui m'arrive dans la vitesse du langage à fleur de peau. Au moment où
         l'intuition de la vie est ressentie la plus forte, tout le langage semble faire défaut.
         Mais c'est alors que naissent les mots si nous avons la patience de croire et d'attendre.
         (...)
         in Les visages et les voix, Cadex Éditions, 1991, p.p.17/18

Nourrie de ce passé à la gravité douloureuse, l'écriture de Patrick Laupin prend toute sa profondeur.
Elle rejoint la voix d'autres auteurs, tel Jorge Semprun dans L'Écriture ou la vie, qui, évoquant tout autre chose que la vie des mineurs, décrit ce que peut être une vie vécue dans le sentiment constant de l'imminence de la mort: "Personne ne peut se mettre à ta place, pensais-je, ni même imaginer ton enracinement dans le néant, ton linceul dans le ciel, ta singularité mortifère. Personne ne peut imaginer à quel point cette singularité gouverne sourdement ta vie: ta fatigue de la vie, ton avidité de vivre; ta surprise infiniment renouvelée devant la gratuité de l'existence; ta joie violente d'être revenu de la mort pour respirer l'air iodé de certains matins océaniques, pour feuilleter des livres, pour effleurer la hanche des femmes, leurs paupières endormies, pour découvrir l'immensité de l'avenir.

Patrick Laupin est l'auteur d'une œuvre dense et prolifique, qui couvre plus de 593 pages de poésie et de proses pour les tomes I et II de Œuvres poétiques. Il a reçu, à l'occasion de la sortie de ce livre, le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres, en 2013. Il était l'invité du Festival Voies Vives à Sète en 2014. Il vient de se voir attribué le Prix Kowalski 2015, pour son recueil, Le dernier avenir.

 Sur le rabat de couverture de ce dernier livre, l'auteur précise: "Je m'intéresse à la lecture et à l'écriture, tout autant qu'au travail avec les autres, depuis le jour où j'ai réellement compris et ressenti que les voix des autres qui parlaient en nous nous donnaient vraiment quelque chose de mobile et recréateur."
Le style et la mise en page sont tout autres, le ton reste vigoureux. Un dessin d'enfant, placé en couverture s'intitule, tel un cadeau,  La Confidence. La première page se lit comme une déclaration d'amour à la voix de la poésie:
 
           Tu es venue à moi et je t'ai aimée tout
          de suite Un langage comme une barque,
             crécelle, boite à musique, un théâtre
          d'ombres, un manège ou un kiosque Un
            langage qui m'a fait chercher toute ma
           vie qui était derrière la chair parlée des
           choses Qui était vivant dans les petites
           lettres sous la rature et leur mur ébloui
             d'infini La vie n'est pas une option et
             on ne peut pas rétrécir jusqu'à pauvre
             fil sans mémoire Je suis resté celui qui
             t'attend L'éternel étudiant des voix qui
            persuadent et qu'on ne traduit pas J'ai fait
            porte étroite de mes rêves à la passion des
            ponts du soupir Je pourrais même donner
                des dates à mes intervalles et longs
               silences Un nom à cette chambre entre
             le rêve spontané et ton corps Un parfum
             têtu de chèvrefeuille au nu de tes épaules
                         À la manière des amants

             in Le dernier avenir, La Rumeur libre, 2015, p.11

Ces pages libérées, rédigées comme un testament, mais germes d'espoir, semblent écrites pour être lancées à toute volée.  Beauté et bonté – très franciscaines – nous tiendront lieu de conclusion. Leur souffle, dispersé par un brise bienveillante, fera longtemps écho.

           (...)

           Je rêve, passant le portail, à un Livre
           Style allègre, vif, vocabulaire souple,
        intense Un mode direct d'approche Un
      moi non composé Chose fluide qui laisse
        planer les ailes de l'inspiration L'esprit
            prendre son envol Intact Un surplis
       végétal qui rende la sève et la différence
            entre l'ébauche et le règne Nous tel
          qu'on sera à la seconde suivante si on
        passe C'est la fin de la clause du mal des
         Ténèbres Tous ces jadis naguère "Si tu
          me touches Je m'isole" Maintenant je
          prends au sérieux l'habitude des gens
        qui se taisent tellement ils se demandent
             si quelque chose existe vraiment
        Maintenant tu n'es plus là Je fais silence
                   "Si tu souffres je te cache"
        Les mots ne sont pas précieux par le
         seul sens qu'on leur donne mais par
           la différence qu'ils marquent entre
       plusieurs moments de la vie. Ma vérité
       tiendra toujours un peu à l'hélice rose
        des moulins du matin, des prières du
       vent, à la vétusté des choses sur l'étal
          d'un bazar, l'écorce d'érable ou de
      tilleul, les ballots de laine, coton, soie
         allégée, fichu par côté Et ton long
       soupir d'épaule pour monter la pente
       Je ne crois pas en dieu mais au divin
      J'ouvre la porte J'entre Le cou gracile
      des anémones s'incline en vrai sourire
    et invite les oiseaux à franchir la fenêtre
     Ils entrent et font mine de comprendre
       ils disent que pour écrire il faut être
     ensemble se rassembler et ne plus avoir
      peur Faire confiance et deviner qu'une
        âme c'est quelque chose qui tombe

(...)
         ibid p.146/147

Bibliographie:
  • Œuvres poétiques, tomes I et II, La Rumeur libre, 2012
  • Les visages et les voix, Le chemin de La grand-Combe, Cadex éditions, 1991 
  • Le dernier avenir, La Rumeur libre, 2015
sur internet :