Port des Barques

Port des Barques

mercredi 30 décembre 2015

Pierre Reverdy en guise de voeux


                                   Beaucoup de sagesse...

            Quels souhaits formuler pour les hommes en ce moment où la folie
         et la brutalité se sont mises, une fois de plus, au premier rang?
            La paix n'est déjà plus qu'une feuille sans poids qui vibre et tourne
         au vent qui annonce l'orage.
            Quels vœux si ce n'est d'abord que leur intelligence et leur sagesse
         politique augmentent en raison directe des merveilleux et inquiétants
         progrès accomplis dans le domaine scientifique afin qu'ils cessent d'être
         pour eux l'angoissante menace d'une effroyable arme à double tranchant.
             Des vœux pour qu'ils soient préservés, par cette lucidité et cette
         force de jugement, du désordre et du chaos où semble les entraîner
         la perpétuelle et frénétique poursuite d'un nouvel ordre dont la
         moindre occasion permet de constater qu'il sera certainement et
         insupportablement pire que l'ancien.
             Et des vœux enfin pour que ne les abandonne pas la chance. Cette
         chance qui fait que le monde existe encore, malgré l'erreur et la
         sottise, les travaux et les peines dont il a eu à supporter la charge
         écrasante de tous temps.
              Mais, cette fois-ci, la chance de pouvoir bien sentir et
         comprendre que la responsabilité et les risques augmentent avec la
         puissance, et que le feu avec lequel il ne faudrait pas trop imprudem-
         ment jouer aujourd'hui est plus ardent que celui dont il fallait se
         méfier hier et qu'il faut plus que jamais savoir s'arrêter à temps.
              Et pour la France, ce sont, bien entendu, les mêmes, avec un peu
         plus de sévérité et de tendresse seulement.

                                                                              (Le Figaro littéraire, 29 décembre 1956)

in Écrits sur l'Art et sur la Poésie, Pierre Reverdy, Œuvres complètes, Tome II, Flammarion 2010, p.1.323

Le poème qui suit est également de Pierre Reverdy, il célèbre le passage de l'an et le lever de la lune comme cette photo prise de ma fenêtre le 24 décembre dernier.



      
         Fronton

         Le soir se dégageait des murs tournants
         Un long manteau traînait derrière
         Une voix douce le long des portes
         Et sans mélancolie
         On écoutait
         On attendait aussi
         La nuit
         Et le ciel nouveau qui viendrait
         D'un bout à l'autre du cirque l'air vibrait
         Et l'eau glissait sous la fontaine
         Au milieu de la place où naît le jour
         Quand l'horizon s'entr'ouve à peine
         De l'autre coté il y a des ombres qui s'en vont
         Des rumeurs qui s'élèvent au-dessus des maisons
         D'autres portes qui s'ouvrent
         Et les fenêtres boivent
         À la façade où coulent les rayons
         Enfin personne ne regarde
         Pas un seul ne fait attention
         À cette tête ronde et large
         Qui tourne et rit près du balcon

          in Œuvres complètes, tome II, Pierres blanches, Flammarion 2010, p.252

Bibliographie:
  • Pierre Reverdy, œuvres complètes, tomes I et II, Flammarion 2010
sur internet:
  • un article d'Hélène Millien à propos de Pierre Reverdy sur la Pierre et le Sel
 http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/04/pierre-reverdy-un-po%C3%A8te-mystique-%C3%A0-laube-du-surr%C3%A9aliste.html

vendredi 18 décembre 2015

Marie Noël, à l'approche de noël

                                                                    L'œuvre du sixième jour

                                                                                Racontée par Stop-chien à ses petits frères


   Dès que le chien fut créé, il lécha la main du Bon Dieu et le Bon Dieu le flatta sur la tête.
          – Que veux-tu, Chien?
          – Seigneur Bon Dieu, je voudrais loger chez Toi au ciel, sur le paillasson devant la porte.
          – Bien sûr que non! dit le Bon Dieu. Je n'ai pas besoin de chien puisque je n'ai pas encore créé les voleurs.
          – Quand les créeras-Tu, Seigneur?
          – Jamais. Je suis fatigué. Voilà cinq jours que je travaille, il est temps que je me repose. Te voilà fait, toi, Chien, ma meilleure créature, mon chef-d'oeuvre. Mieux vaut m'en tenir là. Il n'est pas bon qu'un artiste se surmène au-delà de son inspiration. Si je continuais à créer, je serais bien capable de rater mon affaire. Va, Chien! Va vite t'installer sur la terre. Va et sois heureux.
Le Chien poussa un profond soupir.
          – Que ferais-je sur la terre, Seigneur?
          – Tu mangeras, tu boiras, tu croîtras et multiplieras.
Le Chien soupira plus tristement encore.
          – Que te faut-il de plus?
          – Toi, Seigneur mon Maître! Ne pourrais-Tu pas Toi aussi, t'installer sur la terre?
          – Non! dit le Bon Dieu. Non, Chien! je t'assure. Je ne peux pas du tout m'installer sur la Terre pour te tenir compagnie. J'ai bien d'autres chats à fouetter. Ce ciel, ces anges, ces étoiles, je t'assure, c'est tout un tracas.
Alors le Chien baissa la tête et commença à s'en aller. Mais il revint.
          – Ah! si seulement, Seigneur Bon Dieu, si seulement il y avait là-bas une espèce de maître dans ton genre.
          – Non, dit le Bon Dieu, il n'y en a pas.
Le Chien se fit tout petit, tout bas, et supplia plus près encore.
          – Si Tu voulais, Seigneur Bon Dieu...Tu pourrais toujours essayer...
          – Impossible, dit le Bon Dieu. J'ai fait ce que j'ai fait. Mon œuvre est achevée. Jamais je ne créerai un être meilleur que toi. Si j'en créais un autre aujourd'hui, je le sens dans ma main droite, celui-là serait raté.
           – Ô Seigneur Bon Dieu, dit le Chien, ça ne fait rien qu'il soit raté pourvu que je puisse le suivre partout où il va et me coucher devant lui quand il s'arrête.
Alors le Bon Dieu fut émerveillé d'avoir créé une créature si bonne et il dit au chien:
           – Va! qu'il soit fait selon ton cœur.
Et, rentrant dans son atelier, Il créa l'homme.

N.B. – L'Homme est raté, naturellement. Le Bon Dieu l'avait bien dit.
Mais le chien est joliment content!

in Contes, éditions Stock 1994, p.p.81/82

Marie Noël – de son vrai nom Marie Rouget – est née à Auxerre, en février 1883 et a grandi au pied de la cathédrale dans une famille cultivée, entre un père incroyant et une mère très pieuse. Elle restera "vieille fille", selon le terme de l'époque – et à son grand regret. Sans jamais quitter sa ville de province, elle écrira, sera lue et admirée par des écrivains de sa génération aussi différents que Mauriac, Colette ou Montherlant. Elle s'éteindra à l'âge de 84 ans, en 1967.


         D'aucuns s'étonnent de mon chant sombre à cause de mes jeux gais et de mes candides
         allégresses.
         N'ont-ils jamais contemplé le miracle de la rose de Noël?
         La rose de Noël triste et sans fleur toute l'année. 
         La rose de Noël qui s'appelle Ellébore –Mélancolie – et serre dans sa racine un poison noir. 
         Mais quand vient la Noël, par une grâce de Dieu, elle sort du  gris de l'hiver
         et des  feuilles sombres, comme autant de petites bougies allumées.
         Et de sa blancheur merveilleuse, elle éclaire le berceau de l'Enfant Jésus.
         Je suis ainsi, noire, et, parfois, lumineuse par grâce. Et j'ai un nom qui le dit bien:
                                                    Marie Noël
         Marie (mara), l'amertume mortelle de ma racine.
         Noël, mon miracle, ma fleur de joie.
        
         Notes intimes, Stock 2008, p.195
 
On l'a longtemps présentée comme le chantre de la piété et de l'abnégation, alors que le feu du désir n'a jamais cessé de crépiter sous la braise des apparences et qu'elle n'a jamais mâché ses mots dans ces entretiens à voix haute avec le Seigneur que sont ses poèmes.

         Ma fille d'où reviens-tu ?

         "Ma fille, d'où reviens-tu?
         – D'un lieu pauvre où j'ai vécu.

         – As-tu mangé ton content
         Ma fille, et passé bon temps?

         – Père, alors il se trouvait
         Que le temps était mauvais.

         – Qu'as-tu dit, or, qu'as-tu fait?
         – Rien, Père. Je vous aimais.

         – As-tu, chez les gens d'en bas
         Trouvé place? – Presque pas.

         – Ma fille aimas-tu d'amour?
         – Oui, Père, un seul, pour toujours.

         – En échange, t'aima-t-on,
         Ma fille? – Oh! non, Père, non!

         – Sans doute alors pleuras-tu?
         – J'ai souri tant que j'ai pu.

         – Entre. Chez moi sont taris
         Tous pleurs et tous maux guéris.

         Hors d'ici le mauvais temps!
         Ici, le bonheur t'attend.

         Entre en fête et chante en chœur
         Avec tes frères et sœurs.

        Tu n'auras plus le cœur gros.
        Chante!  – Je suis lasse trop.

        Faites faire un lit. Dedans
        Je dormirai très longtemps.

        Pendant sept ans et pendant
        Sept ans encore et sept ans,

        Sans souci dans mon sommeil
        De la lune et du soleil.

        – Mais si, pendant que tu dors
        Ton ami vient du dehors?

         S'il voit ton cœur? S'il le voit
         Beau pour la première fois?

         Si le prend l'amour de toi?
         – Père, alors éveillez- moi.

        – Mais plutôt s'il cherche ailleurs
        Qu'en toi son ciel le meilleur?

        –Donnez-le-lui, Père, mais
        Ne me réveillez jamais."

        in L'œuvre poétique, Chants des Temps irréels, Stock 1975, p.p.543/544/545
    
Elle intitule Psaumes ou Chants la plupart de ses textes, et elle en est prolixe, mais son exigence envers la poésie reste constante, en témoigne ce texte, intitulé Le Travail, paru dans ses Notes intimes, chez Stock, édition 2008 p.p. 302/303 :

                   Le Travail

    Un chant m'est né. Un cœur qui bat...un mouvement de mots, de syllabes qui, lointainement ébranlés, se groupent soudain comme une procession ou une danse sans me demander ordre ni conseil.
     C'est ici que j'entre en besogne. Ici, que commence le jeu difficile: saisir le rythme, le fixer – sans l'arrêter – dans sa vie la plus libre, la plus pure, en le dépouillant de tout ce qui pourrait couper ou embarrasser sa ligne de vol.
     J'applique alors la règle d'or que mon père m'a donnée: "Ce que tu as dit en dix mots, tâche de le dire en sept. En trois, si tu peux."
     Je me rappelle le précepte que mon parrain, Périé, me rapporta d'Hésiode :
     "La partie est parfois plus grande que le tout."
     Et je m'obéis à moi-même:
     "Laisse aux paroles leur silence."
     Alors je biffe, rature, efface sans miséricorde. Tous les exercices de l'ascèse : sacrifice, retranchement, abstinence, mortification, clarification, purification, simplification me donnent le chemin et la discipline.
  
       Quand, ligne par ligne, phrase par phrase, mot par mot, le poème enfin semble arrêté entre son  commencement et sa fin, je le jette aux oubliettes pour y mûrir en patience.
       Trois mois passent... six mois...un an... davantage. Puis, un jour, il me rappelle, je lève le sceau. Il m'apparaît avec ses notes fausses, ses taches criardes.
       De nouveau, la voie purgative. Je corrige, je supprime une strophe – même jolie –  une image – même plaisante – Je change le son d'une syllabe, je déplace un accent.
       Je tends de plus en plus à dévêtir le mouvement, à laisser l'émotion nue, à réduire, de proche en proche, l'expression multiple à l'unité.
       Puis, je remets le poème au cloître. De nouveau, je le perds de vue.
       Une fois, trois fois, sept fois, à longs intervalles, je le reprends, je le retouche tant que son superflu gêne son nécessaire.
       Jusqu'au jour où je le revois dans sa nudité natale. C'en est fait. Elle est là, l'œuvre.
       Alors, je retrouve la joie de la première rencontre.
       Il ne m'est arrivé que bien rarement de reconduire une œuvre jusqu'à sa pureté primitive.
       Peu de réussites, beaucoup d'échecs.

Ainsi nous émeut encore la nostalgique ritournelle et sa légèreté invite à chanter à l'approche de noël.

          Chanson sur le tard

           Au Printemps j'avais trois amis
           Un dans le bois, un dans le champ...
          – Au printemps j'avais trois amis –
           Et l'autre au milieu du pays.

           Les ai cherchés venant l'Hiver
           Loin dans les bois, loin dans le champ,
           Les ai cherchés venant l'Hiver
           Où fuit le jour, où l'an se perd.

           Les ai cherchés venant le soir
           Tard dans le bois, tard dans le champ,
           Les ai cherchés venant le soir,
           De lieux éteints en lieux plus noirs :

           Le premier est fol devenu
           – Où dans le bois? Où dans le champ? –
          Le premier est fol devenu
          Il s'est égaré les pieds nus.

          Le deuxième est mort devenu
          – Où dans le bois? Où dans le champ? –
          Le deuxième est mort devenu
          Sous terre ni vu ni connu.

         Le troisième est vieux devenu
         Plus que le bois, plus que le champ,
         Le troisième est vieux devenu
         Et s'en va branlant et chenu.

         À sa porte je l'ai cherché
         – Au loin le bois! au loin le champ! –
         À sa porte je l'ai cherché
         Sur la place autour du marché.

         Mais il a, par le temps qu'il fait,
         Gris dans le bois, gris dans le champ.
         Mais il a, par le temps qu'il fait,
         Oublié tout ce qu'il savait.

         Et ne saura plus jamais,
         Plus dans le bois, plus dans le champ
         Et ne re-saura plus jamais
         Que pour sa mie un cœur avait.

         in L'œuvre poétique, Chants légendaires, Stock 1975, p.p.581/582

        Bibliographie:
  • Contes, Stock, 1994
  • L'œuvre poétique, Stock, 1975
  • Mon Dieu, je ne vous aime pas, Foi et spiritualité chez Marie Noël, de Benoît Lobet, Stock, 1994
  • Notes intimes, Stock, 2008
      sur internet  :




 

vendredi 11 décembre 2015

Les livres de la semaine: l'histoire d'une quête




        Je suis toujours ému lorsqu'on me dit que tel ou tel de
        mes livres a aidé à passer un cap difficile, une sale période.
        La poésie ne soigne rien, mais elle peut ouvrir sur une
        forme de communauté ou de partage. Et ce d'autant plus
        fortement que le poème vise la part la plus muette et la plus
        solitaire de chacun. Découvrir que je ne suis pas seul dans
        le sombre, oui, cela fait du bien, même si cela ne change
        rien à la souffrance, la solitude, la tristesse, de fait .Encore
        une fois, juste un écart, et de l'air un peu frais qui rentre.

        Antoine Emaz in L'Inquiétude de l'esprit ou pourquoi la Poésie en temps de crise, Éditions Nouvelles Cécile Defaut, 2014, p.191

Je partage l'émotion exprimée par Antoine Emaz à l'écho éveillé par ses poèmes. Quand un lecteur du Temps Bleu réagit à propos d'un poème ou d'un auteur, c'est l'existence même du blog qui s'en trouve justifiée.

Je vous propose, aujourd'hui, de partager un florilège de mes lectures de la semaine, qui traduisent la quête de l'Autre, inhérente à la nature humaine. Un Autre qui la dépasse et qu'elle ne sait comment nommer.

Le livre évoqué plus haut, – L'inquiétude de l'esprit ou pourquoi la poésie en temps de crise? – mérite d'être savouré chapitre après chapitre. Les auteurs conviés à répondre à cette question d'actualité tels Antoine Emaz, Marie-Claire Bancquart, Jean-Pierre Lemaire, Claudine Bohi et d'autres, l'abordent sous des angles très différents.
Claudine Bohi a choisi de le faire sous forme d'un très long poème, particulièrement émouvant, dont voici un extrait:

            (...)

          tu sens
          les mains du monde

          obscurément tu les prends

          ton ventre
          les touche
          de l'intérieur

          il les appelle
          avec des mots
          d'avant eux-mêmes

          des mots d'avant
          ce quelqu'un là
          qui tourne près de toi

          et qui s'éloigne

          qui revient toujours
          et qui porte parfois ton nom

          tu ne le sais pas
          tu ne le vois pas

          tu le connais

          maintenant ça parle neuf
          derrière
          et en dessous

          tu ne saisis rien
          tu ne comprends pas
          tu musiques ta lèvre

          elle berce le silence

          elle le berce
          longtemps

          c'est de l'amour qui vient
          avec son infinitif chaud
          sous la langue

          dans ce nid de paroles
          oui là
          où tu mélanges la vie avec toi

          (...)

          Claudine Bohi in L'inquiétude de l'esprit ou pourquoi la poésie en temps de crise? éditions Cécile Defaut, 2014, p.p.256/ 257

Un autre des recueils du même auteur, On serre ses Mots, paru en 2013, a retenu également mon attention. En exergue, cette phrase d'Antoine Vitez: Mon corps est fait du bruit des autres.
J'entends Le bruit des autres comme la rumeur intime, qui émane de l'écriture d'un autre, se mêle à notre souffle et l'élargit à la dimension de notre désir.

        
         du bout des doigts
         on ose
         s'inventer

         on ne sait pas qui vient

         seulement les mains
         pour lisser la peau

         seulement

         à peine une certitude

         à peine une lenteur
         qu'on brise


         ce rite d'un homme
         avec une femme
                 

         la nuit alors
         pousse son devenir

         gomme
         ce qui fut là

         et qui n'appartient pas



         oui c'est un geste de paroles

         c'est un autre alphabet
         plus sourd
         et plus profond

         les mots
         font leur appel plus large

         plus vaste

         une quiétude se débat encore
         une force


         nous cheminons les doigts
         vers

         Claudine Bohi in On serre les mots, Le bruit des autres 2013, p.p.33,34,35



                                  *


         Quelque chose annonce qui vient
         C'est d'abord plein abondant et généreux
         Une brise avec vigueur soulève les feuillages
         Pas les mains qui n'osent mais un vent
         On lève les yeux aux sommets
         Surveiller l'encre se répandre noire
         Dessus la montagne on en connaît le sens
         Un feu celui d'une émotion vive
         Court dans la plaine on espère l'eau
         Nous savons nous de quoi nous parlons
         Bien que nous soyons sans aucun désir
         Autre que ce charme qui fait bégayer

         Jean de Breyne, in Épars, Propos2 éditions 2015, p.9

Ce beau  poème de Jean de Breyne ouvre son tout dernier recueil, Épars, au chapitre1, intitulé L'Orage.
Composé de notes éparses rassemblées en chapitres, ce livre laisse défiler pensées, jours et saisons. Ainsi, toute heure prépare et, étrangement, annonce la foudre, qui suit.


                               *


         Un mot
         Pour attirer la foudre
         dans le gris sans éperons du moment
         Le mot arrive
         Puis il nous dévisage
         – Nous
         Le beau troupeau de bêtes –
         La liberté qui regarde autre part
         Accentue ses égards

         Gabrielle Althen, in Soleil Patient, Arfuyen 2015, p.9

Une ouverture, cinglante comme l'éclair, pour ce premier poème d'un premier chapitre intitulé: Trouver Manque. Termes, qui s'interpellent dans  l'urgence.

                                Dette

          Bien que la vigne ne soit pas vaine
          Les mains ne veulent pas répondre
          Reviens, dis-je à la route
          Reviens, dis-je à l'amour
          Le cœur résonne au pas comme un cheval sagace
          Larmes et buées confondues dans le jour élimé
          L'espérance perd son nom dans l'orage
          La jeunesse ne veut plus de ses ailes
          Parole d'homme
          – Ou poinçon? –
          Dur membre débourbé de la mort:
          Ne pas savoir où va le temps

          ibid p.14

          Pur commencement
          Jeunes lèvres de verre
          Oiseaux filant vers l'Orient
          Ce bref tiroir du temps qui s'ouvre
          Et les mains qui s'étonnent d'être libres...
          Puis les mots s'effondrent dans la bouche
          Le moment se referme
          Et ce n'avait été que rameau caressant le vent...

          ibid p.23

          L'incroyable t'aura touché la main, puis il est reparti,
          sans laisser de restes.

          ibid p.24
    

 Pour pallier au manque, il va Falloir- titre du deuxième chapitre- trouver tout en acceptant de faillir:
"Descendre dans le monde pas d'autre solution."
"Mériter son désir et trouver l'étincelle dans le plus ordinaire".
 Puis, au terme de cette méditation philosophique et dans l'attente du Troisième jour- titre du troisième chapitre-, garder l'espoir que "le soleil patient se  mette à danser."


Bibliographie:
  • L'inquiétude de l'esprit ou pourquoi la poésie en temps de crise? éditions Cécile Defaut, 2014
  • On serre les mots, de Claudine Bohi aux éditions Le bruit des autres, 2013
  • Épars, de Jean de Breyne aux éditions Propos2, 2015
  • Soleil patient, de Gabrielle Althen, éditions Arfuyen 2015
sur internet:
    Antoine Emaz
          Claudine Bohi
  •  un article de Roselyne Fritel sur La Pierre et le sel
           http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2014/06/claudine-bohi-juste-une-effraction-%C3%A0-lint%C3%A9rieur-du-noir.html

    Jean de Breyne
 http://www.terreaciel.net/Jean-de-Breyne#.VmhdtjFdGtU





                              



        

        




vendredi 4 décembre 2015

Alliance d'un jour: Michel Cosem et Bernard Descamps

                           Poèmes

         Il y a contre la porte des granges
         de grandes silhouettes évanouies
         Elles sont bleues et transparentes
         Elles ont une odeur de genévrier
         Elles sont allées sur les chemins
         et ont mâchonné bien des aubes
         bu à bien des brouillards
         poignardé les soleils rouges
         Aujourd'hui le bois des portes se fragmente
         Racle la pierre
         et l'on tire de longues échardes
         pour traverser les ultimes blancheurs

                                   *
  
         Il faut prendre une gorgée
         de vent au sortir de la nuit
         et d'arc-en-ciel près d'un grand fleuve
         fermer les yeux et empoigner la main des arbres
         recommencer jusqu'à la vendange
         ne pas laisser en repos la mémoire
         forcer peut-être la magie
         C'est ainsi que tout se reconstruit
     
                                  
Cet extrait d'un poème de Michel Cosem, paru dans la revue Autre Sud n°34, en septembre 2006, à la page 64 accompagne la photo de Bernard Descamps, ci-dessous. L'une et l'autre accordés aux lumières tamisées de décembre.
Michel Cosem est l'auteur de romans et de livres pour la jeunesse mais il est également poète et vit dans la région de Toulouse. Il est le responsable de la revue Encres Vives.

Bernard Descamps est photographe, spécialiste du noir et blanc et de l'argentique. Il exposait à Paris, durant le mois de novembre dans le cadre du Mois de la photo, de magnifiques images d'une grande sensibilité.

Photo de Bernard Descamps

 sur internet:
http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/michel-cosem 
http://www.filigranes.com/artiste/descamps-bernard/