Port des Barques

Port des Barques

vendredi 28 septembre 2018

Un automne en poésie avec Mireille Fargier-Caruso


 

         À nos trousses
        nos chemins de traverse
        nos lignes de fuite
        nos renoncements
        tout ce qui peu à peu
        a émacié le jour

        on voudrait recoudre
        ces moments sans grâce
        nier le trop tard
        rattraper la vie
        sans se retourner
        retracer le parcours
        on ne s'habitue pas
        aux lointains abolis

        cet au-delà de nous
        lentement engourdi
        une écharde
        qui nous poursuit
        dans nos sommeils
 
        in Rendez-vous Septembre, Les éditions TranSignum, 2004
 
                   ***


       Septembre revenu
       déjà les voix se voilent
       une accalmie de givre
       dans l'allée
 

        on se souvient du miroir de l'été
        de la lumière exacerbée des corps
        violence de midi
        dans l'écho des sourires
 

        tant de couleur
        déchire la distance
        toute limite éparpillée
        coïncidence du cœur aux lèvres
        plénitude de l'air
 
 
        les graminées s'envolent
        avec nos gestes égarés
        ailleurs n'est plus si loin
 
 
        vertige
        on met la main devant les yeux
        fragile
        un désir vif
        à épuiser le ciel
 
        ibid


          ***
        Dimanche sur le sentier aux cigales
        que reste-il leur chant éteint
        l'odeur sucrée des immortelles
        fleur d'aloès morte à vingt ans
        la nudité perdue
        dans la respiration du soir
 
        au-delà de l'étendue
        offerte refermée
        le souffle haletant
        de tous nos visages
 
        ibid
 
 
Je vous invite vivement à relire les précédents articles rédigés à propos de Mireille Fargier - Caruso en ouvrant les liens indiqués ci-dessous.
 
Bibliographie:
  • Rendez-vous septembre, illustrations de Christophe Makridadis, TransSignum, 2004
 
sur internet:

 
 

 

vendredi 14 septembre 2018

José Ensch, la poésie ce chant de l'inouï



         Les yeux oblongs du matin
         Épousent la peau de la mer

         Ô solitudes conjuguées
         Avant l'appel des cloches
         Mais pour quel départ…

         Voici le roi et la reine
         De mouettes parés
         Et le vent qui monte
         Leur fait référence

         in Les façades, éditions Estuaires, 2009, p.12

Luxembourgeoise, née en 1942, professeur de Français, José Ensch s'est éteinte le 4 février 2008. Ce dernier recueil réunit des poèmes inédits, écrits entre septembre 2007 et janvier 2008. L'éditeur précise qu'elle en avait, elle-même, choisi le titre Les Façades.


Je découvre son œuvre peu d'années auparavant, grâce à un article de Poezibao, qui précise qu'elle fut une ardente lectrice de Saint- John Perse. J'acquiers par la suite plusieurs de ses recueils.

         C'était la nuit à la gorge nue, à la gorge de cire loin du feu
         Et elle marchait dans le noir, lentement, dans le souffle qu'il
              prend à chaque pas
         C'était la nuit à la nuque de tige et de fleur, à la nuque de ciel
              si haut que nulle main ne la touche
         Ô l'absence du temps ! Vertiges sur les cailloux des pentes et
              ces désirs de fruits, mots ronds comme la lune,
         la lune qui ment sur ses portées de silence, fragile faïence sur
              l'aube déroulée…

         in Le profil et les ombres, poèmes, Librairie bleue, 1995, p.61

D'une voix âpre et sensuelle, l'auteur affronte les éléments comme s'il s'agissait de ses propres dilemmes.

         Quelqu'un parle à l'air
         et au vent
         quelqu'un dedans
         et qui ne sait pas

         Ô défunte dans les glaces
         et les jungles
         quelqu'un se fend
         au cri des mouettes

         Il est l'ombre
         et la cime
         il est l'air
         et l'océan

         Et quand le ciel avale
         son plaisir
         c'est un œil qui se rompt
         comme un pain dernier.

         ibid p.27
        
Gisèle Prassinos écrivait au dos du précédent recueil : José Ensch, à quinze ans, était déjà poète. mais pour elle seule, elle ne montrait pas ses vers. Ce fut seulement après trois années d'amitié qu'elle osa m'en proposer à lire, tant elle doutait de son talent . Aujourd'hui, le souffle puissant du poète continue de stimuler son lecteur.

 Plusieurs de ses poèmes sont également parus, au Luxembourg, aux Éditions PHI  :

         L'eau court si vite
         que le ciel ne la voit
         mais elle lui donne ses yeux

         Ô les miroirs en amont
         les bords gorgés de son chant
         et les feuilles

         C'est la terre inventée
         et la neige
         Amour, c'est le vent

         Mais les nœuds de soie
         que les langues délient
         et l'enfance des poissons…

                      ***

         Et les pays allaient à la mer
         d'embruns voilés et de brumes
         la langue du vent autour du corps

         Ce fut la nuit en son désir
         la lumière nouée de son fruit
         ô noire clarté de l'eau
         et ce souffle d'ailes comblé

         Dentelle où perle la mort.

         in Dans les cages du vent, Vois, ta laine couvrira les bergers, éditions PHI, 1997, p.p.143/144,


Le poème, qui suit, se présente comme un paisible adieu au monde, comme toutes les choses essentielles, il convient de l'inscrire au fond du cœur :

         Quand la saison sera de joues rugueuses
         je m'en irai
         seul dans les regards
         et les pages de tempête

         Je serai mémoire
         dans les lits déserts
         tour d'alarme
         sur les chemins de halage

         Que tombent les silences
         tels des corps de nuit
         La mort n'a pas de tête
         sa lumière n'est pas dans les yeux.

         ibid p.95

 Il revient toujours au poète de nous confronter à l'inévitable.

Le poème d'ouverture évoquait la mer, le dernier en fait de même, bien qu'il n'y ait pas de mer au Luxembourg à part celle qu'un poète s'invente pour survivre. Il est tiré du recueil Le profil et les ombres et parle d'un automne à venir, qui pourrait être le nôtre, au propre comme au figuré :

          La mer a travaillé tout un été
          sur sa peau un troupeau de cornes
          où coulaient les reflets…
    
          Robe empreinte de lumières
          elle repose à présent
          amidonnée avant l'équinoxe

          La terre ne cesse de boire
          les lauriers de tendre leurs derniers bouquets
          et lentement je touche ton sol
          – la bouche fermée sur un éclair

          Les ancêtres sont trop nombreux qui te réclament
          mains jointes sous le soleil
          Un mime t'a souri un soir
          de toutes ses rides noires

          Tu arpentais la ville la nuit
          et maintenant tu renonces à tes pas
          pour glisser dans l'ailleurs gris
          où règnent les orages

          Les images apparues puis disparues
          tu les relègues
          et les ranges dans le grand coffre
          de l'automne

          Ô la mer charriant ses triomphes épars !

          in Le profil et les ombres, Librairie bleue – Poésie, 1995, p.16

Bibliographie :

  • Dans les cages du vent, éditions Phi, 1997
  • L'aiguille aveugle, éditions Phi, 2008
  • Le profil et les ombres, Librairie bleue, 1995
  • José Ensch, Les façades, éditions Estuaires, 2009
        

sur internet:

vendredi 7 septembre 2018

L'exposition Peinture et Poésie à Sète en 2018





 
Le port de Sète, 1948. François Desnoyer
 
Toutes voiles dehors
 
                                       pour François Desnoyer
                     qui me fit rêver
 
– dans l'air marin – midi bleu de Sète –
toi l'emmuré – les gabians dérivants –
quai des marchandises – vent se levant –
ma peau colle à ta peau d'or – Sète
 
tu bats d'un cœur tranquille – cœur posé
tu bats dans la douceur de l'air léger –
or le temps semble s'être arrêté
de douceur l'éternité te berce –
 
tes bateaux attendent ton Ulysse –
ne t'endors pas! – toi l'aventureuse –
ton bleu de mer chante au bleu du ciel
– ta langue me brûle d'ocre jaune –
 
ma ville – poisson – ville-cœur–debout
le haut-vent – le retour du noir soleil
le vent criant – à contretemps – debout
ta lumière – ta langue acide –
 
au-dessus des toits de rouge tuile
sonne la cloche bleue – du grand libre –
un bonheur que ta clarté – tes couleurs
la liberté du large – haut-large
 
Serge Venturi (France)
 
 in Pleins feux sur les collections, Peinture et Poésie, Les peintres vus par les poètes, Musée Paul Valéry, 2018, p.p.342/343
 
Le Musée Paul Valéry de Sète présente cette très originale exposition, visible jusqu'au 4 novembre 2018. Sa directrice Maïthé  Vallès-Bled a en effet proposé à un grand nombre de poètes, présents aux précédentes rencontres poétiques du Festival de Poésie de juillet, d'écrire à propos d'un des tableaux exposés au musée. Le résultat de ce mariage entre peinture et poésie est fort réussi.
 

L'Entrée du port de Sète, 1942. Gabriel Couderc
 
Le bleu, disait-il, le bleu...Son index montrait le ciel, la digue, la
voile inclinée, le phare, les silhouettes arrêtées…Tout est taillé dans
ce même bleu : le jaune, le gris, le blanc… Les toits, les murs,
les barques, les nuages… Quant au rouge – il hésitait –, comme le
Sang, il est partout mais il faut le deviner… Sauf sur le drapeau…
Comment ne pas le voir ? Et comment oublier ? Il se taisait, puis il
ajoutait : mais le bleu… le bleu.. Il n'a pas d'âge, ce bleu, il a mon âge – et j'y suis toujours.
 
Jacques Ancet ( France)
 

 
Les joutes sétoises (1950) François Desnoyer
 
Turquoise – pâle/soutenu – turquoise
Turquoise – pâle/soutenu – turquoise
Oh cette lumière ! On y est
(lunettes/chapeau...le petit, oui)
Rouge – rouge –rouge – orange
Marine – brun/roux – jaune – rouge
On ne rêve pas : ça bouge vraiment avec
ces couleurs qui excitent – claquent – palpitent :
du rouge au turquoise l'œil faisant le tour
de la toile – et sur la toile même
on fait la course pour trouver la meilleure place pour
tout voir/tout entendre
dans la couleur – couleur/bonheur
( ils arrivent –regarde –regarde !
Peur aussi : le beau coup de lance bientôt…–)
Turquoise – rouge – rouge– rouge orange
Marine – brun/roux –jaune
Ressentir/ voir/regarder/observer/restituer :
tout à la fois explose dans le geste véloce.
Geste du peintre pour un tenace effet retard de la fête
par le grand jeu vibratoire de la couleur.
 
Anne-Marie Jeanjean ( France)
 
 
 
Remorqueurs au pont de pierre, 1954. Lucien Puyuelo
 
Âme flottant sur l'eau
 
La mer me conduit vers ce que je veux
Accompagné du vent et de la faconde des vagues
Accompagnée de mes pensées qui s'élèvent au ciel
Blanches...blanches comme une nuée de mouettes
Moi l'énivré de l'odeur originelle de la création
Le temps se détache de moi
Je deviens âme flottant au-dessus de l'eau
De son bleu l'espace fluide m'emplit
Alors je deviens l'idée bleue de l'existence
Moi l'énivré de ma plénitude
Je me réveille sur la voix de la mer :
N'oublie pas de bénir le vert
Il est temps que tu ailles à qui attend ton retour
Alors prends ce que tu veux de mes fruits
Prends le souvenir de l'extase éternelle
Et retourne à ton cœur laissé là-bas.
 
Khalel Jbour (Palestine)
 
 
 
Le gris de Sète (2015) Topolino
 
Gris de Sète
 
L'orchestre suspendait sa clameur
les hommes secrètement esquivés
dans une rumeur de deux roues
l'air fut bleu d'une bleue caravane
 
Et nous des hauts quartiers rêvant
par-dessus les toits
aux grues intranquilles
en marche sur l'horizon
 
Nous entendions la chanson grise
de la vie sous la ville
tuilant ses légendes
 
Dans le grand dessein
les chevaux du port couraient
plus loin que leurs silhouettes
 
Meredith le Dez (France)
 
 
 
Route montant à Gordes (1946) André Lhote
 
dans la surabondance végétale
comment trouver son chemin
 
saison excessive
saturée de parfums
éclat solaire
réjouissant l'œil
 
saurons-nous rejoindre
une maison fraîche
avant le ciel
 
faut-il emprunter
à l'angle gauche
les frondaisons hautes
gonflées comme des voiles
 
jaillir hors cadre
dans le bleu caché
le bleu de surchauffe
 
Françoise Ascal (France)
 
 
 
 
Vu du Mont Saint-Clair, 1950. Raymond Espinasse 
 
Jardin d'un siècle  
 
Dans le figement de l'aube
Les odeurs des lauriers roses et
Des oliviers mêlés
Verticales dans l'air mûr
Un homme que la journée ne me prendrait pas
Éden sans contrainte et son jardin d'un siècle et du soir 
Bleu dans les arpents de la ville
Sous les muettes intentions des arbres
Au bord du monde
Ton cœur au bout de ton bras
 
Emmanuelle Guattari (France)
 
 
 
 
Vue de Sète, le canal 1938. Henri Barnoin
 
où mène la petite rue qui se dissipe
dans l'instant obscur de la matinée
qu'en savent les gens les barques et les pierres
qu'en disent la brise et l'eau étale
qui restent muettes à l'horizon d'un temps autre
aucune chaleur et aucun froid ne les menacent
seul l'écroulement éternel de leurs vies
la vérité absolue de leurs regards
le souffle dépenaillé de toutes leurs certitudes
afin de dire la vacuité de leurs gestes et de leurs yeux
 
Jean-Yves Casanova (France-Occitanie)
traduit de l'occitan par l'auteur

 
 


Le Vent des hautes mers, 2013. Madeleine Molinier-Sergio
 
Trinité de la Haute Mer
 
Le Père est sur le pont
Les chevaux du Déluge ont pris le mors aux dents
Ruade après ruade
La houle essore l'équipage
 
Le Père est à la barre
Le Fils n'a plus confiance
En voulant sauver le filet
Le Saint-Esprit a bu la tasse
 
Tenir le cap coûte que coûte
Confit dans son ciré
Le capitaine se cramponne à l'auréole
Du mousse dessalé
 
Malgré les crêtes et les creux
Il en est sûr
Le tableau s'en sortira sauf
Et tous les trois reverront la cale du musée
 
Frédéric Figeac (France / Occitanie)
traduit de l'occitan par l'auteur


Et pour finir, ce rappel au premier devoir de tout poète :
 
 

 
Albert Deman Le Clown, (sans date)
 
 
Pénétrer tout doucement
la lune.
 
Sortir pour l'explorer.
 
 
Trouver le contour  familier,
l'indication des routes.
 
 
Mais
par-delà
 
c'est tout blanc
c'est le mur de la chambre
dans la demi-clarté
qui vous laisse honteux
de votre imaginaire approche
 
Marie-Claire Bancquart (France)
 


Un grand merci à Maïthé Vallès-Bled grâce à qui le Festival Voix Vives de Méditerranée, après Lodève, continue de résonner en juillet, depuis 9 étés consécutifs, sur les places, dans les cours privées et les rues de la ville haute de Sète, pour notre plus grand bonheur.
 
 
Bibliographie:
  • Pleins feux sur les collections, Peinture et Poésie, Les peintres vus par les poètes, Catalogue anthologique de la Collection des Peintures, sous la direction de Maïthé Vallès-Bled, Musée Paul Valéry, 2018
 sur internet: