Port des Barques

Port des Barques

vendredi 27 octobre 2017

Thierry Metz pour accueillir l'imprévisible



            Assise sous les nattes vertes des palmes
            elle écoute l'homme à même ses bras
            elle est biche au jardin des chamelles
            Ô fruit tendu vers les fantasias du sel
            Ô Toi fruit, salive curieuse du noyau
            qui bâtit chaque nuit avec des clous de lumière
            entends ce qui est duvet :
            "J'avais rêvé un silence et ce silence était d'amour
            il a fait de moi la simple algèbre des sables ;
            une paix, semence de mon sang.
            J'étais un homme, j'étais une fleur
            et cette fleur était mon fruit."

                                                                       1979

            in Thierry Metz, Poésies 1978- 1997, Pierre Mainard éditions, 2017, p.36

      Un brin d'exotisme s'est glissé entre les lignes de ce poème. La vie de Thierry n'a pourtant rien
      d'exotique. Il se présente ainsi dans un entretien accordé à la revue Le Festin, le 17 juillet 1990 à
      Agen, après la publication de son recueil Le Journal d'un manœuvre :

           Je ne sais pas comment j'ai commencé à écrire, cela a mûri, lentement. Il y a un point de
           départ, que j'ignore naturellement, qui a fait que je devais écrire un jour.
           Vers dix-huit, dix-neuf ans, il était clair que je ne pouvais plus rester dans de telles
           conditions, sinon rien ne se passerait.
           J'écrivais de petits textes, de petites pièces de théâtre, de la poésie...Une manière
           déjà de faire marcher l'écriture, de la risquer quelque part, de savoir ce que l'on peut faire
           sur du papier. Cela m'est quand même plus difficile d'écrire que de parler. Pour moi, la parole
           ne draine pas assez de choses et je pense que l'oreille humaine ne perçoit pas à l'intérieur
           même du langage ce qu'il y a d'obscur. C'est quand même dans la lumière que j'aime chercher
           l'obscurité. Donc, si l'écriture le permet, il n'y a aucune raison pour que je m'en prive.

          in La Revue Diérèse n° 52/53, p113

      Né le 10 juin 1956 à Paris, Thierry Metz est un jeune homme doué, un lecteur passionné, qui
      aime goulûment la vie et fait preuve d'un don précieux pour l'écriture poétique.
      Le reste de son temps, il exerce dans la région d'Agen, le métier de manœuvre sur divers
      chantiers; ses compagnons ignorent tout de ses autres activités .

      Il se lie d'amitié avec Jean Cussat -Blanc, qui rédige la revue Résurrection et qui l'introduit auprès
      de Jean Grosjean alors membre du comité de rédaction de la RNF, ce qui lui vaudra d'être
      publié de son vivant.

      Le journal d'un manœuvre paraîtra en 1990, chez Gallimard.

                Mes premiers gestes ici : creuser la terre. Ouvrir une fosse. Et disparaître. Quotidien du
             manœuvre : tant qu'il n'a pas trouvé l'arc-en-ciel de son livre, il doit creuser. S'enfermer
             avec ses graines .
                Sinon comment méditer la mort et l'arbre ?
                Peu importe que son travail soit rebutant; l'érosion du dolmen est plus active que les
             ruissellements de l'instant. Et ici les deux se rejoignent.
                Le manœuvre, le maçon : projet fourchu. Comme nos mains.

             in Le journal d'un manœuvre , L'Arpenteur, 1990, p.20

             2 juillet. – Il faudrait s'arrêter un instant, poser la charge, retrouver une seconde,
             dans le même cercle, la force du manœuvre, la main du maçon, les signes tracés
             du maître d'œuvre. Une seconde, pas plus. Puis revenir à l'endroit où la maison
             s'entrouvre pour apercevoir les enchanteurs.
    
             ibid p.46

      Il rédige en peu d'années une œuvre fulgurante, dont il dit : "j'ai justement l'écriture,
      ces coulisses dans lesquelles je peux évoluer."
      Jacques Ancet écrira à son propos : "ce qui touche chez Thierry : cette gravité juste, cette
      profondeur limpide. Cette manière de mettre le feu au langage sans monter la voix. Cette
      capacité de dire l'infini à travers le fini, l'immense à travers l'infime. Et toute la beauté et
      la tragédie de vivre dans des mots d'une simplicité sans âge."

      Une redoutable addiction à l'alcool viendra hélas par la suite perturber sa vie conjugale et
      familiale et lui vaudra plusieurs mois d'internements pour des cures de désintoxication.
      À cela viendra s'ajouter, en 1988, la perte cruelle d'un de ses fils, écrasé par une voiture sous ses
      yeux.
      Interné volontaire, en 1996, dans un hôpital psychiatrique, il se suicidera finalement le 16 avril
      1997 .

       Des poèmes "jamais parus en livre et, pour la majorité, extraits de la revue Résurrection
       qu'animait Jean Cussat-Blanc" qui fut le premier à le publier – sont réunis sous la présente
       édition. Ils couvrent les années écoulées entre 1978 et 1997.
      

           Sous la tente où germent les lampes
                     le silence
            – jeune oiseau de ma bouche –
            se couvre d'un duvet blanc.
                            Mais dehors
                     dans le souffle d'amour
                     Ô plénitude !
            Un faucon bleu
                     déchire une ombre !

                                                                          1983

            in Thierry Metz, Poésies 1978–1987, éditions Pierre Mainard 2017, p.45

       Sa clarté fracture le livre, recueil écrit en 1986, est dédié à son épouse Françoise, qu'il nomme
       ma désireuse :


                                                                          pour Françoise

                                                     I

             Je fête une éclaircie
             Soif rieuse et coupante.
             Je parle de celle qui foisonne dans la foudre.
             Femme et fleuve sont pareils dans la langue du nageur.

            ibid  Sa clarté fracture le livre, p.87


                                                      IX

             Tout le jour dans l'écorce du mur
             Comment rejoindre celui qui abonde de l'autre coté,
             qui chante avant la nuit
             l'homme écarlate qui parle dans le séisme.

             ibid p.89

                                                        X

              Écrire ici sur un chemin discordant
              Aller vers la maison qui demeure introuvable.
              Le poème ne manque pas de clairières.

              ibid p.90

                                                        XV

              Porteuse d'herbes et de feuilles
              Je n'habite plus la lampe
              Mais la fenêtre
              La ruisselante
              Caverne des langues parlées
              Et du rire.

              Clarté riveraine assaillie par la foudre
              Clarté de dire et de faire
              Dans la percussion bleue du jour
              Clarté de partir.

              Homme qui ne cède pas aux intempéries de l'instant
              Homme propulsé par l'orage.
              Et toujours il sait où trouver l'amoureuse
              Qu'elle soit dans l'ici rouge du poème
              Où dans l'ailleurs déflagrant de la terre.
              Et toujours le visage habite la demeure.

              La maison bâtie où rien ne peut demeurer.

              ibid p.p.91/92

                                                       XX

               Le soir – quand les sentiers se retirent
                                 découvrant la terre –
               sa lampe me parle d'un lieu aveuglant
               d'une fête parmi les pierres.
               Rêveuse
               ton chant est un mystère plein d'oiseaux
               et d'orages.

               ibid p.94

        Écrire et vivre ne sont qu'un visage....contre une porte  ajoutait le poète et pourtant il n'a cessé
        de son vivant de s'engager et d'interpeller son lecteur.
        Prolongeons à notre tour cet élan d'ouverture, entrouvrons la porte à l'autre pour mieux
        l'accueillir :
      
                    (...)

                     Pour vivre le chemin. Aller au-delà même
                de ce qu'il est. L'enfouir sous mes pas. Et si quelqu'un est à rencontrer,
                sera-t-il assez seul dans ses mots pour accueillir ce que je suis?

                Planter l'arbre
                      de ce qui m'amène ?

                in Note sur le chemin, Thierry Metz (1995) Revue Diérèse 52/53, p.200

Bibliographie:
  • Thierry Metz, Poésies 1978 –1997, éditions Pierre Mainard, 2017
  • Thierry Metz, dans les numéros 52/53 et 56 de la revue Diérèse
sur internet:


vendredi 20 octobre 2017

Angèle Paoli, et s'il suffisait de souffler sur les cendres

               
                Parle-moi de Venise. De ce qu'il te reste d'elle. De nous. Je n'ai rien à en dire. Si peu de
                choses. Des bribes à peine et des cendres envolées.
              
                Ma mémoire me fait défaut. Comment retrouver les détails perdus ? Je croyais avoir gardé
                intactes jusqu'à la moindre sensation, jusqu'à la moindre aspérité. Je croyais qu'il suffirait
                d'appuyer sur un bouton pour qu'aussitôt les petites cellules gardiennes des souvenirs
                libèrent de leurs mailles une odeur, une impression, une image. Chaque nouvelle cellule
                ouvrant avec elle l'essaim bourdonnant du passé. Mais non il n'en est rien. Je me suis
                trompée. Il me faut accepter ces absences, ces infidélités, ces gommages. Ces amputations
                faites à mes souvenirs. Il me faut accepter de laisser divaguer à leur guise les lagunes
                imparfaites de la mémoire.

                in Italies Fabulae, éditions Al Manar, 2017, p.p.20 et 21
          

   Angèle Paoli nous entraine ainsi en Italie, dans son dernier livre, intitulé Italies Fabulae, paru chez
   Al Manar dans la collection Récits et Nouvelles, en mai 2017 .

   Guidés par l'auteur, imaginons que nous atteignons la Sérénissime comme autrefois par le train
   de nuit.
 
 


                  Notre voyage en train avait pris fin au petit matin. C'était dans l'éblouissement d'une
                  lumière laiteuse. Dans le clapotis régulier de l'eau battant le quai. Je me souviens de
                  cette magie. La gare qui prend pied brutalement dans le canal. Ou s'y achève. On était
                  passé, sans transition ou presque, du corps mouvant du train au flottement glissant et
                  saccadé du vaporetto. À son instabilité mouvante. Je me souviens du bruit de moteur,
                  des secousses transmises par les vagues, des embruns qui giclaient de toutes parts.
                  D'une vague odeur d'eau saumâtre mêlée à l'odeur d'essence et de calfatage. De tes
                  longs cheveux rejetés en arrière, "embroussaillés" par le vent. Je revois aussi la pension
                  familiale, modeste mais agréable, et la chambre donnant sur le canal. Je revois le séjour
                  très cosy, son décor un peu vieillot mais confortable, à deux pas de "l'Accademia".
                  Si je ferme un instant les yeux, je retrouve l'odeur chaude des cornetti dans le bar où nous
                  prenions le premier café, accoudés au comptoir, encerclés par la rumeur essoufflée de
                  la machine à espresso. Une rumeur de locomotive aux jets de vapeur puissants. Une
                  rumeur qui rappelait en miniature, celles des ramifications labyrinthiques et grinçantes
                  de la nuit précédente, dans les couchettes des Ferrovie State. Venaient ensuite d'inter-
                  minables déambulations dans le labyrinthe des ruelles. Et notre plaisir à passer d'une
                  rive à l'autre, à contourner la belle par l'arrière, à nous frotter à l'envers du décor. Nous
                  étions infatigables. Du matin au soir dans la ville. Qui semblait accepter de dévoiler un
                  peu de sa vie secrète. Celle des arsenaux, du ghetto, des quartiers moins flambants qui
                  s'enfonçaient toujours davantage dans la moisissure. Celle des ménagères silencieuses
                  qui reviennent de leur marché, le cabas empli de légumes de la lagune. Les activités
                  ouvrières. Calfatage des bateaux et hangars à gondoles. Passer des quais glorieux du
                  Grand Canal, de ses palais ciselés avec art aux quais moins reluisants des Zatterre, en
                  face de l'île de la Giudecca, recelait des surprises. Et des trésors. Et la lagune ?

                  La lagune ? On la contemplait de loin, en silence, blottis sur un banc. Chacun gardait
                  secret le désir de la rejoindre.

                  in Italies Fabulae, éditions Al Manar, 2017, p.p.21/22
     
                 

                                          Venise en novembre. Photo de Roselyne Fritel .

 À chacun d'inventer la suite du voyage avec autant de rêves que de souvenirs au cœur...

Bibliographie :
  • Italies Fabulae , éditions Al Manar, 2017
sur internet:

                 

        

vendredi 13 octobre 2017

Yehuda Amichaï dans l'entre-deux d'une vie

  
            Entre deux

         Où serons-nous quand ces fleurs deviendront fruits
         dans l'étroit entre deux, où la fleur n'est plus une fleur
         et le fruit n'est pas encore un fruit. Quel merveilleux
         entre deux
         nous formions l'un pour l'autre, entre nos corps,
         entre nos yeux, entre l'éveil et le sommeil.
         Entre chien et loup, ni jour ni nuit.

         Ta robe de printemps a pris si vite
         les couleurs de l'été, elle flotte déjà
         à la brise de l'automne.
         Ma voix n'est plus ma voix
         mais déjà, presque prophétie.

         Quel merveilleux entre deux nous étions, comme la terre
         entre les fissures du mur, brin de terre têtue
         sous la mousse vivace, le câprier épineux
         dont les fruits âpres
         rendaient plus doux ce que nous mangions ensemble.

         Voici les derniers jours des livres
         avant que viennent les derniers jours des mots.
         Vienne le jour où tu comprendras.

         in Le baiser de la poésie,
         Choix et traduction de l'hébreu par Michel Eckhard Elial, dans un numéro hors-série de la
         Revue Levant, 2012, p.12.

Les poèmes d'amour de Yehuda Amichaï (1924-2000) précèdent ceux de Ronny Someck, son confrère, dans ce beau numéro hors-série, acheté à Sète.
Heureuse découverte d'un poète dont la sensualité n'a d'égal que l'amour, qui court entre les lignes et donne sa saveur à l'instant.

         Tes yeux sont de paisibles bouches
         ta bouche sous la surface de la mer
         ton visage est du sable qui tremble.

         Tirant les cheveux,
         tu attires les jours et les mots
         vers ce que d'autres temps
         auraient appelé une maison.

         Jamais plus est aussi
         une éternité,
         mon goût,
         ma part d'éternité.

         ibid p.14

On peut se réjouir longtemps, et bien au delà de la séparation ou de la mort, du bonheur d'avoir vécu un véritable amour. Chaque mot se pose, tel un onguent sur nos blessures.

         J'ai lissé tes cheveux dans le sens du voyage
         et dans ta chair j'ai touché la prophétie.
         J'ai touché ta main, jamais endormie,
         et ta bouche qui peut encore chanter.

         Le sable du désert recouvrait la table,
         où nous n'avons pas mangé,
         mais où mes doigts ont écrit
         les lettres de ton nom.

         ibid p.15

Toute la magie du souvenir murmure, ici, à tendre voix entre les lignes.

          Cadeaux d'amour

          À ton oreille, à tes doigts,
          j'ai mis de l'or,
          l'or pour le temps, sur ton poignet.
          J'ai fixé beaucoup de brillants
          pour que tu glisses dans le vent
          en tintant doucement
          au dessus de mon sommeil.

          Je t'ai régalée de pommes,
          pour que nous nous roulions,
          comme dans le Poème,
          sur un lit de pommes rouges.

          J'ai caressé ta peau d'un tissu rose
          aussi transparent qu'un petit lézard,
          ses yeux sont un diamant noir
          dans les nuits d'été.

          Tu m'as permis de vivre quelques mois
          sans autre besoin de religion
          ni de vision du monde.

          Tu mas donné un ouvre-lettres d'argent
          mais de telles lettres ne s'ouvrent pas,
          on les déchire, elles se déchirent.

          ibid p.16

Et le poète conclut par ces mots l'évocation de sa vie amoureuse :

         (...)

         Nous avons continué la prophétie : conversation à deux, robe d'été, linge accroché à une corde,
         rebord de fenêtre. Et nous continuerons, nous continuerons, nous serons orgueil et humilité,
         nous serons le temps qu'il fait, nous serons les saisons de l'année. Nous serons.

         ibid p.17

Je vous engage vivement à ouvrir le lien indiqué plus bas pour accéder à un bel article d'Esprits Nomades à propos de l'auteur.

Bibliographie :
  • Le baiser de la poésie, 24 poèmes d'amour de Yehuda Amichaï et Ronny Someck, choix et traduction de l'hébreu par Michel Eckhard Elial, éditions Levant 2012.
sur internet :

         
        

vendredi 6 octobre 2017

Lionel Jung-Allégret à partir d'un silence

     
             N'entends-tu ce silence d'avant toute naissance
             Son exigence à exister malgré le corps


            À être; et en être le destin.

           
            Ne l'entends-tu qui t'agrippe.
            Remonte dans tes veines jusqu'à ce temps qui va
            vers ce qui fut
            ou peut-être ne fut rien.

            Ne le vois-tu qui avance depuis ce mur au bout de toi

            Ce mur devant tout regard. Ce mur devant toute vie. Ce
            mur de matière morte que l'on voit se lever dans le corps
            éteint et froid de ceux qui l'ont atteint.

            in Ce dont il ne reste rien, éditions Al Manar, avec des encres de Catherine Bolle, 2017, p.30


C'est avec beaucoup d'émotion, qu'en juin dernier, j'ai écouté la lecture de ce recueil, faite à voix haute par son auteur, d'une voix qui, revenant à la table du jour, y posait le couteau du souvenir.  

            On attend la mort qui n'apparaît jamais.

            Elle tient là
            hors de la main
            posée sur un souffle.

            Arrachée à la pluie des visages.
            À l'immobile lumière.

            Parole étrangère à toute parole
            étrangère à toute attente.

            ibid p.16

L'œuvre poétique de Lionel Jung-Allégret gagne en profondeur et en intensité à chaque nouveau recueil et la diction parfaite de l'auteur, lors de lectures publiques, en fait un hymne antique.

Les encres de Catherine Bolle, qui accompagnent Ce dont il ne reste rien, paru en avril 2017,
chez Al Manar, soulignent sobrement de noir les derniers murs à abattre et la ligne rouge à ne point franchir.
Une double mise en garde de l'auteur, faite de citations choisies et d'un beau texte en italique, dont je cite un bref extrait ci-dessous, nous introduit à une lecture méditative.

             Tu es ce que tu écris
             et ce que tu écris

             est Autre
             ...

À première vue :

             D'ici, tout se confond. Feu, ciel, lumière et eau.

             La parole qui naîtra et sa précédente.
             Le temps immobile
             et celui qui ne s'attarde pas.

             Lente
             notre faiblesse dans le va-et-vient du rien.

             ibid p.18

Le lecteur, conquis, est soulevé par ce grand souffle :

             Il y a du vent
             dans la fomentation de l'air
             dans le sable
             du sable
             des mots
             une lumière
             et autres choses.


             La parole comme un rêve se fait serpent
             souffle par les nues

             appelle d'entre le temps
             le jaillissement d'une soif.

             ibid p.11
            
Le poète, gravissant la hauteur aveuglante, accueille ce qui vient dans le silence bruissant du monde :

             Des enfants allongent leurs âges sous des draps fins. La
             nuit couvre ce qui respire, dévore les cris qui ruissellent
             entre les jambes.

             Dans mes mains jointes, se presse une parole. Elle n'est
             ni mot ni silence. Endeuillée de capes de néants noirs,
             voici qu'elle avance comme une colère.

             Je n'entends rien qui lui tient de vie. J'entends les pleurs.
             Les mères tournoyantes. Les mains aux ancres rouges sur
             les éviers ébréchés. Des casseroles de fer. Des eaux qui
             sifflent et qui bouillent.

             Des cordons de sangs noirs pendus plus haut que la lumière.

             J'entends l'air exhumé des poumons et les vagissements
             entre les portes du deuil.

             ibid p.25

Devant ce décor apocalyptique, le poète s'engage solennellement et témoigne de l'urgence de la tâche :

             Écris ce que tu sais. Écris ce que tu es.
             Écris-le avec le froid.
             Écris-le avec la peau de tes morts collée à ta peau.

             Écris-le comme la seule respiration qui brûle dans l'air.

             Avec le gel dans les brocs.
             Avec les iris crevés.
             Avec les cris des mères analphabètes.
             Avec leur saleté et leurs odeurs de cuir chevauché.

             ibid p.32



             Emporte toute parole. Vide-la jusqu'à la paix.
            
            Vide-la jusqu'au silence de ta naissance.

            Un oiseau s'ouvre chaque matin entre les cuisses de celles
            que tu as aimées.

            Le désir n'a pas de fin.

            ibid p.63

bibliographie:
  • Ce dont il ne reste rien, avec des encres de Catherine Bolle, éditions Al Manar, 2017
sur internet: