Port des Barques

Port des Barques

vendredi 20 mai 2016

Mireille Fargier-Caruso L'autre coté du mur



           Peu à peu

           Tu vois
           L'autre coté
                     Du mur

           Tu grattes chaque interstice
                      Avec tes ongles

           Tu apprends
           Ce que tu savais déjà

           Pour vivre
                     L'écart est nécessaire

           in Couleur coquelicot, éditions pré carré 2016

Ce tout dernier recueil de Mireille Fargier-Caruso, tient dans le creux de la main, tout juste un petit carré Couleur coquelicot pour une relecture attentive d'une vie.
On lit bonjour sur la page de garde avant même de découvrir le nom de l'auteur et déjà le premier poème interpelle :

         Les rires que protègent les pins
         Qui s'en souvient
         À marée basse

        Et le merle si seul
        Quand le ciel d'hiver
        A trahi

        L'amour     la mer
        Donnés
        Puis retirés

        Tous nos visages
        Éphémères
        Dis-moi qui s'en souvient?

        ibid

Mireille Fargier-Caruso s'en souvient. Elle décrit une enfance campagnarde en Ardèche dans l'intimité des bêtes et des gens, la vie et la mort au quotidien et en guise d'initiation : l'entraide, la patience, l'amour et tous les trésors insoupçonnés de l'inutile mais aussi  l'intérieur de la vie mis à nu, l'innocence tachée de rouge au fond de soi, et l'absolu à portée ...
Le tout couleur coquelicot car mettre de la couleur sur la paroi de la vie est son désir constant.
Le coquelicot, emblème des moissons, rustique, meurt sitôt cueilli et pourtant il pousse au revers des talus, entre les rails et le ballast, en pleine banlieue, et là où on ne l'attend pas il allume une flamme, à la manière du poète.

         Dans l'impatience brûlante
         Des lointains

         Tu attends
         Ce regard de désir
         Qui te rendra belle

         Ce qui advient
         Et te laisse aux aguets

         Dedans
         Un pétale
         Lentement
         Se déchire

         ibid


Du premier poème au dernier, on se laisse prendre, interroger, émouvoir, enrichir.


        Loin des choses où se perdre
                  Des promesses gelées
        Tu vas
                  Dans la lenteur     tu regardes

        La mer l'herbe pousser les arbres
                  Les gens droit dans les yeux
                  Tu te souviens

        Et sous le ciel immense
        Les nuits de pleine lune

                   Nos silhouettes si petites
                   soulèvent l'horizon

Mireille Fargier-Caruso est une de ces voix rares et précieuses, qui vont profond, creusent les apparences et les transcendent.

         La chambre au-dessus de celle des chèvres
         La nuit ont les entend appeler
         chiens chats des poules pas bien loin

         Bêtes et gens sous le même toit
         Des espèces si proches
         Odeur d'homme et de foin

         L'intérieur de la vie mis à nu
         Avec sa peau sanglante
         Un lapin écorché pour les fêtes

         Goutte à goutte gicle le sang
         Dans la cuvette émaillée
         On le mange en buvant du vin

         Tournent les saisons les têtes
         S'étrangle l'innocence
         Tachée de rouge au fond de soi

          ibid

La vie et la mort découvrent tour à tour leur vrai visage et s'apprivoisent. La petite fille que fut Mireille l'a compris, qui nous partage sa sagesse.

          Sur la plage tu t'enfouis sous le sable
          Tu fermes les yeux pour pressentir
          Le poids de la terre sur tes os
          Avant de te relever d'un geste brusque

         D'un bond tu sautes de joie
         Tu rattrapes ton corps
                   Ici et maintenant

         Tu tentes d'attraper le mouvement
                   Et dans les regards
                   Ce qu'ils ne disent pas
                   Ce qu'ils inventent

          À coté
          de ceux qui sont restés dans les fossés
                    Au bord de la route
                    En partance

           Pouvoir s'échapper
           Pour s'accorder au monde

           ibid

Un livre-pétale pour réconcilier des choses inconciliables, pour s'accorder au monde et y semer des coquelicots. Toujours et encore la vie l'emporte. Il suffit d'y croire.


           Le soir sur les bancs de la place
           Les vieux prennent le frais
                     Ils attendent la nuit

           Ils parlent de la pluie qui tarde à venir
           Des enfants partis avec le travail
           Puis gardent le silence
           La parole ne comble pas le trou
           De ceux qu'on ne reverra plus

           Pour quel futur ont-ils tracé le jour?

           Levain sauvage
                    même loin  différents
           Tes pas dans les leurs
           Simples pas dans la neige

           Cahin-caha  Une empreinte fragile
           Un versant au soleil

           Sur les chemins abrupts
                     Des coquelicots grandissent


Bibliographie:
  • Couleur coquelicot, éditions Pré Carré 2016
sur internet:
  • un article de Roselyne Fritel sur La Pierre et le sel : Mireille Fargier-Caruso cet absurde désir de durer

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