Peu à peu
Tu vois
L'autre coté
Du mur
Tu grattes chaque interstice
Avec tes ongles
Tu apprends
Ce que tu savais déjà
Pour vivre
L'écart est nécessaire
in Couleur coquelicot, éditions pré carré 2016
Ce tout dernier recueil de Mireille Fargier-Caruso, tient dans le creux de la main, tout juste un petit carré Couleur coquelicot pour une relecture attentive d'une vie.
On lit bonjour sur la page de garde avant même de découvrir le nom de l'auteur et déjà le premier poème interpelle :
Les rires que protègent les pins
Qui s'en souvient
À marée basse
Et le merle si seul
Quand le ciel d'hiver
A trahi
L'amour la mer
Donnés
Puis retirés
Tous nos visages
Éphémères
Dis-moi qui s'en souvient?
ibid
Mireille Fargier-Caruso s'en souvient. Elle décrit une enfance campagnarde en Ardèche dans l'intimité des bêtes et des gens, la vie et la mort au quotidien et en guise d'initiation : l'entraide, la patience, l'amour et tous les trésors insoupçonnés de l'inutile mais aussi l'intérieur de la vie mis à nu, l'innocence tachée de rouge au fond de soi, et l'absolu à portée ...
Le tout couleur coquelicot car mettre de la couleur sur la paroi de la vie est son désir constant.
Le coquelicot, emblème des moissons, rustique, meurt sitôt cueilli et pourtant il pousse au revers des talus, entre les rails et le ballast, en pleine banlieue, et là où on ne l'attend pas il allume une flamme, à la manière du poète.
Dans l'impatience brûlante
Des lointains
Tu attends
Ce regard de désir
Qui te rendra belle
Ce qui advient
Et te laisse aux aguets
Dedans
Un pétale
Lentement
Se déchire
ibid
Du premier poème au dernier, on se laisse prendre, interroger, émouvoir, enrichir.
Loin des choses où se perdre
Des promesses gelées
Tu vas
Dans la lenteur tu regardes
La mer l'herbe pousser les arbres
Les gens droit dans les yeux
Tu te souviens
Et sous le ciel immense
Les nuits de pleine lune
Nos silhouettes si petites
soulèvent l'horizon
Mireille Fargier-Caruso est une de ces voix rares et précieuses, qui vont profond, creusent les apparences et les transcendent.
La chambre au-dessus de celle des chèvres
La nuit ont les entend appeler
chiens chats des poules pas bien loin
Bêtes et gens sous le même toit
Des espèces si proches
Odeur d'homme et de foin
L'intérieur de la vie mis à nu
Avec sa peau sanglante
Un lapin écorché pour les fêtes
Goutte à goutte gicle le sang
Dans la cuvette émaillée
On le mange en buvant du vin
Tournent les saisons les têtes
S'étrangle l'innocence
Tachée de rouge au fond de soi
ibid
La vie et la mort découvrent tour à tour leur vrai visage et s'apprivoisent. La petite fille que fut Mireille l'a compris, qui nous partage sa sagesse.
Sur la plage tu t'enfouis sous le sable
Tu fermes les yeux pour pressentir
Le poids de la terre sur tes os
Avant de te relever d'un geste brusque
D'un bond tu sautes de joie
Tu rattrapes ton corps
Ici et maintenant
Tu tentes d'attraper le mouvement
Et dans les regards
Ce qu'ils ne disent pas
Ce qu'ils inventent
À coté
de ceux qui sont restés dans les fossés
Au bord de la route
En partance
Pouvoir s'échapper
Pour s'accorder au monde
ibid
Un livre-pétale pour réconcilier des choses inconciliables, pour s'accorder au monde et y semer des coquelicots. Toujours et encore la vie l'emporte. Il suffit d'y croire.
Le soir sur les bancs de la place
Les vieux prennent le frais
Ils attendent la nuit
Ils parlent de la pluie qui tarde à venir
Des enfants partis avec le travail
Puis gardent le silence
La parole ne comble pas le trou
De ceux qu'on ne reverra plus
Pour quel futur ont-ils tracé le jour?
Levain sauvage
même loin différents
Tes pas dans les leurs
Simples pas dans la neige
Cahin-caha Une empreinte fragile
Un versant au soleil
Sur les chemins abrupts
Des coquelicots grandissent
Bibliographie:
- Couleur coquelicot, éditions Pré Carré 2016
- un article de Roselyne Fritel sur La Pierre et le sel : Mireille Fargier-Caruso cet absurde désir de durer
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