une maison
rêve d'exister
in Un monde de pierres, Arfuyen 2015, p.9
Anise Koltz, à quatre-vingt-huit ans, reste la grande voix de la poésie luxembourgeoise, avec qui j'ai eu le plaisir d'échanger suite à deux articles rédigés pour La Pierre et le sel, en 2011 et 2012.
Son récent recueil, Un monde de pierre, nous régale d'une écriture, qui a conservé tout son mordant, son humour et sa profondeur.
Comme le visible
reste invisible
J'ai inventé
la seconde
la troisième vue
ibid p.96
Forte de ces atouts, elle arpente ce monde de pierres, où il n'est pas bon de perdre ses repères.
Dans chaque vie
il y a une autre vie
Je suis née
et pas née
Ma mort
n'a ni fin
ni commencement
ibid p.10
Ma naissance n'existe pas
c'est un nombre
qui ouvre le ventre de ma mère
comme un coffre-fort
Ma mort n'existe pas
c'est un mirage
j'ai existé avant moi
le temps m'a plagiée
Avec le ciel et l'enfer
sous mes ongles
je marche
vers mon inconciliable éternité
ibid p.p.10/11
Rebelle dans l'âme et ne mâchant pas ses mots, elle demeure sans pitié pour sa mère, la mort et elle-même. Par contre, elle s'acharne à déchiffrer les signes de cette longévité en écriture et tous les autres signes de vie, qu'elle choisit de désigner.
Le Nil
connaît son parcours
Nous aussi suivons la voie
inscrite en nous
La source de nos paroles
est dans le murmure de l'eau
Comme le fleuve
nous passons
tout en demeurant
ibid p.76
Les anciens Égyptiens
couvraient les murs
de leurs chambres funéraires
de signes écrits
J'inscris mes expériences
sur les panneaux de silence
de ma chambre
Des ébauches d'images
sont gravées sur mes rétines
comme un héritage ultime
Contenant testaments
et prophéties
ibid p.77
Le réel ne lui échappe pas mais elle s'autorise le rêve.
Tant de choses passent
que je ne sais assumer
Combien de fois
devrai-je renaître encore?
Personne ne connaît
mon cosmos intérieur
Les paradoxes
les rébellions de mes profondeurs
Mon présent
est déjà passé
Mes rêves
suspendent des filets nébuleux
dans l'espace
ibid p.81
Chaque poème, écrit sur le ton du monologue intérieur, invite le lecteur à faire sa propre introspection.
Mon passé est la réponse / à la question du futur affirme-t-elle, telle la résistante qu'elle a été dans sa jeunesse.
La mort naît
avec chaque vie
La terre promise
est restée sans promesse
Je m'associe aux pierres
délirant au soleil
Comme elles
je suis une constellation
perdue
dans l'univers
ibid p.80
Bien que sans illusions, elle s'avère "une illusionniste" géniale :
Chaque matin
après lui avoir brossé les ailes
Je range mon ange gardien
dans le placard
ibid p.106
Si chacun en faisait autant, la vie serait plus légère! Le mieux serait de lire Anise Koltz, comme on avale un gin tonic, avant de regarder le monde en face.
La nuit roule
sur les toits
Les signes s'effacent
la cicatrice de naissance s'ouvre
Chaque rupture
est un nouveau recommencement
une nouvelle alliance
Pour exister
nous avons besoin
d'ailes solides de rapace
ibid p.111
Aux rapaces, il faut des ailes mais aussi du souffle, ce vent du nord, soulève et dynamise celui ou celle qui n'a jamais rêvé assez loin!
Le miracle poétique s'accomplit magnifiquement sous nos yeux.
Je t'ai retrouvée
pierre différente des autres
Je t'ai rechargée de mon sang
prête à mourir
pour te garder en vie
ibid p.152
Approche-moi
enfant inapprochable
Je t'avais désapprise
mais tu as éclaté à nouveau
en mon corps clairvoyant
Réglant mes saisons
changeant mon sang
De toi
jamais je ne guérirai
ibid p.153
Bibliographie:
- Un monde de pierres, Arfuyen 2015
deux précédents articles de Roselyne Fritel sur la Pierre et le sel:
http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2011/11/anise-koltz-dans-linsurrection-du-verbe.html
http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/06/anise-koltz-soleils-chauves.html
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