Nous murmurons à l'oreille des poèmes. Nous imitons
le bruit du vent et celui de l'orage et celui de la pluie.
Nous chuchotons. Nous versons dans nos âmes le parfum
de nos voix. Alors il nous arrive de sourire bouches contre
oreilles dans ces caresses presque imperceptibles. Est-ce
cela qui nous reste du plaisir ? Est-ce là que s'est réfugié
le battement de la vie tandis que nous reposons égarés au
milieu des champs calcinés côte à côte par milliers.
in Quelques fins du monde, illustré par Joël Leick,
Ecri( peind)re, Æncrages & Co, 2011.
Et puis ce vent mon Dieu. À moins que Dieu ne soit ce vent.
Ce déchaînement de tempête comme propulsé d'un réacteur
et qui nous couche à terre nous fait ramper nous interdit la
position debout nous ramène à la condition de vers de chenilles
de larves se tortillant s'agrippant les unes aux autres trouvant
dans nos mains les seules réponses à l'enlèvement brutal. Il
faut nous tenir pour ne pas être emportés nous qui il y a peu encore
n'osions plus nous toucher de peur de mourir.
ibid
Avez-vous vu des enfants ? Avez-vous vu des enfants ? Des enfants?
Répondez-moi. Avez-vous vu des enfants ? Vous souvenez-vous des
enfants ? Des enfants ? Répondez-moi. Avez-vous vu des enfants ?
Des enfants ?
ibid
Agités les mille papiers et sacs volent contre les grillages. Dans un
grand souffle encore venu d'on ne sait où. Nous regardons danser
les débris colorés ou blancs qui se froissent comme jadis les soies
et les satins sur nos corps. Nous venons dans le soir qui ne finit jamais
regarder la valse des emballages qui n'emballent plus rien et qui dessinent
des fragments de cinéma des figures mathématiques des équations irrésolues.
Beaucoup se contentent d'être là muets les uns près des autres chacun dans ce
qui lui reste de souvenirs. Des fleurs de plastique de silicone d'aluminium
de cellulose. L'efflorescence des déchets dans l'air brûlant du soir infini
avec ce soleil qui élargit sa sphère et vient vers nous semble dire ce que
nous fûmes. Nous suons. Nous étouffons. Notre nudité ne nous rafraîchit pas.
nous pensons biens sûr à d'immémoriales représentations de l'Enfer mais
nous sommes désormais loin des livres et des légendes. Nous les vivons.
ibid
Fresque de La Porte de l'Enfer de Fernando Botero (1972)
dans l'église San Antonio Abate à Pietrasanta, en Italie
Nous avons tant menti à nos semblables aux oiseaux aussi
aux créatures aux étangs que nous ne savons plus aujourd'hui
de quelle farine serait cuit notre pain. Nos espérances de miracles
sont des miettes rassies au fond de nos poches. Nous sommes venus
nous blottir entre les cuisses des femmes peureux et pitoyables.
Nous tremblons. Aucun cantique. Cassée la croix. Suppure l'humain.
Nous retournons à notre peau pour y découvrir une réponse. Un grand
rire. La comédie.
ibid
Ces extraits d'un texte d'apocalypse, évocateur du Jugement dernier, peuvent nous laisser comme au Moyen Âge glacés de terreur, pantelants. Il peuvent aussi nous évoquer le quotidien de tous les êtres humains déplacés et vivant dans des camps de fortune, sans rien savoir du lendemain. C'est là tout l'art d'écrire.
Né en Lorraine en 1962, Philippe Claudel est tout à la fois romancier, auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages, également cinéaste ( Il y longtemps que je t'aime) et poète à ses heures.
Il signait là, en 2011, son quatrième recueil aux éditions Æncrages & Co.
Bibliographie :
- Quelques fins du monde, Æencrages & CO, 2011
sur internet :
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