Port des Barques

Port des Barques

vendredi 8 mars 2019

Françoise Hàn il n'y a plus d'étoiles à atteindre



        Un été sans fin                                                                       

        Je ne t'écrirai plus

        le solstice est brisé
        nos paysages
        ensevelis
        je n'écrirai pas notre mémoire

        je m'adresse à d'autres
        au-delà des coulées de lave
        hautes de plusieurs siècles
        au-delà des étoiles éteintes
        dont la lumière parvient encore
        à la main qui écrit

        je m'adresse à ceux qui s'aimeront
        bien plus tard quand les jours
        seront devenus plus longs
        pour qu'ils recommencent notre histoire
        sous un autre soleil

        leurs ombres seront les nôtres
        ils auront notre voix peut-être
        nos silences
        sur les mains le pollen des fleurs
        que nous n'avons pas coupées
        qui sait même la rosée d'un matin

        in Un été sans fin, éditions Jacques Brémond, 2008

Édité chez Jacques Brémond, ce mince recueil tout en hauteur tel un cri, étire vers le ciel sa couverture gris pâle, où seul le titre, en bleu turquoise, évoque le souvenir d'un été sans fin…qui s'est avéré être le temps d'un adieu.
Le poète s'adresse avec une infinie tendresse à un cher disparu, qui a pris soin de ne pas déranger les milliards d'étoiles, d'aller son chemin sans soulever la poussière, de ne pas froisser le pli du temps qui retombe. et de se dissoudre dans l'ailleurs à jamais sans y laisser de déchirure...

         Pendule

         Dans l'écart entre hier
         et aujourd'hui
         bat un pendule qui ne peut pas
         retrouver le point d'équilibre

         l'amplitude de sa course
         augmente dans l'écart
         où la nuit s'est engloutie

         augmente sans fin il n'y a plus
         d'étoiles à atteindre
         à joindre d'un battement rapide
         elles ont dépassé l'horizon

         il n'y a plus d'attente
         il n'y a plus de minuit
         il n'y aura plus de point du jour

         ibid

L'aimé a pris désormais la forme d'un absent, qu'elle évoque avec des mots poignants, que chacun pourra faire siens :

         Vers

         Aucun langage ne lui parvient
         ni celui qu'échangent
         la terre et l'eau
         l'air et le feu
         ni celui de la ville au petit jour
         ni celui des vents de sable
         sur les plus grands déserts

         pas même les mots perdus
         dans les marges d'un poème
         si longue soit leur errance

         une fissure de l'espace
         s'est refermée sur lui
         la suture
         s'en est effacée

         Parler de lui à la terre
         où reste une empreinte
         de ses pas
         à la source qui garde
         sous les eaux son image
         à l'air qui s'est ouvert
         devant lui
         au feu son dernier élément

         le dire dans la rumeur
         de la cité au bord du fleuve
         dans le vent qui passe chargé
         d'années lointaines
         dans les quatre directions de l'espace
         et l'unique direction de la flèche du temps

         l'écrire pour que la page
         se couvre du soleil
         de sa présence
         matins midis et soirs
         de sa présence
         pierres blanches
         à chaque ligne en allée vers
         l'inachevé du poème

         un futur sans poids

         ibid.

Le contraste entre la force, qui se dégage de cette écriture et l'apparence fragile de son auteur, mérite d'en savoir davantage, je vous invite vivement à lire le précédant article, ayant pour titre Le vide est mon élan, rédigé par moi à son propos et paru sur La Pierre et le sel, en septembre 2013

Je rappelle que l'accès exige un peu de patience de la part du lecteur avant que ne s'ouvre le lien mais j'en ai vérifié le bon fonctionnement et vous en souhaite une très bonne lecture.
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/09/fran%C3%A7oise-h%C3%A0n-le-vide-est-mon-%C3%A9lan.html

Bibliographie:
  • Un été sans fin, Françoise Hàn, éditions Jacques Brémond, 2008





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