Port des Barques

Port des Barques

vendredi 24 juin 2016

Max Alhau L'infini sans lequel rien ne commence


          Parfois c'est cela l'éternité,
          cet avant-goût
          de ce qui ne sera pas.
          Il suffit d'une garrigue,
          d'un arbre à l'aplomb du ciel
          pour qu'elle invoque cette aube,
          ses fastes, ses éclats
          et que la route s'éploie
          vers l'infini.

          in Du bleu dans la mémoire, IV La voyageuse,  éditions Voix d'encre 2010, avec des encres
          d'Hélène Baumel

 Max Alhau, né en 1936,  est l'auteur d'une vingtaine de recueils de poèmes.
Silhouette longiligne, il a souvent l'air tout à ses pensées mais sa poésie révèle une grande sensibilité liée à une force d'âme.

Ici, La voyageuse, dont il parle, n'a rien vu venir.

          Elle n'a rien vu surgir,
          elle a fermé les yeux :
          il neigeait sur la nuit,
          le jour ce refusait
          à défroisser la terre.

          Il ne lui restait plus
          qu'à éclairer la table
          pour mettre enfin en pièces
          les mots qui s'efforçaient
          de soudoyer la page.

          ibid.

Cette brisure qu'est la vie, il l'explore au risque même d'anéantir l'espoir.

          Tout se confond
          avec la nuit
          sans qu'il lui soit permis
          de douter de son issue,
          de ce qui tremble
          et se défait
          mais dont elle convoite
          la présence fugace.

          ibid

Le poète devient celui qui accompagne jusqu'au bout cette fuite inexorable et regarde la mort en face.

          Voyageuse,
          si tu veux ne pas t'en aller,
          absorbée par la pluie ou le feu,
          n'essaie pas de retenir ce peu de lumière
          qui se faufile vers le soir.

          Appelle l'absence par son nom,
          tu n'auras pas à te soucier
          du temps ou de l'éternité.
          Tu rejoindras le port après lequel
          rien ne commence, rien ne s'achève.

          ibid.

On écrit pour ne pas mourir ou, du moins, pour ne pas souffrir, dit à son propos Jean-Max Tixier dans le n°43 de la revue Autre Sud, consacrée au poète, fin 2008.

Dans ce même numéro, Max Alhau, s'entretenant avec Bernard Mazo, avoue un profond sentiment de solitude, un sentiment éprouvé dès le lycée, qui l'amènera à trouver cette "porte de sortie" que sont l'écriture et la contemplation de la nature et en particulier celle de la montagne, de ses sommets et de ses horizons.
L'émotion et le ressenti "constitueront pour lui des remparts à la vacuité, au désespoir, peut-être parce que la poésie ne permet pas de tricher avec soi, avec les mots, parce qu'elle est fondée sur l'authenticité de la parole."
Interrogé sur la fonction essentielle du poète et de la poésie dans le monde d'aujourd'hui, Max Alhau répond :

L'évolution de notre monde l'a réduite à presque rien. Pourtant la poésie demeure comme le dernier rempart face à la barbarie, à l'a-culture qui est de règle, face aussi à l'écrasante domination du roman en littérature. La poésie, par ce qu'elle véhicule, par sa diversité, sa richesse représente ce besoin élémentaire de s'en remettre à une autre vision de l'humanité, une vision intérieure qui permet à l'homme d'en apprendre un peu plus sur lui, sur le monde et lui ouvre les portes d'un horizon qu'il ne soupçonnait pas. La poésie, comme la vie "est belle et terriblement inutile", comme le disait Louis Guillaume, ce rêveur éveillé."
Louis Guillaume a été pour lui le poète de référence, à ses débuts dans les années 1960.


Vue sous son regard, la vie n'en est que plus précieuse :


          L'admirable
          c'est de se savoir de passage
          comme un arbre ou un ruisseau
          mais à plus brève échéance
          d'être là
          au centre du monde.
          Chaque instant
          qui glisse sur le corps
          et s'efface aussitôt
          en dit la présence.

                     Les mots les paroles
                     qui sont le calque de l'existence
                     s'achèvent en même temps
                     que la main la voix.

          Le tragique
          est aussi
          dans l'imminence de l'absence
          de ce qui s'ensuit ou non.

          in Nulle autre saison, choix de poèmes 1980- 2000, L'arbre à paroles 2002, p.14

À des années d'écart, l'esprit du poème et la raison d'écrire demeurent intacts, comme en témoigne ce poème paru en 2015 dans la jolie collection Métive des éditions Tipaza , qui s'ouvre comme une corolle de fleur :

          Tu reviens de loin,
          mais tu n'as jamais quitté ces lieux.
          Seul le vent, seuls les mots
          ont accrochés tes pas
          et t'ont conduit au-delà
          vers des pays sans frontières
          dont le relief hante tes rêves.

          Tu n'as rien connu
          si ce n'est cet espoir
          de te soustraire au temps,
          de glorifier des saisons
          qui prenaient place ailleurs,
          en marge des calendriers.

          Tu reviens de loin
          et tu t'en iras
          vers des ports    à l'écart
          et s'ouvrant
          sur l'infini
          des choses et du monde.

          in La lampe qui tremble, avec des peintures de Hamid Tibouchi, éditions Tipaza, 2015, p.1

   
 Max Alhau était présent, le 14 mai dernier, sur la péniche Daphné, ancrée au pied de Notre Dame, pour la présentation de son dernier recueil, Si loin qu'on aille,  paru en 2016 aux éditions L'Herbe qui tremble.
Si loin qu'on aille, on découvre des paysages et soi-même par le biais des mots, disait-il à propos de ce recueil avant d'en faire lecture.
J'en conserve quelques mots qui vacillent,  la crainte et sa brûlure, et bien que toute perte l'emporte sur le gain, le souvenir de ce que fut l'aurore. Un récit triste et beau dans l'esprit de ce qu'il écrit, et qui donne une profonde unité à sa création.

Ayant tout particulièrement aimé dans son recueil Nulle autre saison, paru en 2002 chez L'arbre à paroles, les poèmes en prose du Fleuve détourné, qui illustrent parfaitement l'alliance de la beauté et de l'exigence intérieure du poète, j'en transcris quelques uns en guise de conclusion.


                                                   Courir à l'oasis

                      Un visage que l'on croyait disparu remonte avec la mer :
           ce n'est plus celui que l'on serrait contre soi, mais une image se
           se détachant du paysage pour l'envahir pleinement.
                       Quelque chose au goût de menthe atteste cette tendresse
           encore proche, cette odeur de forêt après la pluie, ce qui ne
           demande qu'à renaître en signe d'accomplissement.


                                                               *


                       Arrivé sur un autre continent, on s'aperçoit que l'on n'a
            jamais quitté le port, que c'est le même ciel, les mêmes étoiles
            que l'on révère.
                        C'est ainsi que l'on voyage, les yeux ouverts sur soi et
            clos sur le reste du monde pour se frayer un passage jusqu'à la
            mer.

            in Nulle autre saison, Le fleuve détourné, éditions L'arbre à paroles, 2002, p.65


                        Dans son vol une grive emporte la rivière et les dernières
              parcelles de la prairie.
                        Ce qui subsiste s'accommode d'une présence qui ne lui
              appartient plus. Nous ignorons tout de nos croyances réfutées un
              jour de tempête. Nous attendons seulement qu'une porte s'ouvre
              et qu'une voix nous interpelle.

              ibid p.69



                        Quelle est cette voix qui parle en toi et qui n'est peut-être
               pas la tienne, ces mots que tu crois reconnaître, que tu n'as pas
               prononcés et qui ne t'appartiennent plus ?
                         Tu ne mens pas, tu ne te trompes pas : tu te hisses à l'écoute
               de l'indicible : tu n'as pas apprivoisé le silence. Tu te tournes
               vers toi. Un autre dérobe ta parole pour te la restituer à ton insu.

               ibid p.71


Bibliographie:
  • Nulle autre saison, L'arbre à paroles, 2002
  • Revue Autre Sud, n°43, décembre 2008
  • Du bleu dans la mémoire, Voix d'encre, 2010
  • La lampe qui tremble, avec des peintures de Hamid Tibouchi, éditions Tipaza 2015

sur internet:
                  


                


         

                       


 

vendredi 17 juin 2016

René-Guy Cadou Je demande à être lu



         MER VOISINE

         Je ne suis plus chez moi
         Le ciel est sur ma table
         À présent
         C'est le cœur qui roule dans le sable
         Et des bouquets de mer qui flambent sur le toit

         On écoute une voix
         Qui passerait la porte
         Quelqu'un qui cacherait plus loin
         Sa tête morte
         Au bas de l'horizon la terre démontée

         Tu viens de ce coté
         Mais je te vois à peine
         À travers cette larme et ce rideau de suie

         Il fait nuit
         Les oiseaux sont pendus sous les chênes

         in Poésie la vie entière, Bruits du cœur (1941), Seghers 1977, p.56


Après avoir présenté Marc Patin, la semaine précédente, j'ai eu envie de relire René-Guy Cadou qui fut son contemporains et qui, né en février 1920,  mourut jeune lui aussi, emporté par la maladie en 1951.

Ce qui frappe d'emblée lors de cette relecture, c'est combien sa jeune gravité nous interpelle encore.

Ici, comme pour le poème précédent, il n'a que 21 ans.

         HORS DE MOI

         Les cœurs sont à laver
         Les plaies sont enlevées
         L'étoile d'araignée brille dans la serrure
         Il ne reste déjà qu'une ombre
         Sur le mur
         Et le peu de chaleur que tu m'avais laissée

         Qu'importe
         On vit sans peine
         Une main qui rôdait va souffler sur la plaine
         Un pli noir se détend
         Et la roue du soleil fait chavirer le temps
         Le ciel prend l'air

         Me reconnaîtras-tu
         Ma peau est à l'envers

         in  Poésie la vie entière, Œuvres poétiques complètes, Bruits du cœur (1941),   aux éditions Seghers 1977 p.64

Là, nous sommes en 1944, et il a 24 ans :

         QUAND TOUT S'EN EST ALLÉ

         La vague et le cheval qui devançaient l'éclair
         Les cadastres du sang
         Les grands itinéraires
         La lampe qui filait sous les tuiles des sources
         Ce qui marchait vers toi
         Et te rendait plus fort
         Les pontons du soleil
         La vedette du port
         Tout cela dans la nuit
         Tombé par-dessus bord

         La mer s'en est allée refermée sur ses voiles
         Dans les sillons du vent pourrissent les étoiles
         C'est un monde trop lourd qui pèse sur ton front
         Trop de fiels et de plombs
         De sommeils et de pierres
         Jetés sur le rideau limoneux des paupières

         Tu peux te relever
         Composer ton visage
         Étaler tes deux mains
         Comme un objet de prix
         Vivant tu resteras
         Un autre que toi-même.

         ibid 2. La vie rêvée (1944) p.163

René-Guy Cadou et Marc Patin ont plusieurs choses en commun. Ils sont nés à un an d'écart. L'un comme l'autre ont perdu leur mère entre 12 et 10 ans.
Tous deux sont mobilisés en 1940 puis démobilisés. Durant l'occupation naît en eux le désir de s'investir totalement en poésie.
Le groupe de "L'École de Rochefort" voit le jour en 1941, Cadou en sera un membre actif, tandis que Marc Patin devient la même année le co-fondateur du groupe de "La Main à plume".
En septembre 1943, Cadou échappe par miracle à la mort, protégé par un porche lors du bombardement de Nantes, tandis que Patin, réquisitionné de force, travaille depuis deux mois comme soudeur dans une usine de Berlin.

Enfin tous deux célèbreront la femme, dont ils sont amoureux.
Patin meurt de pneumonie à Berlin, en 44, puis tombe en oubli.
Cadou atteint d'un cancer décède en 1951. Hélène son épouse, également poète, consacre sa vie à faire connaître la poésie de son époux défunt.

"Je ne demande pas à être jugé: je demande à être lu" écrivait René-Guy Cadou dans Usage interne un recueil de notes, que font paraître ses anciens amis de "L'École de Rochefort", au lendemain de sa mort.

Profitons de cette occasion pour le lire ou de le relire.

         LE FORCAT MUTILÉ

         Feutre des souvenirs
         Paupières Ô tourterelles
         Chaume du cœur couvert
         De limons et d'années
         Me rendrez-vous mes mains

         Clémences saisonnières
         Toujours entre les yeux
         Le toit bleu qui voltige
         L'épaule et la mansarde
         Havres de mon amour
         Et la mer ses goélands
         Sur les plus hautes tours

         Ô femme que j'avais
         Cernée de tiges molles
         Enfant qui bondissais
         Dans son ventre léger
         Me reconnaîtrez-vous
         Si je force la porte

         C'est un homme qui parle
         Entre les autres hommes
         Et cache dans sa voix
         Une âme mutilée
         Ah rendez-lui ses mains
         Il a beaucoup pleuré.

         ibid La vie rêvée, I. Grand élan, p.p.101/102


         QUELQUE PART ET PLUS LOIN ENCORE

         Quelque part dans une maison pavée de carreaux rouges
         Derrière un bois très loin à la limite de la neige
         Après le rail
         Et plus loin encore si tu peux
         Au-dessus de la vieille photographie sans cadre
         Très loin
         Il y a une lampe
         Avec de l'huile
         Avec de gros doigts marqués sur le verre
         Depuis mille ans l'horloge est arrêtée
         Parmi des linges noirs et des poissons séchés
         Mais la nuit
         On entend distinctement la lampe
         Comme un insecte dans le drap
         Comme une très ancienne langue
         Et la femme occupée à vivre se souvient
         D'un enfant de son sang paré
         De son mari dans la forêt
         Qui tarde bien
         Qui peut manquer
         Et qui lui fait mal aux épaules.
         
         ibid Le cœur définitif, L'aventure n'attend pas le destin 1947-1948, p.234


Je citerai encore ces deux émouvants poèmes extraits de la dernière parution de son vivant, Les Biens de ce monde 1949-1950.

          Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
          Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
          Que chaque nœud du bois renferme davantage
          De cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt
          Il suffit qu'une lampe pose son cou de femme
          À la tombée du soir contre un angle verni
          Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
          Et l'odeur de pain frais des cerisiers fleuris
          Car tel est le bonheur de cette solitude
          Qu'une caresse toute plate de la main
          Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
          La légèreté d'un arbre dans le matin.

          ibid Les Biens de ce monde 1949-1950, p.347


          LA SOIRÉE DE DÉCEMBRE

          Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
          Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?
          Oh! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
          Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
          Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
          D'une journée, le long des rives du destin !
          Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
          Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
          Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
          Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes ?
          Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
          De vous perdre sans cesse dans la foule
          O crieurs de journaux intimes seuls prophètes
          Seuls amis en ce monde et ailleurs !

          ibid p.347

Bibliographie:
  • René-Guy Cadou, Poésie La Vie Entière, Œuvres poétiques complètes, éditions Seghers 1977
sur internet :

vendredi 10 juin 2016

Marc Patin L'amant aux mains nues



         FEUILLE

         J'ai poursuivi l'impérissable jeune fille
         et je n'ai su
         jusque là recueillir
         à la fin des bras qu'une mèche
         de nuit blonde.

                                  5 mars 1938
        
          in Les yeux très bleus d'une nuit pareille à un rire sans regret, Les yeux chauds (1938),
         Œuvre poétique 1938-1944, Les Hommes sans épaules éditions 2016, p.36

          TOUT

                    à Christiane

          Nous aurions pu nous souvenir
          à la pointe extrême du jour
          à la pointe de tout
          que nous étions deux

         Mais la fleur était debout
         plus seule au bout du chemin
         que ceux qui vivent en foule
         elle emplissait le ciel

         Un sur le fond du monde
         les cœurs tendus
         nous les yeux plus larges
         pour brandir les horizons.

                                  26 avril 1938

         ibid Les yeux chauds p.42

Nous sommes en 1938, Marc Patin a 19 ans, il est amoureux fou d'une Christiane à qui il dédie ce poème, et tous ceux qui suivront jusqu'à leur rupture en 1940. Il a trouvé sa veine poétique et écrit fiévreusement des poèmes d'amour.
La revue Les réverbères vient de paraître pour la première fois en avril 1938, il y publiera jusqu'en juillet 1939.
En septembre, bachelier es Lettres, il intègre, la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Ouest en tant que rédacteur.
Après leur rupture, il se découvre en février 1940 une nouvelle égérie, Hélène, une jeune femme rencontrée aux concerts Colonne, qu'il nomme Vanina ou L'étrangère.
Il est mobilisé en Mai 1940.

         NOVEMBRE

         La blondeur des arbres capture les derniers oiseaux
         Le froid s'insinue entre le monde et moi
         Un feu de bois entretient ma solitude
         Autour de lui la terre garde l'empreinte de mes pas
         Parmi l'argile foncée les herbes pauvres de la vie supportée
         Le soleil mémorial cherche son chemin jusqu'à nous
         L'horizon soutient encore le souvenir de ta voix
         Et je suis Vanina dans la multiplicité de la distance
         Seulement un homme amoureux
         De l'absence grandissante de l'amour.

                                               Meisseix, le 10 novembre 1940

         ibid  Vanina (1940) p.174

Démobilisé en janvier 1941, il fonde avec des amis poètes le groupe La Main à plume – titre choisi en référence à Rimbaud – et la revue du même nom. Sa poésie est résolument surréaliste.

          RENCONTRE

          Minuit
          La passante séduite
          Se glisse dans une robe d'ossements
         
          Minuit
          La passante chimérique descend
          Un escalier chancelant

          Minuit sur la passante qui hésite
          Entre une armure d'or et une armure d'argent
          Sa chair est en proie à un miroir ardent.

                                                  26 janvier 1941
 
          ibid  Partage de l'ombre (1941) p.185


          AMÈRE

          La femme qui passait dans la rue
          Étroite de feuillage et de soleil
          Avait une libellule humide sur chaque sein

          L'homme qui passait dans l'avenue
          Large de vitre et de vieille pierre
          Avait un peu de sable dans chaque main

          Un peu d'air une huître verte
          Mourait
          Entre deux coquilles de chair.

                                   20 juin 1941

          ibid Partage de l'ombre (1941) p.212



          HUMAIN

          Un vent de chair passe
          Entre deux déserts

          Un corbeau joint deux murs gris
          Une serrure brûle entre deux chaînes
          Et la banquise emplit l'hiver

          Un homme s'entoure de caresses
          Pour devenir invisible
          Un homme s'entoure de caresses
          Et tout l'oublie

                                              29 août 1941

          ibid Partage de l'ombre (1941) p.248


           MARC PATIN

                        Il est né par un matin pâle et lui-même si pâle que
           sans doute personne ne l'a vu, et que lui-même n'a gardé de
           sa naissance que le désir violent d'une nuit où l'ombre
           d'une ombre soit visible.

                                                         14 octobre 1941

           ibid Partage de l'ombre (1941) p.257

Paul Éluard rejoint les membres de La main à plume. Marc Patin et lui sympathisent et se voient très souvent et débordent de créativité.

Sa première plaquette de poèmes, Femme magique, paraît alors, illustrée par une artiste peintre, Tita. Tirée à 250 exemplaires, elle restera sa seule publication de son vivant.

En 1942, il intègre l'Imprimerie Nationale en tant que rédacteur.
Les poèmes réunis sous le titre, L'amour n'est pas pour nous, chargés d'images insolites jaillissent au quotidien ou presque...Il n'a pas 23 ans.

         TOUCHER

          Je vois derrière la mer le voleur de vent
          Je vois des oiseaux éblouis par leur sang
          Des oiseaux chargés de terre
          Et sur leurs ailes soulevant le vent
          Beau voleur de filles aux yeux touchants
          Je vois la terre
          Soulever ses bêtes jusqu'aux tours sylvestres
          Dominées par la mer dénudant tous ses aimants
          Je vois les filles
          Que déshabille la paume des collines
          Et les femmes qui s'habillent de coquilles
          Et de verre mouvant
          Dans un baiser des femmes qui reflètent
          Les gestes lents de grands hommes verdoyants
          De grands hommes aux chairs alpestres
          Des pieds à la tête soulevant leur sang
          Jusqu'aux lèvres du vent
          Beau voleur de filles aux yeux tranchants
          Retournant l'air le ciel la mer
          La chair et la nuit claire
          Et noire comme un gant.

                                   3 février 1942

          ibid L'amour n'est pas pour nous (1942) p.287

Il a atteint la pleine maîtrise de son écriture, ose des alliances de mots inattendues, invente des rythmes étourdissants, enlevés ou syncopés. Près de 700 poèmes restés inédits naîtront ainsi sous sa plume, inspirés par l'élue de son cœur, qu'il idéalise.


          MIROIR DE FACE

                                 I

          Elle vit comme on rit aux éclats
          Comme on tourne le dos
          Comme on assassine
          Le temps d'un couteau

          Elle rit comme on s'esquive
          Et se déshabille
          Comme une pierre dans l'eau.

                                  II

          La voici elle dort
          Pauvre fille sans éclat
          Un homme a la forme de ses bras
          Et ressemble à l'homme
          Qui le regarde de ses yeux sans éclat.

                                   III

          Un homme
          À la hauteur de ses paumes
          Regarde à niveau d'homme
          Son visage de bois.

                                   7 février 1942

          ibid p.288


          RIRE DE PROIE

          Il y a des serrures sous les sources
          Des serrures rongées par leurs clefs
          Et qui dévorent leur éclat
          Il y a des fenêtres sous les fenêtres
          Rongées par des fenêtres
          Et refermées sur leur éclat
          Il y a des oiseaux qui sont des larmes ou des armes
          Dans les yeux de bêtes aux os froids
          Qui rôdent autour de leur éclat

          Il y a des hommes qui jouent à qui perd l'âme
          Pour des filles verrouillées
          Dans des greniers bondés de clefs

          Dans l'ombre
          Où les larmes aiguisent des armes
          Et dans ce miroir noir où il est tard
          Miroir où le plomb s'abat
          Il n'y a de clair que cette belle
          Fenêtre ouverte sur sa chair
          Et qui rit aux éclats.

                                   20 février 1942

          ibid p.293


Durant cette année 42, la revue de La Main à Plume publie le recueil de Paul Éluard, Poésie et vérité 1942. Marc Patin, pour sa part, dédie plusieurs poèmes à Éluard, mais hélas! les mois à venir s'avèreront  dramatiques pour lui.
Je cite les éléments de sa biographie figurant en annexe à ce livre :

Marc Patin signe plusieurs pamphlets collectifs visant des auteurs qui publient dans des journaux collaborationnistes ou chrétiens et ne manque pas une occasion de le faire, jusqu'en mai 1943.
Prudent, Paul Éluard rompt avec La Main à Plume.

Fin juin 43, le domicile de la famille Patin à Paris est perquisitionné par l'Abwehr.
Marc Patin, est convoqué au Bureau Allemand, le 5 juillet.
Le S.T.O (Service du Travail Obligatoire) ayant été instauré à la mi-février de l'année 43, il est aussitôt réquisitionné pour ce service.
Malgré deux courriers de son employeur, le directeur de l'Imprimerie nationale, visant à faire annuler la procédure, il est contraint de partir pour Berlin, le 26 juillet 1943, pour travailler comme tourneur-soudeur chez Argus Motoren, une usine de fabrication de moteurs pour voitures et avions.
Les conditions de vie y sont très dures, il travaille 70 heures par semaine.
Le 17 décembre 1943, le camp de 20.000 travailleurs étrangers, qui l'abrite, est bombardé et détruit. Il perd toutes ses affaires et la plupart des poèmes écrits jusque là et doit loger désormais à l'usine, dormant par terre dans la paille, en plein hiver.

À Paris, entre temps, tous les membres de la Main à plume se sont dispersés et le groupe ne tardera pas à exploser.

En août, deux de ses membres Arnaud et Chabrun  prétendent que Patin serait parti de son plein gré et demandent son éviction du comité directeur. Sans plus de consultation des membres du groupe, Arnaud informe par courrier, adressé à Berlin, Marc Patin de son exclusion de La Main à plume.

À réception de son avis d'éviction, à la fin septembre, Marc Patin écrit à ses parents : "cela ne vaut pas l'encre pour y répondre". Il le fera cependant, en septembre, et s'adressant à Noël Arnaud, écrit ceci : "L'usage du surréalisme, qui a multiplié en moi les possibilités humaines d'émotion, n'est arrivé en vous qu'à tarir tout sens des réalités humaines et de l'humanité réelle".

Il trouve encore par la suite l'énergie nécessaire pour écrire des poèmes superbes et visionnaires.


          LES POÈTES ET LES PROPHÈTES

          J'ai vu le ciel dans une étoile et le feu noir au cœur de l'arbre
          La neige nue comme une femme
          Et le sang couché sur le sable

          J'ai vu le jour l'oreille contre la vitre
          Bateau veilleur enfoncé dans la nuit
          J'ai vu des yeux plus forts
          Plus sauvages que des fruits

          J'ai vu des hommes dans la plaine
          Couverts de poussière de bois mort de reflets
          Des hommes de chair un soir
          Ils tenaient à la main une lune éteinte une main de femme
          un fer à cheval

          Ils avaient sur la face
          L'haleine âcre des détroits

                                                17 décembre 1943

          ibid L'ébène a noyé l'ivoire de nos nuits (1943), p.456


          LA MÉMOIRE

          La nuit je pense à vous votre visage est devant moi au
                       niveau des miroirs et des sables
          Mère des bouquets et des arbres mère aux mains palpables
          Je vous vois vous avez des rires entre les doigts
          Et dans les yeux du sang véritable

          Aux épines des routes l'orage laisse des lampes rouges
          Le ciel est une roue dans les herbes brisées
          Le chemin bordé d'aubes pend
          Comme un linge à la corde des toits patients

          Dans les paniers de la rivière une fille nue et blanche
          Glisse ses seins et ses hanches
          Face à l'absence face au vide qui la tente
          Une fille nue et tendre frise distraitement

          La verdure de ses jambes.

                                                29 décembre 1943

          ibid L'ébène a noyé l'ivoire de nos nuits (1943) p.457

                                      L'INNOCENCE

                       Il y eut un temps où j'étais clair, où tout pour moi
          était transparent. Des chaînes légères flottaient sur la rivière
          ou sur le ciel. L'arbre embrassait l'ombre de l'arbre et
          l'ombre caressait doucement l'arbre. Dans la poussière des
          bêtes candides naissaient sous mes doigts. La terre limpide
          comme de l'herbe me renvoyait mon visage et ma voix.
          J'entendais les milliers d'ailes du soleil rompre les cages
          vitreuses de la nuit, j'entendais filer comme l'hirondelle les
          mille facettes de la nuit, oui, j'entendais, je voyais l'air
          fertile écarter les paumes des ombres et des aubes réunies.
          C'est à cette époque que je devins amoureux-amoureux de
          deux mains inconnues, – que je connus les lèvres qui
          n'étaient pas les miennes, –que deux yeux, deux seins, que
          je n'avais jamais vus, deux regards sereins comme deux
          jours certains, s'ouvrirent pour moi sur d'infinis pays de
          chair dont, par la grâce de toutes les vertus, je ne suis jamais
          tout à fait revenu.

                                                              25 janvier 1944

          ibid L'ébène a noyé l'ivoire de nos nuits p.461

Ces textes sont d'une tendresse et d'une sérénité poignantes.
On le voudrait sauf, revenu chez lui et, la guerre finie, s'adonnant pleinement à son art. On le voudrait célèbre et reconnu. On le voudrait, poète aux cheveux blancs, vénéré par ses confrères, amis et lecteurs, et bien qu'ayant beaucoup écrit, écrivant encore...
Il ne lui reste qu'à peine deux mois à vivre.

Le 19 février 1944, il adresse ses deux dernières lettres à ses parents et son ami Jean Hoyaux. Le lendemain il écrit son dernier poème Écoute, dédié à ce dernier.

          ÉCOUTE !

                       à Jean Hoyaux

          Loin de moi maintenant comme l'étoile
          Dans le lac qui la reflète
          Loin de moi maintenant comme le soleil de minuit
          Je pense à toi
          Je pense à tout ce qui est beau en moi je suis naïf
          Aux herbes qu'on écarte
          Sur le visage des amis
          Je pense aux herbes qu'on écoute
          Aux yeux qui s'ouvrent sur les campagnes dévêtues à midi
          Aux rivières
          Qu'on dénoue à la taille des filles mortes

          Elles revivent chaque matin
          Leurs mains de verdure sur leurs seins neufs
          Elles s'avancent sur les crêtes des coqs de la mer
          Le chœur des coqs
          Qui hurlent au soleil

          Mon ami mon ami les voici
          Un arbre de chair brûle à l'ouest
          Dans le vent d'hiver
          Elles s'avancent elles viennent

          Les yeux très bleus d'une nuit pareille
          À un rire sans regret

                                                            20 février 1944

          ibid L'ébène a noyé l'ivoire de nos nuits p.465

Si la chute du poème qui précède a donné son nom à l'édition de ce livre, présenté par Christophe Dauphin au terme d'un travail magistral de plusieurs années sur les inédits de Marc Patin, le titre donné à cette recension, L'amant aux mains nues, m'a été suggéré par la lecture du poème, qui suit. Il résume à lui seul la quête d'une vie : créer et aimer !

                                     CRÉER

                         Il y aura un jour un oiseau couleur de vent qui
          volera de branche en branche à travers l'été de sang dire à
          l'oreille de la femme qui veille au seuil des nuits blanches
          que son amant est en route vers elle venant des plages
          flambantes de la mer.
                         Il viendra cet homme innocent des îles blotties dans
          une aile, il viendra par les sentiers, par les rues des villes
          couronnées, il descendra les torrents de l'arc-en-ciel, gravira
          les angles bleus du soleil.
                         Cependant la femme derrière son visage de nuages
          apparaîtra au détour d'une place déserte, une place dévastée
          et verte.
                         La femme tremblante et sage transparente ignorante
          déchirera du doigt son vêtement de nudité.
                         Dans ses yeux déjà le galop du passé fait se lever de
          terre les puissantes formes d'un avenir sans bornes aux
          anneaux d'herbe et de rivières aux chaînes dorées.
                         Sur sa bouche éteinte et sur ses bras et sur ses seins
          déjà se pose au fil des années le doux pollen des sources
          enceintes de rêves insensés.

                         Il y aura un jour un amant en route vers son amante
                         Immobile au pied du passé
                         Il y aura un jour un amant qui viendra les mains
          nues et gourmandes dompter les formes rétives de la terre
          passionnée.

                                                            10 janvier 1944

          ibid L'ébène a noyé l'ivoire de nos nuits p. 459

Fin février, il se plaint de violentes douleurs à la poitrine. Atteint d'une pneumonie et hospitalisé trop tard, il meurt d'une embolie pulmonaire le 13 mars 1944. Il est inhumé dans un cimetière de Berlin.
Un mois plus tard, une bombe fait exploser sa tombe ainsi que celles de quatre autres français. Les restes de ces malheureux, réunis dans un même cercueil en 1951, seront ré-inhumés dans le cimetière national de Montauville, en Meurtre et Moselle.

Quelques uns de ses poèmes paraissent par la suite aux éditions de l'Imprimerie nationale et dans la revue Réalités, en 1945, puis Marc Patin tombe dans l'oubli complet.
Ce jusqu'en 1992, où Guy Chambelland édite deux recueils du poète. Christophe Dauphin découvre alors Patin et accède à ses archives, en 2003.
L'ensemble de l'œuvre poétique (1938-1944) de Marc Patin, restée inédite, est enfin réunie et présentée par Christophe Dauphin et éditée par les éditions Les Hommes sans épaules, en 2016.

Bibliographie:
  • Les yeux très bleus d'une nuit pareille à un rire sans regret, Les Hommes sans épaules éditions, 2016
  • Le n° 41 de la revue Les hommes sans épaules, paru en mars 2016, avec des poèmes inédits de Marc Patin, datant de 1943 

vendredi 3 juin 2016

Marie-Claire Bancquart La passion du vivant



         Oui, parfois
         c'est l'hiver des choses

         contre la mort l'espoir meurt de froid

         ...Mais donner forme à l'inconnu
         prendre parole
         mot par mot doucement
         comme on trie des lentilles...

         Monde invisible,
         tu te gonfles de jour, alors,
         dans un éclat de transparence partagée.

         in Qui vient de loin, éditions Le Castor Astral, 2016, p.71

Ce tout dernier recueil de Marie-Claire Bancquart est né de l'expérience d'une hospitalisation en urgence, dont elle dit :

         Oui, j'ai coulé
         pas tout à fait au fond
         mais en totale absence.

         Des murs anonymes
         Des draps jaunes marqués "Assistance publique".
         Ils ne me disaient rien : je savais encore épeler, mais non lire.
         Des gens m'irritaient tout autour, ces grands insectes tourmenteurs, trop vifs.
         Sous ma peau nourrie par des tubes
         ils s'en donnaient : tubes, piqûres.

         J'apprenais que la mort n'était pas facile.

         ibid.p.10

Bien qu'elle ait longuement fréquenté les sanatoriums durant sa jeunesse, l'hôpital sous sa forme actuelle, aseptisée, efficace mais anonyme, la déroute.

          C'est bientôt le soir

          sur la porte on lit un numéro, pas de nom.

          Bientôt le nôtre
          disparaîtra du monde même.

          Un sourire nous vient à l'idée du phénix renaissant, que nous ne voudrions pas être.

          ibid.p.13

Les soins hospitaliers de qualité portent leurs fruits, heureusement. "Vient cette maugréeuse, lente résurrection..." et  la "relevée" dont elle dit:  "Je revenais à la clarté".

De retour chez elle, convalescente, elle découvre son impossibilité provisoire à monter un escalier. Celui-ci devient aussitôt l'objet d'une méditation à propos du bois dont il est fait, des insectes qui l'habitent et de cette vie cachée d'autres êtres vivants, car "rien n'est vulgaire en poésie même la mort d'une petite bestiole".
Ici, son pied contre une marche réveille en elle des sensations qui faisaient mine d'être mortes :

           (...)
           Subitement s'habite l'escalier
           d'oncles, voisins, chats disparus
           toute une belle vie qui monte
           vers des souvenirs tellement familiers, jusqu'à la présence

           mais ce n'est plus le même escalier
           l'autre a été détruit avec la maison.
           (...)
           ibid. p.19

Dès l'enfance, contrainte par la maladie à une longue immobilité, Marie-Claire Bancquart a appréhendé le monde avec tous ses sens. Elle a appris à palper, flairer, lécher, caresser, goûter...et le fait avec délices.

         – Mais comme un animal soupçonneux, je flaire une page
         un livre un épiderme
         et peu à peu me gagne une confiance très ancienne
         en choses et gens.

         Remuant un ragoût, racontant un voyage,
         j'aime à la fois la fragilité, la force des minutes.

         ibid. p.64

         Fendre un blanc d'œuf en neige
         comme on découperait un nuage?

         Préparer une enveloppe
         pour écrire aux créatures
         qui vivent ignorées
         dans les coussins, les murs, les fleurs?

         – À nous d'entreprendre une décalcomanie du mystère
         qui se resserre autour de nous, en pleine ville.

         ibid .p.106

         Peler un œuf, un avocat,
         soulever la croûte d'une écorchure :
        
         plaisir de porter au jour une intimité
         mais crainte de toucher à ce qui protégeait la vie
         cachée dans la chair maintenant à nu.

         Humbles découvertes
         du mystère quotidien.

         ibid.p.107

Ces humbles découvertes sont sa façon de ressentir et de communiquer sans cesse avec le vivant. Quant à sa manière, presque impudique, de dépeindre toutes les sensations intimes qui en résultent et la traversent, elle ne nous la rend que plus attachante. En toute chose, la sensation prime.

Parce que toute existence crie et pense écrit-elle, page 56, ainsi résonne notre cœur.

          On s'efforce.
          on reste pour toujours intronisé dans le vivant.

          On exauce un désir:
          sentir notre caresse
          tranquilliser cette tête égorgée, la Terre.

          ibid.113

          Qui vient de loin, qui espère et appelle,
          graine folle parmi les hommes ?

          Qui germe,
          qui veut aller vers l'accomplissement ?

          Qui peuple les ruines
          de fantômes vivants?

          Qui unit les espaces
          et,
          parfois,
          caresse simplement le bois de sa table ?
          Qui rêve à une seule lettre
          ouverte
          sur l'innombrable ?

          ibid .p.114


Ce retour à la vie exige louange. Les deux poèmes, qui suivent, sont des hymnes d'amour à la vie et à celui qui la partage :

          En toi je me retire comme dans une île
          habitée de musique et de mots

          seule pourtant
          au milieu d'une mer muette

          une île
          qui peut bouger qui peut aimer

          qui se suffit à elle même.
 
          ibid.p.57

          Respire
          l'odeur forte des rues.
          Tâte l'espace
          entre parole et mort.

          Un jour, il se refermera dans ta main.

          Restera notre neutre, piètre nom,
          plus, peut-être, le souvenir
          d'une minute que tu aimais

          ... où tu collais ton visage
          sur un autre
          ou sur la blessure vermeille d'un arbre...

          Aujourd'hui ton sang bat.
          Tu n'as qu'à tâter ton poignet
          pour supporter ta vie, passionnément.

           ibid.p.53

Le métier de poète exige passion, lucidité et sagesse pour continuer à vivre dans l'épaisseur multiple des mots. Car, bien sûr, il y a ce qu'on ne dit pas...et l'inévitable, à venir.
        
          Il y a des mots meurtris
          devant la porte

          n'ouvre pas

          ils sont amoncelés, ils tomberaient en désordre
          certains montent encore l'escalier

          ils cherchent
          peut-être
          le silence. Leur silence.

          Si tu ouvrais la porte
          ils entreraient dans les dictionnaires

          ils occuperaient ces calmes logis
          d'ordre alphabétique, où rien ne prouve
          que l'horreur existe vraiment

          mais le sang
          coulerait d'eux
          chaque fois que nous arriverions au mot Sang.

          ibid p.22

          Nos livres
          vieillissent
          autour de nous
          comme une forêt considérable

         ils nous parlent souvent un autre langage
         que les lettres imprimées sur eux

         ils disent les années écoulées ensemble
         sur la rondeur imperceptible de la terre

         et notre disparition future, à nous tous,

         imprévisible,

         certaine.

         ibid p.23

Merci à vous Marie-Claire Bancquart de vous être remise avec ardeur à l'ouvrage, vous qui disiez en présentant ce dernier livre, à la librairie Tschann, le 10 mai dernier :

La poésie est l'accompagnatrice de vie, l'institutrice de vie, elle est la vie portée à son incandescence.

Bibliographie :

  • Qui vient de loin, éditions Le Castor Astral, 2016
sur internet : un précédent article de Roselyne Fritel