Le Festival de Poésie
Voix vives de méditerranée en méditerrané s'ouvrait, à Sète, le 22 juillet dernier au soir, dans le parc Simone Weil situé dans le haut de la ville. Tous les poètes présents étaient invités à dire chacun un poème dans sa langue, poème repris ensuite en français.
Le lendemain, à 10h du matin débutaient les lectures, qui se succéderaient toute la semaine, d'heure en heure jusqu'à minuit, et conjointement sur toutes les scènes dressées dans la ville.
De16 h à 17h, une lecture, placée sous le vocable
Voix croisées, était prévue dans les hauteurs de la ville, dans la cour du Lycée Paul Valéry, qui s'ouvrait aux festivités pour la première fois. J'y assistais et en fais le compte rendu.
Le temps est à l'orage. Deux poètes, Paulo José Miranda et Claudio Pozzani, la violoniste Mélanie Arnal, une comédienne et un présentateur font face au public installé sur des chaises.
Paulo José Miranda, poète, romancier et dramaturge lit en portugais un premier texte, aussitôt repris en français par la comédienne, Isabelle Peuchlestrade.
L'auteur est publié en français pour la première fois par les éditions Al Manar à l'occasion du festival. Il est né en 1965 au Portugal et vit au Brésil depuis 2005, à Fazenda Rio Grande, dans la région métropolitaine de Curitiba.
autoportrait 1
combien de beauté faudra-t-il décrire
pour qu'un cœur s'agenouille devant l'existence d'un autre
combien de verdure verrons-nous dans les champs
bien avant
les carillons des cloches dans les villages dans ta bouche
combien d'enfants le matin sur le chemin de l'école
pour si peu de mains qui plantent
un quelconque dessein
une quelconque graine de dieu
et tant de dieu
pour si peu d'humain
ravivant la flamme à tous les gestes tendres
aux forêts blanches des grammaires
Il y en aura encore
il y en aura peu
qui dans les décombres d'un livre trouveront
leur visage dans les mains d'un autre
in
Autoportraits, traduits du portugais par Sofia Queiros, aux éditions Al Manar, 2016, p.7
Claudio Pozzani lit à son tour des textes de son recueil,
Cette page déchirée, paru chez Al Manar en 2012.
Né à Gênes en 1961, poète, romancier et artiste, il est l'organisateur du Festival International de Poésie de Gênes et participe, en tant que présentateur et acteur, à celui de Sète depuis sa création.
À ma mère
Je t'ai vue en face dans cette salle
moi souillé de sang et de mucus
toi, bouleversée et curieuse
J'ai essayé de te dire
que je n'étais pas sûr de vouloir rester en dehors de toi
mais les mots que j'avais dans ma tête
dans ma bouche se pétrissaient mal
Je venais juste d'apprendre
que toute la vie aurait été hypocrisie et paradoxe :
Je t'avais fait souffrir
je t'avais fait saigner
et pourtant c'était moi qui pleurais
et toi qui souriais
Je t'ai vue en face dans cette salle
tandis qu'ils m'emportaient
Il y avait trop de confusion pour te dire combien j'étais heureux
de donner enfin un visage
au ventre qui m'avait accueilli
Et plus tard avec mes collègues
on discutait de réincarnation
d'éternel retour, des cours et recours de Vico
mais j'avais hâte de te revoir
et de connaître ton homme et votre fils
dont je sentais la voix ouatée et lointaine
Je t'ai vue en face dans cette salle
et je donnerais tout ce que j'ai
pour m'en souvenir.
in
Cette page déchirée, traduit de l'italien par Viviane Campi, Charles Petit, Marc Porcu, Monique Baccelli, éditions Al Manar, 2012, p.11
Entre chaque poème, la voix du violon s'élève ardente sous le vent d'orage. Le ciel est zébré d'éclairs et soudain l'averse éclate.
autoportrait 11
le ciel se déchire
il laisse passer l'eau vers le monde
une odeur de peur couvre le versant de la colline
de bruits d'animaux angoissés
et de la tristesse chérie des hommes
au souvenir d'un jour de chasse
le coup final au bois est asséné
et des pas se pressent dans la boue
celui qui ouvre la porte de la maison
laisse entrer
l'image du ciel
qui l'a ramolli toute la journée
il ramène à table les mains
qu'il avait dissimulées dans la terre
des mains devenues racines
des mains qui ne se reposent pas
qui tiennent le visage
sous l'eau des cieux
ibid
Autoportraits p.17
Les poèmes s'accordent aux rigueurs du ciel, dont le public et les artistes s'accommodent vaillamment. La voix du violon se fait déchirante sous l'averse. C'est là toute la magie du festival.
Claudio Pozzani clame d'une voix tonitruante son poème du renégat,
Sono, ou
Je suis
Je suis
Je suis l'apôtre exclu de la Dernière Cène
Je suis le garibaldien arrivé trop tard au rocher de Quarto
Je suis le Messie d'une religion en laquelle personne ne croit
Je suis l'exclu, l'outsider, le maudit qui ne cède pas
Je suis le héros qui meurt à la dernière page
Je suis le chat borgne qu'aucune vieille ne veut caresser
Je suis la bête enragée qui mord la main tendue par pitié
Je suis l'exclu, l'outsider, le maudit sans âge
Je suis la vague déferlante qui emporte les serviettes et les transistors
Je suis le malentendu qui sème la discorde
Je suis le diable qui a esquivé l'encrier de Luther
Je suis le film qui se déchire au mauvais moment
Je suis l'exclu, l'outsider, un clou dans le cerveau
Je suis la balle du flipper qui tombe un point avant le record
Je suis le but contre son camp à la dernière seconde
Je suis l'enfant qui ricane aux claques de sa mère
Je suis la peur de l'herbe qui va être fauchée
Je suis l'exclu, l'outsider, cette page déchirée.
in
Cette page déchirée p.7
Soudain l'orage tourne bride et s'en va arroser d'autres villes. Paulo José Miranda reprend :
autoportrait 60
ensuite nous avons le reste de la vie
et cela ne suffit pas
pour découvrir que dans le sein maternel
il y avait déjà une grammaire
ibid A
utoportraits, p.57
L'heure s'achève, poètes et auditeurs se dispersent, pour rejoindre au plus vite une des multiples lectures, qui s'offrent à chaque coin de rue, sur le parvis d'une église, une placette ou dans un jardin privé. Chacune d'elles est une rencontre privilégiée.
Dans le jardin intérieur de la rue du Génie, de 17h à 18h, Vénus Koury-Ghata, poéte et romancière libanaise, mariée à un Français et installée en France depuis 1972 est présente et couronnée des plus grands Prix. Elle est interrogée aujourd'hui par Gérard Meudal, journaliste et traducteur, à propos de son dernier livre,
Les mots étaient des loups.
Être berger nécessite une parenté de sang avec un loup
des liens avec un brin d'orge ou de luzerne
on échange un fromage contre un bâton
un ballot de laine contre un calendrier
une brebis pleine contre une fille vierge
on apprend l'ignorance aux plantes savantes
l'addition au chien
et au feu de ne pas ronfler en présence des visiteurs
in
Les mots étaient des loups, Inhumations, Poèmes choisis,
Poésie/ Gallimard 2016, p.74
Entre
les gouttes qui tombent des arbres
, installée
sous un grand parasol
, Vénus Koury-Ghata évoque son enfance et sa vie si particulière dans un village du nord du Liban,
"entre les orties qui montent à l'assaut des fenêtres et les morts qui ne sont pas morts mais se cachent derrière les façades".
"Je puise en moi-même quand j'écris, dit-elle,
et c'est devenu une force salvatrice. Quand un sujet ne veut pas me lâcher, je commence à le dire en poésie puis je le dis ensuite dans les moindres détails dans un roman. Beaucoup de mes romans vont avec un poème. La langue poétique est plus rapide que la langue littéraire. Aux enfants que je rencontre, je dis: écrire un roman c'est escalader la pente d'une montagne et planter le drapeau. Écrire de la poésie c'est dégringoler la montagne jusqu'en bas dans une grande poussière sans rien comprendre."
Gérard Meudal n'a même plus besoin d'animer le débat, Vénus se raconte et le public vibre au toucher de sa voix. Un instant unique d'une émouvante intensité.
Reste la possibilité d'acheter le recueil et de le lire. Pour ce, il suffit de descendre sur la Place du Pouffre, où se dressent les tentes blanches des éditeurs, et où se tiennent également d'heure en heure des rencontres avec auteurs et éditeurs.
Je vous conseille vivement d'ouvrir les liens enregistrés plus bas pour en savoir davantage sur ces poètes.
Les dernières lectures en musique s'achèveront vers une heure du matin.
Il faut une santé de fer aux organisateurs, aux accompagnateurs et poètes pour tenir le rythme toute une semaine mais, comme chacun sait, la poésie est une drogue douce, qui a ses adeptes... Le matin suivant, toute l'équipe recommence dès 10h ...
Bibliographie:
- Autoportraits de Paulo José Miranda, éditions Al Manar 2016
- Cette page déchirée de Claudio Pozzani, éditions Al Manar 2012
- Les mots étaient des loups de Vénus Khoury-Ghata, Poésie-Gallimard 2016
sur internet: