Port des Barques

Port des Barques

vendredi 27 septembre 2019

Pour rêver de La croix du sud avec Luis Mizon


                            IX

          1

          Pour écrire ce poème
          je me suis assis devant un mur
          nu comme un ascète
          devant la mer vue d'en haut


          ainsi j'imagine une montagne
          froissée dans le silence
          une femme nue
          couchée sur l'horizon

          2

          Un arbre pousse sous le ciel déchiré
          camaïeu de lumière noire
          ardoise du vent
          mes chiffres et calculs se sont effacés
          dans la poussière du ciel
          seule une balançoire nous sauve
          du naufrage du requin
          de la tempête

          3

          La croix du Sud palpite
          entre tes genoux et mes genoux
          ses ondes concentriques éloignent les sirènes
          et la brise provinciale de notre souffle
          soulève la constellation de trois Maries

          je prendrai ma retraite
          sous ton ciel étoilé
          hors
          des villes lourdes de terre cuite
          et de toute la poussière inconsolable
          ce qui me reste encore à écrire
          sur le trottoir
          sera ma maison dessinée à la craie

          4

          Là où tourne une armée de moulins
          il y a toujours un chemin
          qui conduit à la mer
          là où le compas des grues
          réunit les rides de nos pas perdus
          un arbre pousse au milieu du quai
          il est prêt à partir
          il garde encore
          la rumeur de la nuit dans son cœur
          les yeux fermés
          je voudrais entendre le bruit des vagues
          le rivage d'un murmure
          la voix qui brûle très loin
          dans mon lit
          et respire l'odeur de l'au-delà

          5

          Mon raccourci sera l'ombre
          de l'arbre sans mesure
          et la griffe de la parole masquée
          qui s'envole dans les cordes du Sud.

          Luis Mizon in Le soudeur de murmures, Éditions Folle Avoine, 2017,p.p.58/59/60/61

J'aime imaginer le Temps bleu, tel un soudeur de murmures, cherchant à relier les maillons d'une chaîne fragile au cou de tous les fervents de la poésie.

Je vous invite à retrouver Luis Mizon dans ces articles rédigés à son propos, grâce aux liens indiqués :

Bibliographie:
  • Luis Mizon  Le soudeur de murmures, Éditions Folle Avoine, 2017

 

vendredi 20 septembre 2019

Brève introduction au haïku


                Le haïku, évangile du terrestre, écrit Alain Lévêque dans son recueil Ombre portée,
           le haïku, poème des saisons, poème du temps qui vibre, le haïku poème de l'instant.
           Le haïku, acte de présence au monde. mise en mouvement, en musique, en harmonie des
           fibres qui nous unissent à la réalité terrestre et qui tressent le lien premier, la corde originelle
           de l'arc d'os et de terre que nous sommes et que nous voulons être encore malgré la fatigue
           d'exister et la mauvaise cendre des religions.

           in Ombre portée, d'Alain Lévêque, aux éditions de L'ermitage, 1980

          Relisant ces mots du poète, j'ai le plaisir de vous offrir aujourd'hui un éventail de
          cet art ancestral venu du Japon, reflet fidèle d'instants saisis sur le vif :

                    Devant le chrysanthème blanc
                    Ils hésitent un instant
                    Les ciseaux

                    Buson, 1715-1783

                    Elle s'est posée sur mon épaule
                    Elle cherche une compagnie
                    La libellule rouge

                    Sôseki, 1865-1915

                   Ça et là
                   Le museau d'un cerf
                   Sous le taillis

                   Shiki, 1866-1902

                   J'ai rencontré la vache
                   Que j'avais vendue l'an dernier
                   Vent d'automne

                   Oemaru, 1719-1805
                 
                   Foulant des violettes
                   La vache avance
                   Quelle élégance !

                   Fujio, né en 1901

                   Oie, oie sauvage
                   Tu l'as fait à quel âge
                   Ton premier voyage ?

                   Issa, 1763-1828

                                    
 Ces haïkus sont extraits du recueil Fourmis sans ombre, Le livre du haïku, anthologie-promenade, éditée par Phébus libretto, en 1978.

 Rêvant de connaitre le Japon, berceau de cet art, j'ai eu la chance d'échanger longtemps par
 courrier avec un ami japonais, architecte, vivant à Tokyo.
 Il glissait toujours dans l'enveloppe, à mon intention, un de ses haïkus présenté tel un idéogramme   
 et accompagné  de sa traduction en français.


  J'ai eu par la suite le plaisir de m'essayer à cette écriture, dans le cadre du Kukaï de Paris.
  Les trois haïkus, cités ci-dessous, sont miens et figurent dans la deuxième anthologie,
  La vallée éblouie, publiée par le groupe d'haïkistes du Kukaï de Paris, en 2014 : 

        
         La maison vendue
         ton magnolia préféré
         choisit de mourir

         in La Vallée éblouie
         Deuxième anthologie de haïkus du Kukaï de Paris
         éditions unicité 2014, p.68, n°126

                        *

         Bourrasques d'avril
         les roses s'effeuillent
         sans songer à vieillir

         ibid p.54, n°91

                        *

         Dimanche pluvieux
         trancher les pages d'un livre
         religieusement

         ibid p79, n° 154


Bibliographie:
  • Fourmis sans ombres, Le Livre du haïku, Phébus libretto, anthologie promenade par Maurice Coyaud, 1999.
  • La Vallée éblouie, deuxième anthologie de haïkus du Kukaï de Paris, éditions unicité 2014
sur internet:
  • un précédent article de Roselyne Fritel, paru sur La Pierre et le sel, en 2012, dont voici le lien :
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/03/un-actu-po%C3%A8me-pour-f%C3%AAter-le-printemps.html
                      


vendredi 13 septembre 2019

Selma Meerbaum-Eisinger et Alfred Knitter, deux voix contre l'oubli



         Poème

         Les arbres sont inondés d'une douce lumière,
         chaque feuille scintille, tremble dans le vent.
         Le ciel, bleu de soie, lisse,
         ressemble à une goutte de rosée que renverse la brise de l'aurore.
         Les sapins, enfermés dans une tendre rougeur,
         se prosternent devant sa majesté le vent.
         Derrière les peupliers, la lune regarde l'enfant
         qui déjà sourit à son bonsoir.

         Dans le vent, les buissons sont admirables,
         tantôt d'argent, tantôt d'un vert brillant,
         tantôt semblables à un rayon de lune dans une blonde chevelure,
         et ils seront après comme s'ils allaient refleurissant.

         Je voudrais vivre.
         Regarde, la vie est tellement riche.
         Il y a en elle tant de beaux ballons.
         Tant de lèvres qui attendent, rient, s'embrasent
         et révèlent leur joie.
         Regarde la route, comme elle monte:
         si large et si claire, comme si elle m'attendait.
         Et au loin quelque part, la nostalgie qui nous traverse,
         toi et moi, sanglote et joue de son violon.
         Le vent bruyant lance ses appels à travers la forêt,
         il me dit que la vie chante.
         L'air est léger, doux et froid,
         sans cesse le lointain peuplier nous fait des signes.

         Je voudrais vivre.
         Je voudrais rire et lever des fardeaux,
         je voudrais lutter, aimer et haïr,
         je voudrais prendre le ciel avec mes mains
         et voudrais être libre, respirer et crier.
         Je ne veux pas mourir. Non!
         Non.
         La vie est rouge.
         La vie est mienne.
         Mienne et tienne.
         Mienne.
         Pourquoi les canons rugissent-ils ?
         Pourquoi la vie meurt-elle
         pour des couronnes qui chatoient ?

         La lune est là-bas.
         Elle est là.
         Proche.
         Toute proche.
         Je dois attendre.
         Quoi ?
         Par centaines et centaines,
         ils meurent.
         Ne se relèvent jamais.
         Jamais, jamais.
         Je veux vivre.
         Frère, toi aussi.
         Un souffle sort
         de ma bouche et de ta bouche.

          La vie est riche.
          Tu veux me tuer ?
          Pour quelle raison ?
          De ses milles flûtes
          la forêt sanglote.

          La lune est d'argent pur sur fond d'azur.
          Les peupliers sont gris.
          Et le vent se jette sur moi.
          La route est claire.
          Puis…
          Ils arrivent
          et m'étranglent.
          Toi et moi,
          nous sommes morts.
          La vie est rouge,
          qui rit et mugit.
          Du jour au lendemain
          je suis
          morte.

          L'ombre d'un arbre
          rôde sur la lune.
          On ne la voit guère.
          Un arbre.
          Un
          arbre.
          Une vie
          peut projeter son ombre
          sur la
          lune.

          Une
          vie.
          par centaines et centaines,
          ils meurent.
          Ne se relèvent jamais.
          Jamais
          et
          jamais.

          7/7/1941

          Selma Meerbaum-Eisinger in " Écrire c'était vivre, survivre", Chronique du ghetto
          de Czernowitz, et de la Déportation en Transnistrie 1941-1944, éditions fario, 2012,
          p.p.40/41/42

Cet hymne à la nature et à la vie, Selma Meerbaum-Eisinger, née le 15 août 1924 à Cernowitz, le rédige pourtant dans le camp de concentration de Mikhaïlovska, en Transnistrie, où elle et sa famille sont internés. Elle y décèdera le 16 décembre 42, à l'âge de dix-huit ans. Les autres membres de sa famille seront exécutés au camp de Tarassivka, en décembre 1943.

Une note de l'éditeur nous informe que: "son cahier, contenant  52 poèmes personnels destinés à un jeune ami et cinq poèmes traduits du yiddish, du roumain et du français (dont deux poèmes de Verlaine) a été retrouvé après des péripéties inimaginables et que ces poèmes ont finis par être édités en 1980, en Allemagne, à Hambourg."


Alfred Kittner, selon la bibliographie rédigée dans ce même livre, nait le 24 novembre 1906 à Cernowitz. Il quitte par la suite avec sa famille sa ville natale pour Vienne, lors de la Première Guerre mondiale.
De retour à Czernowitz, il travaille comme employé de banque puis comme journaliste. Il publie son premier recueil de poèmes, Le cavalier des nuages, en 1938, au moment où le journal ferme en raison de la politique antidémocratique et antisémite du Parti National-chrétien au pouvoir.

Selon la même source, Alfred Kittner et sa famille, furent enfermés dans le ghetto puis déportés en Transnistrie.
En 1944, il rentre à Czernowitz, puis, via la Pologne, gagne Bucarest, où il trouve un emploi à la radio, puis de bibliothécaire, avant d'être nommé directeur de la bibliothèque de l'Institut pour les relations culturelles à l'étranger. À partir de 1958, il se consacre essentiellement à l'écriture, à la traduction d'auteurs roumains en allemand et à l'édition. En 1980, après la mort de sa femme, participant à une rencontre littéraire en RFA, il s'installe à Düsseldorf.

         Retour du camp

         Seule l'extrême profondeur peut te refléter,
         Tu ne peux mûrir qu'en extrême grandeur,
         Que ce soit le livre aux sept sceaux,
         Que ce soit la haute image de la capture.

          Dans ces lieux où tant de morts se taisent
          Il reste au vivant à descendre
          Au tombeau sous la peur,
          À porter chuchotant le deuil de son peuple.

          Toi, si doux autrefois, si dur maintenant,
          Dis comment penses-tu réussir
          Après cette démesure de tortures
          À revenir dans la lumière ?

          Le corps est devenu amadou dans les braises,
          Cendres il est dispersé,
          Pourtant il nous reste encore
          Éternelle merveille l'amour après la mort.

          Tu ne peux mûrir qu'en extrême grandeur,
          Seule la profondeur extrême peut te refléter,
          Que ce soit la haute image de la capture,
          Que ce soit le livre aux sept sceaux

          in Écrire c'était vivre, survivre, Chronique du Ghetto de Czernowitz et de la Déportation en
          Transnistrie 1941-1944, éditions fario, p.151, 2012.

Dans ce même livre figure, pages 156/157, cet autre témoignage  d'Alfred Knitter, rédigé à Bucarest, et non daté:
         
                J'eus la grande chance d'être au camp avec mon ami Immanuel Weissglas, un poète et
           traducteur de génie. Nous fûmes presque tout le temps ensemble, mais parfois séparés par
           les évènements; nous avons tous les deux enterré nos poèmes dans l'espoir qu'ils puissent
           un jour tomber entre les mains des connaisseurs et révéler l'inhumain que nous avions vécu ici.
                Nous avions écrit nos poèmes sur un papier qui était déjà passé par dix broyeurs. Et
           quand nous changions de camp, nous laissions nos poèmes derrière nous, jamais nous ne les
           emportions. À la fin de la période concentrationnaire, Bucarest lança une action officielle
           pour ramener au pays les enfants dont les parents étaient morts dans les camps. Dans le cadre
           de cette action, une jeune fille eut l'autorisation de quitter notre camp. Elle se déclara prête à
           coudre dans sa "fufeika", une veste ouatinée, une partie de mes poèmes. Je pus en emporter
           plus tard une autre partie dans mon sac à dos.
                 Une fois libéré, et comme après la guerre, je travaillais déjà  depuis une semaine à la
           bibliothèque "Arlus" de Bucarest, un collègue d'un certain âge me dit: "Monsieur Kittner,
           j'ai entendu hier à la radio des poèmes de vous traduits en roumain et dits par une
           comédienne. Je suis très étonné, je vous vois vivant, assis devant moi, or l'émission était
           titrée: "poèmes de poètes morts dans les camps"."
                  Effectivement, cette jeune fille s'était empressée de donner mes poèmes à un musicologue
           qui était aussi poète. Il les avait traduits et mis à la disposition de la radio. J'appris très vite
           qu'en 1944 déjà, lorsque les "Internationale Deutsche Blätter",  (Revue allemande
           internationale) éditées à Moscou par Johannes R.Becher et Willi Bredel, publièrent les
           premiers témoignages poétiques sur la persécution des Juifs dans les camps, mes poèmes
           firent sensation dans le milieu des émigrés. Ils parurent ensuite à Bucarest dans le volume
           Hungermarsch und Stacheldracht  ( Marche de la faim et barbelés), un titre qui, bien qu'il eût
           été trouvé par Alfred Margul-Sperber, me parut faire trop de place au sensationnalisme, si
           bien qu'à l'occasion d'une deuxième édition, je l'appelai Étapes de la mort.

Chacun des textes réunis dans ce livre, intitulé Écrire c'était vivre, survivre, rayonne de la même force et rend hommage à la beauté du monde alors même que la vie de leur auteur ne tient plus qu'à un fil. Voilà qui vient à point, en cette rentrée, balayer nuages et hésitations.

Le choix d'un dernier poème d'Alfred Knitter nous tiendra lieu de conclusion :

            Carrière du Boug, septembre 1942
 

           Au loin un rêve

           Ce que nous avons laissé, ce n'est pas grand chose :
           Un livre pour rêver et pour le rêve un jeu,
           Une fenêtre encore peut-être, à travers laquelle nous regardions
           Quand les acacias se penchaient dans la chambre.

           De tous les chemins autour de notre maison,
           Aucun ne nous poussait à partir dans le monde,
           Ils se contentaient après le court bonheur d'une promenade
           De nous ramener dans la paix des nôtres.

           Quand pour la première fois, nous vîmes la Route militaire,
           Notre marche de la faim entra dans la misère,
           Au-dessus de nous, des oiseaux migraient bruyamment au midi,
           La tempête d'automne hurlait à l'entour des marcheurs fatigués.

           Nous étions des milliers, et notre colonne
           Ne s'arrêta guère avant les eaux du Boug ;
           Sur ses rives sommeillaient d'innombrables cadavres,
           Nous, en revanche, nous pûmes atteindre notre destination.

           La carrière qu'on nous donna pour refuge
           Sera bientôt une tombe hivernale recouverte de neige,
           Et tous les appels envoyés chez nous
           Résonnèrent sans que, dans l'inconnu, on les entendit.

           Ce que nous avons laissé ne vaut pas grand chose,
           Qui pense aujourd'hui encore à un livre, un rêve et un jeu ?
           Pourtant, quand nous rêvons nous voyons encore sous nos yeux
           Les acacias se pencher par la fenêtre.

           ibid p.80

Bibliographie:
  • "Écrire c'était vivre, survivre", Chronique du ghetto de Czernowitz et de la Déportation en Transnistrie 1941-1944, éditions fario, 2012.

 
         

           


samedi 7 septembre 2019

Jean-Claude Pirotte, ne bousculez pas la table à poèmes

        


         ne bousculez pas la table à poèmes
         les vers tomberaient par terre
         briser du vers cent ans de malheur
         et qui lirait les vers cassés ?

         qui comprendrait que le poète
         qui trouve ses vers piétinés
         sanglote et se suicide
         au moyen des éclats de vers

         aussi tranchants qu'un cimeterre
         on portera la rime en terre
         après les éloges funèbres
         on boira on boira des vers

         jusqu'à tomber tête à l'envers
         on dira : ce drôle de zèbre
         il se prenait pour un poète
         il n'a pas laissé un seul vers

         achevé sur sa table à poèmes

         le paysage ici me garde en vie
         demain ce sera la mer le vent
         les peupliers du polder les saules
         noirs au bord des watergangen

        les traces de la mort et l'hiver
        qui passe lentement dans le cri
        des goélands et les grandes marées
        et le corps torturé d'une baleine échouée

        l'étrange frisson du sable et des ombres
        dans la lumière du soir et le monde
        inversé des nuages qui se déchirent
        dans les laisses de mer au couchant

        ici ou là je demeure vivant
        sans rien savoir des heures ni du ciel
        sans grand avenir sans mémoire sans
        cet apaisement fragile du sommeil

        et presque sans souci du meilleur ou du pire

         in AJOIE, Poésie, chapitre1, automne, an neuf, éditions de La Table Ronde, 2012, p.32/33

Je vous adresse ce poème plein d'humour de Jean-Claude Pirotte, afin de célébrer la reprise du Temps bleu, après un trop long silence, dû à un incident technique sur mon ordinateur.

J'adore le franc parler, la force de caractère et la truculence de l'auteur, né à Namur en 1939 et décédé en mai 2014. L'entêtement et l'audace, qu'il mit à défendre coûte que coûte sa liberté, ne peuvent que donner au lecteur le goût de se battre à son tour pour vivre pleinement.

Bibliographie:

  • Jean- Claude Pirotte, Ajoie, Poésie, La Table ronde, 2012
Sur internet:

dimanche 1 septembre 2019

Eva-Maria Berg bien plus qu'un souvenir bleu

        


         toutes les fois que quelqu'un
         regarde par la fenêtre
         à l'instant un bateau
         est en vue
         et s'approche
         du rivage
         dès qu'il ferme
         les yeux
         il est à bord
         au lieu de porter
         son regard loin

         in Combien de bleu, Eva-Maria Berg, éditions Largo, 2019.

Il convient de rentrer, mais avant de replonger dans les tâches quotidiennes, je vous propose de prendre le temps de méditer sur les mots du dernier recueil d'Eva-Maria Berg :

          et de nouveau la mer est
          la frontière entre les hommes
          et de nouveau la frontière est là
          uniquement géographique où
          pourtant manquent les espaces et seul
          le souvenir est vivace la mer
          proche de l'oubli
          elle oublie d'aborder

          ibid

         
Ce message altruiste, qu'Eva-Maria Berg tente de nous transmettre, est illustré d'éloquentes gravures crées par son amie parisienne, Olga Verme-Mignot :

           qu'est-ce que tu t'imagines
           en écrivant
           regardes-tu vraiment
           au plus loin de toi vois-tu
           les visages s'approcher
           avec chaque mot te promets-tu
           de les retenir de les
           sauver qu'est-ce que tu
           imagines en écrivant
           as-tu les yeux ouverts
           face à toute angoisse et
           tout l'espoir d'une demeure
           au moins dans le texte
           un toit au-dessus de la tête
           avant que le crayon ne s'émousse

           ibid

Imprégnons-nous des questions que soulève ce recueil et des gestes de paix qu'Eva-Maria Berg cherche toujours à poser dans sa relation à l'autre :

            combien de bleu
            supporte l'œil
            sans se noyer
            ou se disperser
            dans l'air


Laissons-nous atteindre et raviver intérieurement par chacun des mots du poète, soyons sensible à la persévérance qui l'habite, lorsque nous retrouvons, au dos de ce nouveau recueil, une phrase du recueil précédent évoquant le guide qui quitte le bateau à force de recueillir des histoires naufragées, mais les rattrape sur la terre pour raviver les hommes. À nous, poètes, le soin de raviver à notre tour nos congénères !

Bibliographie:
  • Combien de bleu, Wieviel Blau, poèmes d'Eva-Maria Berg, gravures d'Olga-Maria Verme-Mignot, éditions Largo, 2019.
sur internet: