Port des Barques

Port des Barques

vendredi 1 mars 2019

Marie-Claire Bancquart, la terre tourne, oui, mais c'est en notre absence...


        Et si la terre
        était simple dans sa rondeur ?

        Si nous n'avions pas su la caresser ?

        Dérobée loin de nous
        elle nous aurait abandonnés en solitude.

        Nous retenons d'une main, au téléphone,
        la peau du temps, le peu de temps :
        allo de qui, allo pourquoi,
        nouvelles,
        rendez-vous.

        La terre tourne, oui, mais c'est en notre absence…

        in Figures de la terre, éditions PHI, 2017, p.20

       

        Nous avons l'âge
        de toute chose usée.

        D'arbre en arbre
        en silence
        nous distinguons les replis des feuilles,

        mais tout à coup le téléphone n'est plus "portable".

        Lourd, agressif, insolent, il hurle notre prénom dans la solitude…

        ibid p.71


Marie-Claire Bancquart vient de nous quitter le 19 février 2019. Les poèmes, que je cite, sont tirés de son dernier recueil, paru chez Phi en mars 2017. Ils témoignent de l'humour ravageur et de la force de caractère dont fit preuve leur auteur, qui affirmait dans son dernier recueil : je tente d'exister à ma place de vivante.

Dans sa prime jeunesse d'abord, puis de nouveau à l'âge de 18 ans, une tuberculose osseuse lui valut un long "allongement" dans un combat contre la maladie, cette terrible expérience la forgea pour la vie en lui révélant - je la cite - le plaisir pris à des petites choses, fleurs ou petit chat ainsi que l'amour des feuilles et des arbres, entrevus de son lit.

Je m'appuie, ici, pour rédiger cet hommage, sur des notes prises lors d'une rencontre poétique au Festival de Poésie de Sète, le 22 juillet 2013, qui se déroulait dans une cour privée de la ville, située rue du Génie. Elle y évoquait très spontanément ces moments hors de la vie :
l'importance de très petites choses, "choses négligeables" pour certains, mais qui m'en disaient beaucoup. Allongée, que j'étais,  je voyais le menton des gens, auquel ils ne prennent pas garde et qui m'en disait beaucoup cependant !

De façon générale, nous ne faisons pas assez attention à la vie particulière interne de notre corps, ajoutait-t-elle. Quel rapport avec l'extérieur m'offre mon corps ? Les battements et impulsions intimes nous ne les connaîtrons pas de notre vivant; on n'expose pas de gens vivants grands ouverts…
Allez aux choses les plus simples pour exprimer leur vigueur oubliée à force de savoir et de politesse.
La vigueur de la vie est partout, elle est plus forte que la vie des hommes; entre les grilles qui enserrent les arbres, jaillissent des fleurs ou des arbres.

À la question: "Quel est le pouvoir du poète par rapport à ce monde ?" elle répondait : j'écris de la poésie pour vivre ! Le mot mort peut changer quelque chose quand on est sur le point de mourir. Le mot amour habite la vie, il est exceptionnel !
Le fait que le monde soit parcouru d'énergies, le langage avec ses douceurs et ses duretés ressemble à ce que nous pouvons tirer de mieux de la vie; le vrai langage pour moi, c'est la poésie. Il soutient !

La mort, notre lot à tous, elle la regardait droit dans les yeux et ne mâchait pas ses mots à son propos, comme en témoigne encore ce poème, tiré de Figures de la terre :

         Accompagnateur de fin de vie,

         je n'invente pas cette qualification.

         Elle était notée dans un livre, à la suite d'un poème,
         comme son auteur parlerait d'un métier, d'une recherche,
         ou, pour mieux dire, d'un passe-temps,
         qui
         dans l'espèce
         mériterait absolument ce nom…( "Passe, temps,
         crève, finis, temps…)

         Faire passer le temps de vie, comme on fait passer
         un vice, une envie !

         – Allons, ce n'était pas si bien, l'existence,
         recensons-la, plions-la, rangeons-la proprement…
 
         Pour la suite, voyez solutions en tout genre :
         paradis, oubli, nouvelle incarnation, souvenir
         éternel, il y a beaucoup de choix !

         – L'essentiel, c'est qu'on va
         finir la vie. Comme une scolarité difficile…

         ibid p27


         On regarde la fin
         qui nous regarde.

         In fine, c'est la conclusion bien connue,
         la fin triomphe, après quelques épisodes :
         impasses
         où elle s'égara,
         jeux de trottoir
         où elle croyait trouver asile.

         Maintenant le spectacle change, sous la lumière du
         soir. Tout est plus semblable et moins angoissé.
         Nous nous rappelons que la parole n'est sans doute
         pas nécessaire, car notre mot "mot", si longtemps
         cherché, si troublant, vient du latin "mutus",
         muet...Oui, quand le e muet tente de s'expliquer, il 
         trouve un son : le mot.

         Puis il s'esquive, ayant mesuré son insuffisance.

                               Ainsi, poète, à petit bruit,
                                    tu rejoins ton frère :
                                         le silence.

         ibid p.78

Muette, vous l'êtes désormais, bien chère Marie-Claire Bancquart, mais vos livres demeurent.
Dans un silence respectueux, nous les lirons, nous souvenant de votre amour de la vie, de votre humour, comme de votre grande exigence envers la poésie.
Toute ma compassion va à votre époux, Alain Bancquart, musicologue reconnu, et grand amour de votre vie.
Dans mon souvenir je garde précieusement l'image, entrevue un soir de récital poétique, de vos deux silhouettes accordées avançant, bras dessus bras dessous, par les rues de Paris.

Bibliographie:
  • Figures de la terre, Poésie, éditions Phi, 2017
sur internet:





        

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