devenaient des sentiers les pages des paysages les chapitres
des géants de pierre de l'île du Silence et les livres des grands
oiseaux sauvages annonçant la venue du printemps
in Nervures, avec des encres de l'auteur, Éditions Autre Temps 2004, p.12
Hamid Tibouchi est né en 1951 en Algérie, à Tibane en Kabylie, au centre d'une magnifique région montagneuse, qui a fortement marqué son enfance. Très tôt ce contact avec la nature, les gens et les artisans de son village éveille chez lui un désir de créer à partir de tout ce qui lui tombe sous la main.
"Je peins et je dessine (je dé-signe?) depuis ma tendre enfance. Sur les murs, dans la terre,
sur le sol en pisé de la maison natale, sur sable, dans la neige et même dans l'eau. Mais je
n'invente rien, je ne fais qu'imiter l'oiseau qui sautille dans la neige, le reptile qui serpente sur
le sable, le vent qui ride la surface d e l'eau, la plante qui prend la pose, l'arbre qui fait des
signes, Dahviya la potière qui décore une cruche. j'utilise encore souvent certains des
outils qu'enfant l'urgence me faisait prendre: un bâton de craie, un bout de bois, un caillou
pointu, un vieux couteau, un stylo à bille qui n'écrit plus mais peut servir encore à tracer, etc...
Et, quand je n'ai rien d'autre à portée de main, mes doigts à la rescousse..."
sur le sol en pisé de la maison natale, sur sable, dans la neige et même dans l'eau. Mais je
n'invente rien, je ne fais qu'imiter l'oiseau qui sautille dans la neige, le reptile qui serpente sur
le sable, le vent qui ride la surface d e l'eau, la plante qui prend la pose, l'arbre qui fait des
signes, Dahviya la potière qui décore une cruche. j'utilise encore souvent certains des
outils qu'enfant l'urgence me faisait prendre: un bâton de craie, un bout de bois, un caillou
pointu, un vieux couteau, un stylo à bille qui n'écrit plus mais peut servir encore à tracer, etc...
Et, quand je n'ai rien d'autre à portée de main, mes doigts à la rescousse..."
in Portées, en partie inédit
"La poésie, c'est la beauté vraie des visages ridés des femmes de mon enfance: ça ne triche pas,
cela nous est donné dans sa vérité la plus poignante, qu'il suffit de transcrire de même avec des
mots simples. Mes poèmes sont souvent courts et en liaison directe avec la vie quotidienne.
J'aime les choses simples."
résonances
le mot simple
pierre lancée dans l'eau limpide
toutes ces rides
en cercles concentriques
in Riens, inédit
Quoi de plus simple que le rien?
Trois fois rien
c'est ce que je vous offre
je dis bien trois fois rien
Et non pas rien
in Nervures Éditions Autre Temps 2000, avec des encres de l'auteur, p.31
"Le simple est inépuisable" confirme Christian Bobin dans L'homme-Joie, rejoignant par là les convictions profondes de Hamid Tibouchi.
immobilité houleuse
on est assis immobile
le regard fixe
ce n'est pas pour autant que
rien ne se passe
la tête cette calebasse calme en apparence
la tempête la soulève
le cœur ce frêle esquif
les courants le chavirent
in Riens, inédit
la pomme résiduelle
il a bien travaillé le pommier
– toutes ces compotes
qui ont embaumé la maison
et ces gâteaux aux pommes partagés –
de cette abondance nulle trace
sous le soleil d'hiver
hormis l'unique pomme rouge
solidement accrochée à une branche
in Riens, inédit
En juillet 2014, Hamid Tibouchi est l'invité, à Sète, du festival de poésie Voies Vives de méditerranée en méditerranée.
Lors d'une lecture musicale, à laquelle j'assiste, une jeune femme turque, Canan Domurcakli, chante en s'accompagnant au saz, – une sorte d'oud. Bouleversé par cette voix et cette musique traditionnelle, Hamid Tibouchi change totalement de programme et se met à lire des extraits d'un recueil épuisé, Parésie, paru à Paris en 1982, aux éditions de l'Orycte.
Le mot Parésie, précise l'auteur, signifie d'après le Littré: "paralysie légère avec privation du mouvement, mais non du sentiment". Ce titre, à lui seul, sous-entend blessure, oppression et révolte muselée. Le poème est daté de 1974.
Terre rêvée
viendras-tu
terre exempte d'angoisse
vallée où l'on peut être homme sans frémir
oasis de soleil
avec de l'eau beaucoup d'eau
avec de l'air beaucoup d'air
et
la
vérité
éclatera
comme une pastèque bien mûre
nous la boirons
nous n'aurons plus soif
de rien
nous danserons sur nos vieux cauchemars
et nous ferons l'amour
en plein air
sans fausse honte
(21.3.74)
in Pensées, neige et mimosas, Éditions La Tarente 1994
Puis il lit un long poème dédié à son ami journaliste, Tahar Djaout, assassiné en mai 1993, dont voici un extrait:
Des mots
En cascade
Longuement
Tu les as sucés
Tu les as aimés
Tu les as crachés
Les mots
Penses-tu
Ça n'a jamais
Tué
Personne
Alors tu t'amuses
À les rouler
Dans ta bouche
À les faire voler
Au vent
À les faire glisser
Sur l'eau
À les confier à l'écho
Qui les répercute
D'un versant à l'autre
De la vallée
Le mot Oiseau
Le mot Rivière
Le mot Désert
Le mot Genêt
Le mot Migrateur
Le mot Canicule
Le mot Silex
Le mot Cataclysme
Le mot Espoir
Le mot Résurrection
Le mot Vérité
Tu les as fait sonner
Dans ta tête
Tu les as chuchotés
À ta lune
Tu les as couchés
Sur le papier d'emballage
Taché de jus
De nèfles et d'abricots
Tu les as imprimés
À l'encre rouge
Bonheur
Extase
Orgasme
Plénitude
Tu crois comme ça
Que les mots sont
Inoffensifs
Qu'on peut les dire
Et les redire
Et se guérir
Et guérir même
Ceux que l'on aime
Avec
Des
Mots
Mais qui a dit
Que les mots
N'ont jamais tué
Personne
(extrait) Pensées, neige et mimosas, éditions La Tarente 1994
Je suis frappée par le contraste entre la révolte qu'expriment ces poèmes et la douceur qui émane du visage de l'auteur. Je réalise qu'il est né "juste avant la tourmente, et qu'il a grandi sur fond de bruit et de fureur pendant les "évènements" de l'époque, comme l'écrit la journaliste Rosa Mansouri dans le journal, Le Jeune indépendant, en 2006.
Par ailleurs, il s'est écoulé presque 20 ans entre les deux textes cités, années durant lesquelles violences et chaos n'ont cessé de ravager son pays, le touchant de très près. En 1973, c'est son ami poète Jean Sénac, qui est assassiné; en 1993, ce sont deux autres de ses amis poètes, Tahar Djaout et Youcef Sebti, qui le sont à leur tour, à quelques mois d'écart.
Déjà, "la situation est telle qu'il est difficile pour un peintre de montrer son travail; en 1981 j'ai dû quitter l'Algérie au bord de l'asphyxie, avec un besoin urgent de respirer un autre air", confie Hamid Tibouchi dans un autre entretien. Rupture et déchirement, même si raison oblige.
"La mémoire (des blessures anciennes) – comment la contenir – parfois déborde, réclamant la parole pour la paix" lit-on dans l'un de ses inédits.
quand la porte se souvient
quand la table se souvient
quand la chaise l'armoire le buffet
la fenêtre se souviennent
quand ils se souviennent intensément
de leurs racines
de leurs sèves
de leurs feuilles
de leurs branches
de tout ce qui les habitait
des nids et des chansons
des écureuils et des singes
de la neige et du vent
– un frisson traverse la maison
qui redevient forêt
alors seulement j'entends couler la source
un feu brûle autour de moi
pour réchauffer ma nuit glacée
de voyageur égaré
(14.12.70)
in Un arbre seul, La Tarante, 2009, avec des dessins de l'auteur, p.9
je sais qu'il fait un temps
à ne pas mettre ses longs cheveux dehors
mais que voulez-vous je ne peux rien
pour le platane et le palmier
je sais que sous l'écorce
ils ont la sève froide et lente
comme quelqu'un qui va mourir
mais je n'y peux rien je vous le dis
je ne peux rien
contre le ciel et le pavé de boue glacée
contre la mer vaste feuille d'ortie
contre le vent qui malmène
les arbres engourdis
moi-même je sens que je meurs
encore un peu
(16.1.71)
in Un arbre seul, La Tarente 2009, avec des dessins de l'auteur p.9
"Loin de me sentir déraciné, j'ai réalisé que c'est en prenant ses distances par rapport à ses
racines qu'on y voit plus clair, qu'on s'enracine plus solidement dans sa propre culture et qu'on
peut, par là-même, prétendre à l'universel" concède le poète dans le même entretien accordé,
en 2006, au journal algérien, Le Jeune Indépendant. Il a choisi depuis longtemps l'essentiel.
en ce temps-là les gens vaquaient à leurs
occupations – laissez-moi rire
alors que tu tâchais de traduire l'
indicible d'atteindre l'
inaccessible
in Nuits Fumeuses, aux Éditions du Chameau, Pentimento 1, 2013, peinture de Darius.
Série Traité de Navigation (23), pigments, encres et papiers collés, 25x18,5 cm, 2009
in Hamid Tibouchi, l'infini palimpseste de Pierre-Yves Soucy, éditions La Lettre volée
2010, p.58
Hamid Tibouchi a réalisé son rêve, il est peintre et poète à la fois. Il allie mémoire, sensibilité et intuition, en lien avec sa terre d'origine. Il reste ouvert à toutes les cultures et s'est inventé une écriture.
En poésie, il use d'un langage simple mais profond. En peinture, il lui suffit d'un pinceau, trempé dans l'encre de Chine, pour donner à n'importe quel support, pauvre de préférence, rythme, souffle et présence. Sa règle de vie, la voici, rédigée à la dernière page de son recueil Nervures:
"Nulla dies sine linea. Pas un jour sans une ligne. chaque jour, j'écris comme on jardine,
comme on plante des pousses en rangs serrés. Comme on tisse une toile, une tapisserie à la fois
régulière et pleine de défauts. Comme on tricote, maladroitement de préférence, une maille à
l'envers, une maille à l'endroit. Maille à partir avec la parole, avec le langage conventionnel,
tout ce fatras codé à l'origine de tant de malentendus et de discordes. Sans sou ni maille, faire
quand même, avec juste un pinceau chinois trempé dans un peu d'encre de Chine, mes lignes
d'écritures quotidiennes, gratuites, n'ayant aucune signification particulière et en même temps
tous les sens possibles, avec plaisir, jouissance même".
Le silence des mots blancs
sur une page blanche
on ne peut les voir ni les entendre
mais quel vacarme à l'intérieur
in Nervures Édition Autres Temps 2004, p.48
Que de mots inutiles en vérité
il y a les mots qu'on a pas osé dire
ni même écrire et qui auraient pu être
source de fécondité
ibid p.56
Cette voix en filigrane, cette mansuétude qui filtre entre les lignes demeurent ferments de réconciliation et, comme l'amitié que rien ne trouble, elles sont avec cette touche d'humour:
Instant suspendu au fil à linge
où l'oiseau vient se poser
une fiente blanche en guise de virgule
et le temps reprend son vol de sittelle
ibid p.55
Bibliographie consultée
- Nervures, Éditions Autres Temps, avec des encres de l'auteur, 2004
- Par chemins fertiles, propos sur la peinture et sa périphérie, de Hamid Tibouchi, Éditions Le Moulin du Roc, Niort, 2008
- Un arbre seul, Éditions La Tarente, avec des craies grasses de l'auteur, 2009
- Hamid Tibouchi, L'Infini palimpseste, par Pierre-Yves Soucy, Éditions La Lettre volée 2010
- Nuits fumeuses (avec le peintre Darius) Éditions du Chameau 2013
- Parésie, Éditions de L'Orycte 1982
- Pensées, neige et mimosas, Éditions La Tarente 1994
- Riens, inédits
-Hamid Tibouchi sur le site du Printemps des poètes
-Hamid Tibouchi, un article détaillé sur Wikipédia
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