Dans le cadre du Festival d'automne à Paris, le Théâtre de la Colline présentait, jusqu'au 27 septembre 2015, une pièce italienne, sous titrée en français, inspirée par une image forte du roman Le justicier d'Athènes de l'écrivain grec, Pétros Márkaris, écrit en 2011: "Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni", (Nous partons pour ne plus vous donner de soucis).
Quatre femmes grecques, associant somnifères et vodka, se suicident ensemble dans leur logement et laissent ce mot, soigneusement rédigé, posé sur la table à coté de leurs cartes d'identité:
Nous sommes quatre retraitées, sans familles. Nous n'avons ni enfants, ni chiens. D'abord, on nous a réduit nos retraites, notre unique revenu. Puis nous avons cherché un médecin qui nous prescrive nos médicaments, mais les médecins étaient en grève. Quand ils les ont enfin prescrits, on nous a dit à la pharmacie que nos mutuelles n'ont plus d'argent et que nous devons payer de notre poche. Nous avons compris que nous étions un poids pour l'État, les médecins, les pharmacies et toute la société. Nous partons pour vous éviter cette charge. Quatre retraitées en moins, cela vous aidera à mieux vivre.
Antonio Tagliarini et Daria Deflorian en ont fait une pièce-boomerang, qui interpelle acteurs et public.
Pièce qui débute, étrangement, par un artifice: "le refus d'en dire plus", formulé après un bref conciliabule avec ses partenaires, par l'actrice (et metteur en scène) Daria Deflorian.
Refus, qu'elle argumente par l'importance de dire non, un non qui soulève à son tour la question: Faut-il s'en contenter? Question, à laquelle elle répond par un nouveau non, qui nous vaudra d'entendre la suite de la pièce.
Selon les deux metteurs en scène, il s'agit devant le public "d'une déclaration de profonde impuissance, une impuissance cruciale à représenter. Un jeu performatif, qui , pendant le travail, devient de plus en plus sérieux et définitif. Ce n'est pas seulement la question de la représentation qui vacille, mais aussi notre capacité, en tant qu'individus sur scène face à d'autres individus, à trouver une réponse constructive à la débâcle – avant tout morale – qui nous entoure. Incapables, impuissants. Mais conscients de cela."
C'est à cette prise de conscience que les acteurs vont s'exercer sur scène et tenter de nous entraîner durant l'heure, intensément vécue, qui suivra.
Leur manière à eux, selon Daria Deflorian, de dire:
Parlons-en du suicide. Parlons-en des idées qui nous traversent, de la honte éprouvée à montrer aux autres ce que l'on peut éprouver quand on est en détresse et de la manière de surmonter cette honte? Parlons-en de l'urgence de dire non: non pas un non passif, négatif, mais ce non vital, qui devient une forme de survie".
Sur scène, les acteurs seront les personnages supposés mais aussi eux -mêmes, exprimant de derniers désirs insoupçonnés, ainsi celui de "se marier avec son meilleur ami, à 70 ans, pour l'avoir fait au moins une fois dans la vie" ou "d'apprendre in extrémis au moins les premiers rudiments du sirtaki."
L'émotion ressentie par le public passe par là, chacun est amené à s'identifier au futur suicidé et à s'interroger sur ses propres désirs et manques.
L'état dramatique de la Grèce n'est qu'un moyen utilisé pour débattre de nos choix de société, déclare
Daria Deflorian, dans l'entretien accordé à Angela de Lorenzis, le 3 juin 2015 . Son autre spectacle, Reality, donné au Théâtre de La Colline, du 30 septembre au 11 octobre prochain va dans le même sens.
À travers notre regard sur la crise, nous cherchons à explorer artistiquement le point de rupture, le moment où l'humain atteint sa limite et se brise. Si les protagonistes des deux spectacles sont de vieilles personnes, c'est justement parce qu'elles incarnent, d'un coté, une fragilité qui nous concerne tous, de l'autre, la banalité de vies ordinaires derrière lesquelles se cache la singularité extraordinaire de chaque existence. L'âge, la fragilité, l'inutilité de la vie de ces femmes âgées ne répondent plus aux impératifs d'utilité, de productivité, de réussite que la société contemporaine nous impose et, comme tous ceux qui ne rentrent pas dans ces critères, elles en sont exclues: en ce sens, et en tant qu'artistes, nous tentons de partager le même principe d'inutilité. (...) Nous explorons la merveilleuse beauté de vies à la marge: une marginalité qui ne veut pas dire émargination mais qui révèle, au contraire, toute la force, la poésie de tant de créatures "invisibles" qu'il faut sauvegarder, comme les lucioles.
Je partage ce message avec toutes les lucioles, qui, de jour comme de nuit, lisent ce blog dans leurs temps bleus et se nourrissent de poésie.
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