Dans le cadre magnifique des ruines de l'abbaye de Landévennec, sur la presqu'île de Crozon, le metteur en scène et comédien, Antoine Juliens, mariait, les 10, 11 et 12 septembre dernier, des textes du Château intérieur de Thérèse d'Avila à ceux du Don Quichotte de Cervantès.
Une génération sépare ces auteurs mais ils se trouvent, l'un comme l'autre, sous la férule de l'Inquisition espagnole.
Cette démarche théâtrale, qui s'inscrit pour la sixième fois sous le vocable de "Verbe sacré", se veut un évènement culturel inédit. Elle met résolument en voix des œuvres d'inspiration profane et spirituelle, qui s'interpellent et frappent l'esprit par leur intelligence.
Thérèse, dans Le Château intérieur et le Don Quichotte de Cervantès relisent leur vie à l'aulne de leurs rêves et dans un monde en pleine mutation à l'image du nôtre, où "les empires du savoir sombrent dans l'ignorance". Quand est-il de leur propre vérité alors que tout vacille?
Elle, s'adresse avec fougue et hardiesse à Dieu :
Qui m'entend...sinon toi! Que rien ne m'empêche de t'aimer!
Lui, chevalier d'arrière garde, bataillant pour mériter les faveurs de sa Dulcinée, s'enfonce dans un monde chimérique :
Aime d'un cœur captif, souffre ce cœur qui par amour de toi souffre tant de craintes...Chevalier je suis, chevalier je mourrai s'il plaît à Dieu!
L'une, Thérèse d'Avila, naît en 1515, dans un monde chamboulé par la découverte de l'Amérique et l'existence d'autres peuples sans Dieu, mais aussi dans un monde soumis au pouvoir grandissant de l'Inquisition espagnole. Celle-ci, délibérément placée sous le contrôle de l'État et non plus du pape, s'érige en juge et brûle livres, femmes, hommes et érudits sans distinction.
Une Inquisition, qui oblige Thérèse, en 1577, à réécrire peu avant sa mort, Le Château intérieur, fruit de son aventure spirituelle. Elle décède en 1582, Le livre est publié en 1588.
L'autre, Cervantès, né en 1547, meurt en 1616. La deuxième parution du Don Quichotte date de 1615. Son héros est un chevalier solitaire, qui se veut le héraut de sa dame et de la poésie:
J'encours les solitudes et conjonctures pour sauver l'écorché et l'opprimé. (...) Ainsi sommes-nous les servants de Dieu sur terre, les bras séculiers de la Justice! (...)
La poésie, Sancho, est une toute jeune fille, de beauté parfaite, que prennent soin de parer et d'enrichir d'autres jeunes filles, que sont les autres sciences. Se servant de toutes, toutes par elle doivent grandir! Ne crois pas que par vulgaire j'entends ici seulement gens du peuple, or quiconque est en ignorance, fût-il prince ou seigneur! Le poète qui, de nature, se nourrit de l'art surpasse le poète savant de technique...L'art ne surpasse pas la nature, il la perfectionne. Et la nature qui se mêle à l'art, et l'art à la nature, formeront le poète parfait.
L'homme se raccroche à une chevalerie de l'esprit, aux valeurs du passé et guerroie, jusqu'à en mourir contre des chimères, faute de pouvoir s'adapter au présent.
Thérèse vit dans "l'aujourd'hui". Simple nonne, mais toujours sur les routes, elle affronte au quotidien le réel. Fondatrice d'une congrégation de femmes cloîtrées, elle bâtit dans toute l'Espagne des monastères. Ses filles, contraintes au silence, à la prière et la mortification derrière de hautes grilles, n'ont rien à craindre de l'Inquisiteur, mais trouveront-t-elles, toutes, l'Amour sublime? Atteindront-elles la septième chambre du Château? Thérèse les enseigne de sa propre vie spirituelle tout en courant, du nord au sud, l'Espagne catholique pour mener à bien ses projets. Se mesurant à toutes les difficultés, elle demeure toujours confiante dans le Seigneur mais en gardant les pieds sur terre, à l'inverse du chevalier errant.
Antoine Juliens par ce choix cherche à l'évidence à faire réfléchir. Dans une mise en scène très épurée, les acteurs sont bouleversants d'authenticité et donnent au texte toute sa force.
Cependant dans notre monde déchristianisé, soumis au pouvoir de l'argent et des lobbies, quelle place reste-t-il à l'idéal et à la foi, qui furent jadis des leviers? D'autant plus que, sous le couvert de religion, se répandent des idées extrémistes et totalitaires, qui anéantissent réflexion, libertés et culture.
Thérèse répond à nos interrogations et nos doutes, par quelques mots: "L'essentiel ici n'est pas de penser beaucoup mais d'aimer beaucoup" tout en rappelant à ses filles que "Dieu est dans les marmites" et qu'il faut boire le réel jusqu'à la lie."
Tandis que Don Quichotte se meurt, Thérèse prononce ces derniers mots : "Toute œuvre est belle, même petite. Des œuvres, des œuvres! Pas de tour sans fondation...posez de solides pierres! De vos demeures, grimpez au Château!
La passion des acteurs, l'inventivité de la costumière, les chevaux créés par un barbu silencieux et tout l'imaginaire que suggèrent les lumières, ont su transformer les ruines de Landevénnec en véritables murailles d'Avila. Une vraie rencontre spirituelle a eu lieu sous nos yeux, qui résonne encore de l'ardeur d'un "grand désir d'amour", auquel s'accorde parfaitement cette citation du présentateur de la pièce: "Plus on Le trouve ailleurs, plus on reconnaît qu'Il était déjà là."
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