Si nous allions voir la mer en compagnie de quelques-uns de ses poètes bretons avec :
Victor Segalen (1878-1919). Né à Brest, il rêve "d'autres mondes" et devient médecin de la marine. Il embarque une première fois pour la Polynésie, où Gauguin vient de mourir. En 1908, il apprend le chinois à l'École des Langues orientales de Bordeaux, et prend un nouveau départ pour la Chine en 1909 avec pour projet d'entreprendre, avec des amis férus de découvertes, une grande expédition archéologique et géographique.
Sur place, il assiste à la Révolution d'octobre 1911. Il écrit Stèles, un "recueil à la chinoise" illustré de calligraphies, qui paraît à Pékin en 1912. Peintures, d'où provient le poème ci-dessous, est un recueil en prose, qui sera édité à Paris, en 1916. Odes, suivi de Thibet paraîtront par la suite.
Sa seconde mission archéologique révèle l'existence des grands monuments funéraires des Han. Il est sur le point d'atteindre le Tibet, quand éclate la guerre de 14, qui exige son retour en France.
Il accepte, en 1917, une nouvelle mission en Chine, à Nankin, dont il revient un an plus tard, très fatigué.
À l'Hôpital maritime de Brest, il voit, impuissant, mourir nombre de marins atteints de la grippe espagnole. Épuisé moralement et physiquement, il s'installe, seul, dans un hôtel du Huelgoat, au centre du Finistère, fin mai 1919. Il ne rentre pas d'une promenade en forêt. Son corps exsangue est retrouvé avec une profonde blessure à la jambe, après trois jours de recherche. Il a 41 ans.
Un jour large
Un jour large, d'une étendue inquiétante : le ciel est
double : le dessus et le dessus sont semblables et le sol
manque à vos pieds. Déroulez donc tout d'un coup ce qui
peut tenir d'espace entre vos deux bras; puis, ne bougez
plus: il n'est rien qui doive changer dans cet horizon
isotrope...
Et pourtant, sous vos yeux, cela change de peau, de
couleur et d'humeur: cela n'est rien qui s'humilie comme
la route. Et pourtant, pénétré du soc des carènes, cela est
lacéré par les filets, battu par les rames, habité par des
êtres myriadaires comme des oiseaux dans le vent.
Cela est plus vieux et fondamental que le continent
solide : c'est la dormeuse, la pleureuse, la volubile mer
dont on va dire le nom (que tant de voyageurs ignorent)...
Mais, ni la mer du Golfe où trois journées mènent d'un
cap jusqu'à l'autre – ni les eaux chaudes où les poissons
filent comme des flèches et battent de leurs ailes libellules...
Ni la Glacée, qui porte durant les mois d'hiver.
Celle-ci n'est pas froide et n'est pas chaude; tiède juste au
degré des larmes et de la pluie d'orage. Elle n'est point ici
ou là. On la connaît tout d'un coup, devant soi, quand on
espérait l'avoir fuie. C'est la mer de la Grande Nostalgie.
(fragment de Peintures)
in Les plus beaux poèmes sur la mer, anthologie de Yves La Prairie, éditions du Cherche Midi, 1993, p.91
Xavier Grall, (1930-1981) naît à Landivisiau, en nord Finistère, devient journaliste, romancier et poète.
Les Marins
à Denise, à Gaby
Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeux
Leurs mains crevassées par les chasses marines
Et les veines éclatées de leurs pupilles bleues
Portent les songes des frêles brigantines
Les vieux de chez moi ont vaincu les récifs d'Irlande
Retraités, usant les bancs au levant des chaumières
Leurs dents mâchonnant des refrains de Marie-Galante
Ils lorgnent l'horizon blanc des provendes hauturières
Les vieux de chez moi sont fils de naufrageurs
Leurs crânes pensifs roulent les trésors inouïs
Des voiliers brisés dans les goémons rageurs
Et luisent leurs regards comme des louis
Les vieux de chez moi n'attentent rien de la vie
Ils ont jeté les ans, le harpon et la nasse
Mangé la cotriade et siroté l'eau-de-vie
La mort peut les pendre, noire comme la pinasse
Les vieux ne bougeront pas sur le banc fatigué
Observant le port, le jardin, l'hortensia
Ils diront simplement aux Jeannie, aux Maria
"Adieu les belles, c'est le branle-bas"
Et les femmes des marins fermeront leurs volets
(La Sône des pluies et des ombres)
in Les plus beaux poèmes sur la mer, Anthologie d'Yves La Prairie, éditions du Cherche Midi 1993,
p.171
Pierre Jakez Hélias (1914-1995) naît dans une famille de paysans pauvres du "Pays bigoudin", en sud Finistère. Il grandit dans un milieu bretonnant, passe une agrégation de Lettres modernes, exerce comme journaliste à Ouest-France. Romancier, il écrit en breton et anime des émissions de radio dans cette langue. Traduit, son roman Le Cheval d'orgueil le fait connaître dans toute la France. Il est le co-fondateur du Festival de Cornouaille.
Branle
I
Dans mes prunelles
J'ai toute la mer en émoi,
Des vagues jumelles
Qui crèvent en moi.
L'amour fragile
Doit vivre au branle de la mer,
Ma douce, mon île,
Dans mes yeux ouverts.
2
Mer, tu m'abuses,
Tu viens au sable et tu repars.
De charme et de ruse
Qui dira la part!
D'espoir en peine,
Dans ma tête un branle est dansé
Devant vous, ma reine,
Pour un insensé.
3
Le vent de grève
Trempe mon cœur au sel marin
Pendant que s'élève
L'écho d'un chagrin.
Toute ma vie,
Dans mes yeux, au sein de la mer,
Ce n'est que magie,
Branle et doute amer.
( D'un autre monde)
In Les plus beaux poèmes de la mer, Yves La Prairie, éditions Le cherche midi 1993, p.p. 147/148
Georges Guillevic (1907-1997) naît à Carnac, dans le Morbihan. Il n'apprend pas le breton, qu'on lui interdit de parler, et suis son père , un ancien marin devenu gendarme, dans des garnisons du Nord et d'Alsace. La lande et le granit restent au cœur de son écriture, même s'il mène toute sa carrière dans l'administration de L'Enregistrement.
Est-ce que l'océan
Dans ses profondeurs
Possède autant de silence
Que j'en ai en moi?
Sinon, est-ce
Pour se libérer de son bruit
Qu'il vient sur nos côtes
Faire tout ce tapage,
Ravager ce qu'il peut
Pour enfin s'affaler
Comme sur un lit
Fait de douceur?
in Du silence, aux éditions PAP&PM, Suisse, 1995.
René-Guy Cadou (1920-1951) naît à Sainte Reine de Bretagne, en Grande Brière, un pays de marais situé en Loire Atlantique. Il a été le co-fondateur de l'École de Rochefort.
L'aventure marine
Sur la plage où naissent les mondes
Et l'hirondelle au vol marin
Il revenait chaque matin
Les yeux brûlés de sciure blonde
son cœur épanoui dans ses mains
Il parlait seul son beau visage
Ruisselait d'algues l'horizon
Le roulait dans ses frondaisons
D'étoiles et d'œillets sauvages
Amour trop fort pour sa raison
"Soleil disait-il que l'écume
Soit mon abeille au pesant d'or
Je prends la mer et je m'endors
Dans la corbeille de ses plumes
Loin des amis restés au port
Ah que m'importent ces auberges
Et leurs gouttières de sang noir
Les rendez-vous du désespoir
Dans les hôtels meublés des berges
Où les filles font peine à voir
J'ai préféré aux équipages
Le blanc cheval de la marée
Et les cadavres constellés
Qui s'acheminent vers le large
À tous ces sourires navrés
La mort s'en va le long des routes
Parfume l'herbe sur les champs
Il fait meilleur dans le couchant
Parmi les anges qui écoutent
Les coraux se joindre en tremblant"
Il disait encore maintes choses
Où de grands cris d'oiseaux passaient
Et deux feux rouges s'allumaient
Sur sa gorge comme les roses
Dans les premiers matins de mai
On vit s'ouvrir les portes claires
Les sémaphores s'envoler
Et des ruisseaux de lait couler
Vers les étables de la terre
D'où l'homme s'en était allé
Ébloui par tant de lumière
Il allait regardant parfois
La fumée courte sur le toit
L'épaule ronde des chaumières
Sans regretter son autrefois
Car il portait sur sa poitrine
Les tatouages de son destin
Qui disent "soleil et bon grain"
À tous les hommes qui devinent
L'éternité dans l'air marin.
(Poésie la vie entière, in Œuvres poétiques complètes, t.I )
in Les plus beaux poèmes de la mer, Anthologie d'Yves La Prairie, éditions Le cherche midi, 1993, p.p. 157/158
Hélène Cadou, (1922-2014) épouse du précédent, née à Mesquer en Loire-Atlantique, grandit à Nantes. Elle assurera toute sa vie la pérennité de l'œuvre de son mari, tout en poursuivant la sienne. Elle laisse une poésie sensible et délicate, qui lui a valu le Prix Verlaine, en 1990.
Puisque là-bas
Furent mes châteaux
Mes nacelles et mes navires
Puisque ce lieu me fut natal
Toujours je reviendrai
Sur la plage de Lanseria
Puisque je fus la marraine
De l'île qui nous fait face
Et qui jamais ne pris la mer
Toujours je reviendrai
Vers ce village sombre
Où les rêves sont blancs
Où le sel dans sa fleur
Garde les souvenirs.
in Si nous allions vers les plages, éditions Rougerie 2003, p.29
Ce voyage initiatique, je m'apprête à le faire, ne m'en veuillez pas si Le Temps bleu fait une pause.
sur internet :
http://www.mesquerquimiac.fr/mouillagelanseria.html
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