Port des Barques

Port des Barques

vendredi 2 février 2018

Ivan Akhmetiev à tous ceux qui me lisent


         ce qui me distingue
         de beaucoup d'autres auteurs
         c'est que je connais personnellement
         tous ceux qui me lisent

         in rien qu'une collision de mots, éditions érès, 2018

   L'humour d'emblée vous accueille dans ce petit livre minimaliste traduit du russe
   par Christine Zeytounian-Beloüs.
   Devant des gens qui me sont étrangers/ je ne peux parler/ ni vivre
   précise l'auteur.
   Ce recueil est prétexte à pointer du doigt, pour mieux en rire, l'indifférence du monde actuel :
         
          je vis dans la perplexité
          pourquoi personne ne m'aime ?

          personne ne m'aime
          tout le monde manque de temps

          ibid

          bientôt on démontrera
          que la compassion
          et le dégoût
          c'est la même chose



          je possède
          près d'une centaine de crochets
          pour m'agripper à la vie

          et certains ne se fixent jamais
          au bon endroit

          ibid

   Voici ce que nous apprend à propos du poète la post-face de ce recueil :

   "L'auteur naît à Moscou en 1950, et écrit dès l'adolescence. Après des études de physique, il
   travaille brièvement dans un institut de recherches avant de tout abandonner pour se consacrer
   à la littérature en autodidacte. Il fréquente alors les milieux dissidents et subvient à ses besoins
   en devenant tour à tour boulanger, pompier chargé de la protection anti-incendie au musée
   Kouskovo, gardien, concierge et chauffagiste".
   Sa participation en 1978 à une manifestation en faveur des droits de l'homme lui vaut un
   internement psychiatrique forcé en 1979. Il trouve un emploi de bibliothécaire en 1984.
   Après la perestroïka, il exerce des activités de traducteur et de rédacteur et s'emploie par la suite à 
   publier la littérature clandestine de la période soviétique. Travail qui lui vaudra de recevoir pour
   son œuvre de découvreur et d'anthologiste en 2013 le Prix Andreï Biely "pour services rendus à la
   littérature russe".

   L'auteur quant à lui poursuit sur le même ton ironique avec ce poème qui a donné son titre au
   recueil :

         l'hiver on ne voit pas la différence
         entre les arbres morts
         et les arbres vivants


         n'ayez pas peur
         ce n'est rien
         qu'une collision de mots

         ibid

     Voilà qui rassure au moins tous ceux qui souffrent de la grisaille de l'hiver ! À ceux qui se
      plaignent que rien ne va plus, que le monde est sans dessus dessous, il lance :

         pour que les mœurs deviennent victoriennes
         les vertus romaines
         les âmes chrétiennes
         les corps spartiates
         les institutions démocratiques
         et les priorités éthiques


         vous tous
         n'êtes bons
         qu'à maintenir tant bien que mal
         le statu quo

         pour que ça aille mieux
         il faut de l'imagination

         ibid

         bien sûr
         qu'il y a forcément
         une issue

         mais c'est fatigant
         de toujours
         la chercher


  
         lisez

         mais ne soyez pas jaloux

         ibid

         tant que le peuple l'ignore
         le poète n'existe pas

        
         quand les gens le connaissent
         le poète n'existe plus

         ibid

         je pense
         à ce qu'un autre
         penserait à ma place


         bien sûr
         que je suis mécontent de moi
         mais pas seulement
         de moi

         ibid

   À nous de tirer profit de ces pensées, fruit d'une vie, qui a connu son lot de difficultés sans jamais
   se taire ni renoncer. La conclusion, empreinte d'autant d'humilité que de fierté, tombe
   encore de la plume du poète, qui semble s'adresser au plus intime de chacun de nous :

         mes poèmes
         sont tout simples

         j'en ai déjà
         écrit beaucoup

         ibid


         peu importe
         ce que c'était
         l'important
         c'est que c'était


         l'histoire nous jugera
         s'il y a encore une histoire

Bibliographie :

  • Ivan Akhmetiev, rien qu'une collision de mots, traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs, aux éditions éres, 2018
sur internet :

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