ce qui me distingue
de beaucoup d'autres auteurs
c'est que je connais personnellement
tous ceux qui me lisent
in rien qu'une collision de mots, éditions érès, 2018
L'humour d'emblée vous accueille dans ce petit livre minimaliste traduit du russe
par Christine Zeytounian-Beloüs.
Devant des gens qui me sont étrangers/ je ne peux parler/ ni vivre
précise l'auteur.
Ce recueil est prétexte à pointer du doigt, pour mieux en rire, l'indifférence du monde actuel :
je vis dans la perplexité
pourquoi personne ne m'aime ?
personne ne m'aime
tout le monde manque de temps
ibid
bientôt on démontrera
que la compassion
et le dégoût
c'est la même chose
je possède
près d'une centaine de crochets
pour m'agripper à la vie
et certains ne se fixent jamais
au bon endroit
ibid
Voici ce que nous apprend à propos du poète la post-face de ce recueil :
"L'auteur naît à Moscou en 1950, et écrit dès l'adolescence. Après des études de physique, il
travaille brièvement dans un institut de recherches avant de tout abandonner pour se consacrer
à la littérature en autodidacte. Il fréquente alors les milieux dissidents et subvient à ses besoins
en devenant tour à tour boulanger, pompier chargé de la protection anti-incendie au musée
Kouskovo, gardien, concierge et chauffagiste".
Sa participation en 1978 à une manifestation en faveur des droits de l'homme lui vaut un
internement psychiatrique forcé en 1979. Il trouve un emploi de bibliothécaire en 1984.
Après la perestroïka, il exerce des activités de traducteur et de rédacteur et s'emploie par la suite à
publier la littérature clandestine de la période soviétique. Travail qui lui vaudra de recevoir pour
son œuvre de découvreur et d'anthologiste en 2013 le Prix Andreï Biely "pour services rendus à la
littérature russe".
L'auteur quant à lui poursuit sur le même ton ironique avec ce poème qui a donné son titre au
recueil :
l'hiver on ne voit pas la différence
entre les arbres morts
et les arbres vivants
n'ayez pas peur
ce n'est rien
qu'une collision de mots
ibid
Voilà qui rassure au moins tous ceux qui souffrent de la grisaille de l'hiver ! À ceux qui se
plaignent que rien ne va plus, que le monde est sans dessus dessous, il lance :
pour que les mœurs deviennent victoriennes
les vertus romaines
les âmes chrétiennes
les corps spartiates
les institutions démocratiques
et les priorités éthiques
vous tous
n'êtes bons
qu'à maintenir tant bien que mal
le statu quo
pour que ça aille mieux
il faut de l'imagination
ibid
bien sûr
qu'il y a forcément
une issue
mais c'est fatigant
de toujours
la chercher
lisez
mais ne soyez pas jaloux
ibid
tant que le peuple l'ignore
le poète n'existe pas
quand les gens le connaissent
le poète n'existe plus
ibid
je pense
à ce qu'un autre
penserait à ma place
bien sûr
que je suis mécontent de moi
mais pas seulement
de moi
ibid
À nous de tirer profit de ces pensées, fruit d'une vie, qui a connu son lot de difficultés sans jamais
se taire ni renoncer. La conclusion, empreinte d'autant d'humilité que de fierté, tombe
encore de la plume du poète, qui semble s'adresser au plus intime de chacun de nous :
mes poèmes
sont tout simples
j'en ai déjà
écrit beaucoup
ibid
peu importe
ce que c'était
l'important
c'est que c'était
l'histoire nous jugera
s'il y a encore une histoire
Bibliographie :
- Ivan Akhmetiev, rien qu'une collision de mots, traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs, aux éditions éres, 2018
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