Sans ces mots
que j'ai taillés
que serais-je
devenu
comment
aurais-je
pu ne pas
sombrer
comment
aurai-je pu
bâtir la maison
que j'ai dû
édifier pour
me construire
in L'Opulence de la nuit, À l'intime du silence, 2010 p.110
Quel poète n'a pas songé à écrire ces mots en relisant sa vie ? La droiture et la simplicité avec laquelle Charles Juliet tente la chose et se met à nu devant son lecteur, sont émouvantes, surtout
quand on sait le profond abandon qu'il a dû surmonter pour se construire.
En fin de vie, le voici qui parle avec émerveillement de L'Opulence de la nuit et j'éprouve un immense plaisir à partager avec vous ce qu'il en dit :
Frémissement
à l'intime
du silence
un murmure
d'abord indistinct
puis des mots cristallisent
se nouent les uns aux autres
avec et sans moi
un poème se dicte
me fait don d'une vie
plus intense que la vie
ibid p.111
Une rumeur
à peine audible
mêlée à une poussée
un appel
elle hausse le ton
se précise
des mots étouffés
vite perdus
je me sonde
les cherche
tâtonne
au sein du silence
qui les a repris
ce qui voudrait
éclore
ne cesse de coaguler
se défaire
se recomposer
ne cesse de s'absenter
et de réapparaître
ibid p.112
des mots plus vaillants
luttent s'imposent se nouent
donnent consistance
à ce qu'il faut
engendrer
la main entre en action
transcrit le poème
qui lui est dicté
que dit-il
ibid p.113
Il est question tout au long de ce recueil de joie mêlée de douleur, de lucide ivresse, de ces sentiments qui font la trame tragique de la vie tandis que, par ailleurs, persistent la paix et la lumière.
Le poète s'appuie sur cette continuelle croissance, cette lente élévation pour nous mener à la plénitude d'un simple galet, qu'une main caresse.
Cette parole rare, longuement méditée, exige un abandon intérieur à tout ce qui vient, d'où peut jaillir une infinie gratitude.
Le poète n'hésite pas à poursuivre coûte que coûte vers l'oasis, que se veut le dernier chapitre de son livre :
La faim qui me tenaille, il est rare qu'elle me hisse jusqu'à l'inoubliable festin...
À plusieurs reprises ma frêle embarcation a chaviré, tout ce qu'elle contenait, livres, savoir, possessions diverses, tout est passé par le fond et force m'a été de lâcher prise, de consentir à disparaître ... alors des courants m'ont poussé, porté puis déposé sur une plage, une lumière
d'aurore inondait l'oasis où j'allais maintenant vivre.
On n'invente pas ce genre de propos sans avoir traversé l'épreuve et être de nouveau habité du désir d'écrire et de témoigner. La force de la poésie repose sur ce partage, que Charles Juliet en soit
vivement remercié.
Je vous engage si vous souhaitez en savoir davantage à ouvrir le lien suivant. Il s'agit d'un article plus étoffé, écrit par moi en 2012 sur La Pierre et le sel :
http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/11/charles-juliet-le-refus-de-renoncer.html
Bibliographie:
- L'opulence de la nuit, P.O.L éditeur, 2010
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