Une vie ordinaire
On m'a bien dit que j'étais né
mais de si drôle de façon
je me méfie des gens qui m'aiment
sans trop pouvoir faire autrement
bref j'attends confirmation
de cet évènement suspect
rien ne m'ayant encor donné
l'enviable sensation
d'être tout à fait là sur terre
plutôt que dépendant d'un ciel
qui change souvent de chemise
bien plus que moi.
N'importe allons
Je suis pour le discours humain
Je suis pour la moitié de pain
Le désespoir c'est de se taire
Et si mon langage vous pèse
quoique si léger si fuyant
rien de plus facile à votre aise
que de jeter ce livre au vent.
in Une vie ordinaire, Poésie/ Gallimard, 2009, p.19
Georges Peros, ne se prétend pas poète, il s'adresse à son lecteur avec le plus grand naturel et le ton moqueur de celui qui refuse de se prendre au sérieux. Il lui fait des confidences comme à un ami, au fur et à mesure des évènements de sa vie.
Né à Paris, le 23 août 1923, en même temps qu'un frère jumeau, qui "mourut sans même avoir vécu", il restera fils unique, "rêvant d'une sœur qui eut été son bâton de jeunesse", écrit-il.
Laissons lui le soin de nous conter lui même l'histoire de sa vie, rédigée au long de ce recueil :
Je suis né dans une mansarde
d'où l'on entendait le matin
des laitiers qui drelin drelin
réveillaient les biberonneuses.
in Une vie ordinaire, Poésie/ Gallimard, 2009, p.28
Je devais mais beaucoup plus tard
faire la connaissance émue
des parents qui m'étaient échus.
ibid, p.29
À Belleville mon grand-père
l'autre du côté paternel
avait un atelier donnant
sur le Paris d'alors fumant
pas loin de la rue des Envierges
de la rue Piat Vous connaissez ?
C'était un quartier à bougnats
à petits bistrots à gavroches
on y parlait haut
(...)
Il est mort trop vite je pense
que nous nous serions bien compris
grâce à ce goût de la bohème
qui saute une génération
si j'en crois l'horreur qu'en avait
mon père Cela fit beaucoup
dans nos démêlés Je soutiens
qu'on peut très bien vivre sans rien
pourvu que le matin nous trouve
prêt à reprendre l'aventure
C'est quand on respire en arrière
que le malheur creuse son trou.
ibid ( extrait) p.p.32/33
Très pauvres encor mes parents
se privèrent pour m'acheter
un piano droit meuble encombrant
notre chambre était si petite
(...)
ibid p.34
La guerre venue, ses parents l'envoient à Rennes, pour le protéger d'éventuels bombardements, pas de chance, la ville est bombardée peu après, mais il survit. Contemporain de mon mari, il se trouve qu'ils étaient tous deux réfugiés en même temps dans Rennes et profitaient des cinémas comme du théâtre, à l'époque.
J'allais alors tous les dimanches
au Théâtre municipal
tout seul et j'étais fasciné
par les divettes et chanteurs
d'opérettes franco-viennoises
(...) ibid p.46
Fréquentation qui lui fait écrire, plus tard quand il fera du théâtre : "Je suis un homme de coulisses / J'aime me trouver entre deux."
"Quand j'ai voulu faire métier d'acteur", "je jouais sans aucun génie, tout incapable d'aller mordre
la queue des dieux ainsi que font ceux qui brûlent dit-on les planches".
De la même manière, sur le ton de la réflexion, il évoque dans ce recueil, Paris et tous ceux qu'il a fréquenté comme on rédige ses mémoires. Fusent soudain, fulgurantes, quelques lignes comme celles-ci :
C'est ainsi
que le rire sous cape plie
sous le comble de l'ironie
Mais il faudrait que le tonnerre
vienne à notre aide en ce moment
pour laisser voix au hurlement
où notre silence se terre.
ibid p.p.54/55
J'avance en âge mais vraiment
je recule en toute autre chose
et si l'enfance a pris du temps
à trouver place en moi je pense
voilà qui est fait et je suis
devenu susceptible au point
qu'on peut me faire pleurer rien
qu'en me prenant la main Je traîne
en moi ne sais quelle santé
plus prompte que la maladie
à me faire sentir la mort
Tout m'émeut comme si j'allais
disparaître dans le moment
Ce n'est pas toujours amusant.
ibid p.73
De son père, il dit : "cet homme rouge qui disait, dès que porte ouverte, je suis saoul ".
De Paris, il pense :
(...)
Paris c'est villes de province
On y peut passer sa jeunesse
dans trois rues qui se jouent du coude
sans savoir qu'à deux pas de là
le monde entier refait ses comptes
ibid p.75
Du travail, il écrit:
Rien ne me semble
plus paresseux que le travail
comme on l'entend dans nos pays
de bureaux de banques
ibid p.87
Et de la poésie, il témoigne encore ainsi, avec une intégrité émouvante, dans Une vie ordinaire
Et si je fais un peu exprès
d'écrire de près de trop près
c'est qu'à des amis inconnus
je les jette très loin de moi
ces mots qui paraissent dit-on
d'une banalité sans nom
Mais il m'importe peu Je vois
ce que je regarde Je sens
ce que je sens et si j'aspire
à plus d'existence je sais
qu'un livre ou deux lus dans la nuit
m'exalteront sans pour autant
me donner cette nourriture
dont ils décrètent l'importance
en même temps que l'imposture
C'est dans la rue que je rougis
au feu du charbon quotidien
Stupéfait de marcher d'en être
de ce monde en faire partie
quoique vraiment si peu de chose
en instance de pourriture
ibid p.119
Pas l'ombre d'une prétention à être reconnu mais un amour fou des mots, qui donneront sens et force à sa vie :
Choses que je croyais perdues
et qu'une eau nouvelle retrouve
cailloux bloqués dans un ruisseau
qui attendiez l'autre printemps
pour reprendre l'âpre aventure
je ne vous imaginais plus
et vous me redonnez à vivre
Que suis-je quand vous n'êtes pas ?
ibid p.118
Je suis culotté comme pipe
Point par le tabac non mais par
la solitude j'en connais
tous les plaisirs toutes les affres
pour avoir erré jour et nuit
sur cette terre qui fait naître
en nous si souvent de l'ennui
alors que vivre est incroyable
(...)
ibid p.184
Retenons de Georges Perros ce "vivre est incroyable", qui loin de n'être qu'un "mot ordinaire", peut à lui seul illuminer nos pensées et dynamiser nos choix au cours de "l'âpre aventure" que reste la poésie .
Bibliographie :
- Une vie ordinaire, Poésie/ Gallimard, 2009.
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