O terre brève
I
À celui qui doute de toi tu te refuses, tu disparais sans changer de place.
De quel amour es-tu donc toujours exigeante O terre brève ?Pierres bientôt brisées du chemin, bornes rompues qui nous guidaient.
N'es-tu pas la plus haute exigence, la plus simple dans ce théâtre où
paradent les ombres de ceux qui croient t'avoir vaincue ?
À toi menait un chemin de profonde randonnée dans l'eau claire de l'apparence.
Au détour d'un arbre il suffisait d'un oiseau, de la montagne apparue au loin.
Quelle taie noire au fond des yeux, quelle maladie du cristallin ?
II
Je ne vois plus le double de chaque chose.
Je suis près, dangereusement près, des objets dont la ville est hérissée.
Je sors dans la lumière, je vais par les rues ensoleillées, je marche et
je ne vois qu'un théâtre d'ombres, de chairs inhabitées.
Les femmes paraissent étrangement belles et lointaines, même quand
leur parfum flotte derrière elles.
Je heurte d'autres corps sans le vouloir.
L'élémentaire serait-il cette tremblante tourbière qui nous conserve
et nous ensevelit ? Et non ce sol ferme, résonateur, vibrant que j'espérais ?
Je ne crois qu'à la lumière du matin. Et à la nuit qui rend aux choses,
aux êtres leur vrai visage.
La voix qui s'est tue parlait d'un lieu inconnu de moi.
Repars.
III
Es-tu la buveuse de vie ou la donneuse de mort toi qui te caches et
fais signe sous les arbres ou dans les nuages ou au fond de la gorge,
là où on ne te reconnaît plus, et qui entraînes dans la petite mort
des mots, goutte à goutte, jusqu'à cette frontière en avant de nous ?
T'avancerais-tu masquée de feuillage, bouche souriante, les yeux
brillant de l'éclat des éléments, comme une putain déguisée, mélange
indicible de semence et de sang parti à la conquête des villes ?
N'es-tu au fond de la cassure terrestre où je te voyais vibrer qu'une
dépouille d'animal, la carcasse d'un mouton, le squelette d'un oiseau
ou, pis encore, la trace d'une trace, le recul d'une ombre dans l'obscurité ?
Alain Lévêque in Ombre portée, Éditions de l'Ermitage 1980, p.p.35/36/37
La sculpture méditative de François, photographiée au détour d'un chemin vers Assise, s'accorde à merveille avec ces autres réflexions du poète :
"Oui, je suis du coté des oiseaux. Dans le suspens des feuillages, dans le vide. Là-bas et ici, comme
au ciel les nuages."
in Le Ruisseau noir, Deyrolle Éditeur, 1993, p.p.43/45
"Que vienne à résonner dans quelques mots rassemblés la musique d'une parole qui semble tendue vers l'impossible, une voix qui persiste à chanter vrai, et l'espoir, un moment, renaît. Un possible refleurit entre les décombres".
in Poésie prétexte, La voix mortelle, La Dagona, 2000, p.33
"La beauté est partout, sous les yeux, à portée de la main. Elle commence là où je regarde ce que je vois, où je caresse ce que je touche".
in Bonnard, la main légère, Éditions de l'Ermitage, 2006
Éditions de l'Ermitage, 2006
Bibliographie :
- Ombre portée, Éditions de l'Ermitage, 1980
- https://editions-verdier.fr/livre/bonnard-la-main-legere/
- https://blogs.mediapart.fr/jean-claude-leroy/blog/120117/le-lyrisme-du-coeur-du-poete-alain-leveque
- http://lintula94.blogspot.fr/2015/11/le-haiku-selon-alain-leveque-et-minh.html
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