Parfois c'est cela l'éternité,
cet avant-goût
de ce qui ne sera pas.
Il suffit d'une garrigue,
d'un arbre à l'aplomb du ciel
pour qu'elle invoque cette aube,
ses fastes, ses éclats
et que la route s'éploie
vers l'infini.
in Du bleu dans la mémoire, IV La voyageuse, éditions Voix d'encre 2010, avec des encres
d'Hélène Baumel
Max Alhau, né en 1936, est l'auteur d'une vingtaine de recueils de poèmes.
Silhouette longiligne, il a souvent l'air tout à ses pensées mais sa poésie révèle une grande sensibilité liée à une force d'âme.
Ici, La voyageuse, dont il parle, n'a rien vu venir.
Elle n'a rien vu surgir,
elle a fermé les yeux :
il neigeait sur la nuit,
le jour ce refusait
à défroisser la terre.
Il ne lui restait plus
qu'à éclairer la table
pour mettre enfin en pièces
les mots qui s'efforçaient
de soudoyer la page.
ibid.
Cette brisure qu'est la vie, il l'explore au risque même d'anéantir l'espoir.
Tout se confond
avec la nuit
sans qu'il lui soit permis
de douter de son issue,
de ce qui tremble
et se défait
mais dont elle convoite
la présence fugace.
ibid
Le poète devient celui qui accompagne jusqu'au bout cette fuite inexorable et regarde la mort en face.
Voyageuse,
si tu veux ne pas t'en aller,
absorbée par la pluie ou le feu,
n'essaie pas de retenir ce peu de lumière
qui se faufile vers le soir.
Appelle l'absence par son nom,
tu n'auras pas à te soucier
du temps ou de l'éternité.
Tu rejoindras le port après lequel
rien ne commence, rien ne s'achève.
ibid.
On écrit pour ne pas mourir ou, du moins, pour ne pas souffrir, dit à son propos Jean-Max Tixier dans le n°43 de la revue Autre Sud, consacrée au poète, fin 2008.
Dans ce même numéro, Max Alhau, s'entretenant avec Bernard Mazo, avoue un profond sentiment de solitude, un sentiment éprouvé dès le lycée, qui l'amènera à trouver cette "porte de sortie" que sont l'écriture et la contemplation de la nature et en particulier celle de la montagne, de ses sommets et de ses horizons.
L'émotion et le ressenti "constitueront pour lui des remparts à la vacuité, au désespoir, peut-être parce que la poésie ne permet pas de tricher avec soi, avec les mots, parce qu'elle est fondée sur l'authenticité de la parole."
Interrogé sur la fonction essentielle du poète et de la poésie dans le monde d'aujourd'hui, Max Alhau répond :
L'évolution de notre monde l'a réduite à presque rien. Pourtant la poésie demeure comme le dernier rempart face à la barbarie, à l'a-culture qui est de règle, face aussi à l'écrasante domination du roman en littérature. La poésie, par ce qu'elle véhicule, par sa diversité, sa richesse représente ce besoin élémentaire de s'en remettre à une autre vision de l'humanité, une vision intérieure qui permet à l'homme d'en apprendre un peu plus sur lui, sur le monde et lui ouvre les portes d'un horizon qu'il ne soupçonnait pas. La poésie, comme la vie "est belle et terriblement inutile", comme le disait Louis Guillaume, ce rêveur éveillé."
Louis Guillaume a été pour lui le poète de référence, à ses débuts dans les années 1960.
Vue sous son regard, la vie n'en est que plus précieuse :
L'admirable
c'est de se savoir de passage
comme un arbre ou un ruisseau
mais à plus brève échéance
d'être là
au centre du monde.
Chaque instant
qui glisse sur le corps
et s'efface aussitôt
en dit la présence.
Les mots les paroles
qui sont le calque de l'existence
s'achèvent en même temps
que la main la voix.
Le tragique
est aussi
dans l'imminence de l'absence
de ce qui s'ensuit ou non.
in Nulle autre saison, choix de poèmes 1980- 2000, L'arbre à paroles 2002, p.14
À des années d'écart, l'esprit du poème et la raison d'écrire demeurent intacts, comme en témoigne ce poème paru en 2015 dans la jolie collection Métive des éditions Tipaza , qui s'ouvre comme une corolle de fleur :
Tu reviens de loin,
mais tu n'as jamais quitté ces lieux.
Seul le vent, seuls les mots
ont accrochés tes pas
et t'ont conduit au-delà
vers des pays sans frontières
dont le relief hante tes rêves.
Tu n'as rien connu
si ce n'est cet espoir
de te soustraire au temps,
de glorifier des saisons
qui prenaient place ailleurs,
en marge des calendriers.
Tu reviens de loin
et tu t'en iras
vers des ports à l'écart
et s'ouvrant
sur l'infini
des choses et du monde.
in La lampe qui tremble, avec des peintures de Hamid Tibouchi, éditions Tipaza, 2015, p.1
Max Alhau était présent, le 14 mai dernier, sur la péniche Daphné, ancrée au pied de Notre Dame, pour la présentation de son dernier recueil, Si loin qu'on aille, paru en 2016 aux éditions L'Herbe qui tremble.
Si loin qu'on aille, on découvre des paysages et soi-même par le biais des mots, disait-il à propos de ce recueil avant d'en faire lecture.
J'en conserve quelques mots qui vacillent, la crainte et sa brûlure, et bien que toute perte l'emporte sur le gain, le souvenir de ce que fut l'aurore. Un récit triste et beau dans l'esprit de ce qu'il écrit, et qui donne une profonde unité à sa création.
Ayant tout particulièrement aimé dans son recueil Nulle autre saison, paru en 2002 chez L'arbre à paroles, les poèmes en prose du Fleuve détourné, qui illustrent parfaitement l'alliance de la beauté et de l'exigence intérieure du poète, j'en transcris quelques uns en guise de conclusion.
Courir à l'oasis
Un visage que l'on croyait disparu remonte avec la mer :
ce n'est plus celui que l'on serrait contre soi, mais une image se
se détachant du paysage pour l'envahir pleinement.
Quelque chose au goût de menthe atteste cette tendresse
encore proche, cette odeur de forêt après la pluie, ce qui ne
demande qu'à renaître en signe d'accomplissement.
*
Arrivé sur un autre continent, on s'aperçoit que l'on n'a
jamais quitté le port, que c'est le même ciel, les mêmes étoiles
que l'on révère.
C'est ainsi que l'on voyage, les yeux ouverts sur soi et
clos sur le reste du monde pour se frayer un passage jusqu'à la
mer.
in Nulle autre saison, Le fleuve détourné, éditions L'arbre à paroles, 2002, p.65
Dans son vol une grive emporte la rivière et les dernières
parcelles de la prairie.
Ce qui subsiste s'accommode d'une présence qui ne lui
appartient plus. Nous ignorons tout de nos croyances réfutées un
jour de tempête. Nous attendons seulement qu'une porte s'ouvre
et qu'une voix nous interpelle.
ibid p.69
Quelle est cette voix qui parle en toi et qui n'est peut-être
pas la tienne, ces mots que tu crois reconnaître, que tu n'as pas
prononcés et qui ne t'appartiennent plus ?
Tu ne mens pas, tu ne te trompes pas : tu te hisses à l'écoute
de l'indicible : tu n'as pas apprivoisé le silence. Tu te tournes
vers toi. Un autre dérobe ta parole pour te la restituer à ton insu.
ibid p.71
Bibliographie:
- Nulle autre saison, L'arbre à paroles, 2002
- Revue Autre Sud, n°43, décembre 2008
- Du bleu dans la mémoire, Voix d'encre, 2010
- La lampe qui tremble, avec des peintures de Hamid Tibouchi, éditions Tipaza 2015
sur internet:
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