Port des Barques

Port des Barques

vendredi 3 juin 2016

Marie-Claire Bancquart La passion du vivant



         Oui, parfois
         c'est l'hiver des choses

         contre la mort l'espoir meurt de froid

         ...Mais donner forme à l'inconnu
         prendre parole
         mot par mot doucement
         comme on trie des lentilles...

         Monde invisible,
         tu te gonfles de jour, alors,
         dans un éclat de transparence partagée.

         in Qui vient de loin, éditions Le Castor Astral, 2016, p.71

Ce tout dernier recueil de Marie-Claire Bancquart est né de l'expérience d'une hospitalisation en urgence, dont elle dit :

         Oui, j'ai coulé
         pas tout à fait au fond
         mais en totale absence.

         Des murs anonymes
         Des draps jaunes marqués "Assistance publique".
         Ils ne me disaient rien : je savais encore épeler, mais non lire.
         Des gens m'irritaient tout autour, ces grands insectes tourmenteurs, trop vifs.
         Sous ma peau nourrie par des tubes
         ils s'en donnaient : tubes, piqûres.

         J'apprenais que la mort n'était pas facile.

         ibid.p.10

Bien qu'elle ait longuement fréquenté les sanatoriums durant sa jeunesse, l'hôpital sous sa forme actuelle, aseptisée, efficace mais anonyme, la déroute.

          C'est bientôt le soir

          sur la porte on lit un numéro, pas de nom.

          Bientôt le nôtre
          disparaîtra du monde même.

          Un sourire nous vient à l'idée du phénix renaissant, que nous ne voudrions pas être.

          ibid.p.13

Les soins hospitaliers de qualité portent leurs fruits, heureusement. "Vient cette maugréeuse, lente résurrection..." et  la "relevée" dont elle dit:  "Je revenais à la clarté".

De retour chez elle, convalescente, elle découvre son impossibilité provisoire à monter un escalier. Celui-ci devient aussitôt l'objet d'une méditation à propos du bois dont il est fait, des insectes qui l'habitent et de cette vie cachée d'autres êtres vivants, car "rien n'est vulgaire en poésie même la mort d'une petite bestiole".
Ici, son pied contre une marche réveille en elle des sensations qui faisaient mine d'être mortes :

           (...)
           Subitement s'habite l'escalier
           d'oncles, voisins, chats disparus
           toute une belle vie qui monte
           vers des souvenirs tellement familiers, jusqu'à la présence

           mais ce n'est plus le même escalier
           l'autre a été détruit avec la maison.
           (...)
           ibid. p.19

Dès l'enfance, contrainte par la maladie à une longue immobilité, Marie-Claire Bancquart a appréhendé le monde avec tous ses sens. Elle a appris à palper, flairer, lécher, caresser, goûter...et le fait avec délices.

         – Mais comme un animal soupçonneux, je flaire une page
         un livre un épiderme
         et peu à peu me gagne une confiance très ancienne
         en choses et gens.

         Remuant un ragoût, racontant un voyage,
         j'aime à la fois la fragilité, la force des minutes.

         ibid. p.64

         Fendre un blanc d'œuf en neige
         comme on découperait un nuage?

         Préparer une enveloppe
         pour écrire aux créatures
         qui vivent ignorées
         dans les coussins, les murs, les fleurs?

         – À nous d'entreprendre une décalcomanie du mystère
         qui se resserre autour de nous, en pleine ville.

         ibid .p.106

         Peler un œuf, un avocat,
         soulever la croûte d'une écorchure :
        
         plaisir de porter au jour une intimité
         mais crainte de toucher à ce qui protégeait la vie
         cachée dans la chair maintenant à nu.

         Humbles découvertes
         du mystère quotidien.

         ibid.p.107

Ces humbles découvertes sont sa façon de ressentir et de communiquer sans cesse avec le vivant. Quant à sa manière, presque impudique, de dépeindre toutes les sensations intimes qui en résultent et la traversent, elle ne nous la rend que plus attachante. En toute chose, la sensation prime.

Parce que toute existence crie et pense écrit-elle, page 56, ainsi résonne notre cœur.

          On s'efforce.
          on reste pour toujours intronisé dans le vivant.

          On exauce un désir:
          sentir notre caresse
          tranquilliser cette tête égorgée, la Terre.

          ibid.113

          Qui vient de loin, qui espère et appelle,
          graine folle parmi les hommes ?

          Qui germe,
          qui veut aller vers l'accomplissement ?

          Qui peuple les ruines
          de fantômes vivants?

          Qui unit les espaces
          et,
          parfois,
          caresse simplement le bois de sa table ?
          Qui rêve à une seule lettre
          ouverte
          sur l'innombrable ?

          ibid .p.114


Ce retour à la vie exige louange. Les deux poèmes, qui suivent, sont des hymnes d'amour à la vie et à celui qui la partage :

          En toi je me retire comme dans une île
          habitée de musique et de mots

          seule pourtant
          au milieu d'une mer muette

          une île
          qui peut bouger qui peut aimer

          qui se suffit à elle même.
 
          ibid.p.57

          Respire
          l'odeur forte des rues.
          Tâte l'espace
          entre parole et mort.

          Un jour, il se refermera dans ta main.

          Restera notre neutre, piètre nom,
          plus, peut-être, le souvenir
          d'une minute que tu aimais

          ... où tu collais ton visage
          sur un autre
          ou sur la blessure vermeille d'un arbre...

          Aujourd'hui ton sang bat.
          Tu n'as qu'à tâter ton poignet
          pour supporter ta vie, passionnément.

           ibid.p.53

Le métier de poète exige passion, lucidité et sagesse pour continuer à vivre dans l'épaisseur multiple des mots. Car, bien sûr, il y a ce qu'on ne dit pas...et l'inévitable, à venir.
        
          Il y a des mots meurtris
          devant la porte

          n'ouvre pas

          ils sont amoncelés, ils tomberaient en désordre
          certains montent encore l'escalier

          ils cherchent
          peut-être
          le silence. Leur silence.

          Si tu ouvrais la porte
          ils entreraient dans les dictionnaires

          ils occuperaient ces calmes logis
          d'ordre alphabétique, où rien ne prouve
          que l'horreur existe vraiment

          mais le sang
          coulerait d'eux
          chaque fois que nous arriverions au mot Sang.

          ibid p.22

          Nos livres
          vieillissent
          autour de nous
          comme une forêt considérable

         ils nous parlent souvent un autre langage
         que les lettres imprimées sur eux

         ils disent les années écoulées ensemble
         sur la rondeur imperceptible de la terre

         et notre disparition future, à nous tous,

         imprévisible,

         certaine.

         ibid p.23

Merci à vous Marie-Claire Bancquart de vous être remise avec ardeur à l'ouvrage, vous qui disiez en présentant ce dernier livre, à la librairie Tschann, le 10 mai dernier :

La poésie est l'accompagnatrice de vie, l'institutrice de vie, elle est la vie portée à son incandescence.

Bibliographie :

  • Qui vient de loin, éditions Le Castor Astral, 2016
sur internet : un précédent article de Roselyne Fritel



         

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