Oui, parfois
c'est l'hiver des choses
contre la mort l'espoir meurt de froid
...Mais donner forme à l'inconnu
prendre parole
mot par mot doucement
comme on trie des lentilles...
Monde invisible,
tu te gonfles de jour, alors,
dans un éclat de transparence partagée.
in Qui vient de loin, éditions Le Castor Astral, 2016, p.71
Ce tout dernier recueil de Marie-Claire Bancquart est né de l'expérience d'une hospitalisation en urgence, dont elle dit :
Oui, j'ai coulé
pas tout à fait au fond
mais en totale absence.
Des murs anonymes
Des draps jaunes marqués "Assistance publique".
Ils ne me disaient rien : je savais encore épeler, mais non lire.
Des gens m'irritaient tout autour, ces grands insectes tourmenteurs, trop vifs.
Sous ma peau nourrie par des tubes
ils s'en donnaient : tubes, piqûres.
J'apprenais que la mort n'était pas facile.
ibid.p.10
Bien qu'elle ait longuement fréquenté les sanatoriums durant sa jeunesse, l'hôpital sous sa forme actuelle, aseptisée, efficace mais anonyme, la déroute.
C'est bientôt le soir
sur la porte on lit un numéro, pas de nom.
Bientôt le nôtre
disparaîtra du monde même.
Un sourire nous vient à l'idée du phénix renaissant, que nous ne voudrions pas être.
ibid.p.13
Les soins hospitaliers de qualité portent leurs fruits, heureusement. "Vient cette maugréeuse, lente résurrection..." et la "relevée" dont elle dit: "Je revenais à la clarté".
De retour chez elle, convalescente, elle découvre son impossibilité provisoire à monter un escalier. Celui-ci devient aussitôt l'objet d'une méditation à propos du bois dont il est fait, des insectes qui l'habitent et de cette vie cachée d'autres êtres vivants, car "rien n'est vulgaire en poésie même la mort d'une petite bestiole".
Ici, son pied contre une marche réveille en elle des sensations qui faisaient mine d'être mortes :
(...)
Subitement s'habite l'escalier
d'oncles, voisins, chats disparus
toute une belle vie qui monte
vers des souvenirs tellement familiers, jusqu'à la présence
mais ce n'est plus le même escalier
l'autre a été détruit avec la maison.
(...)
ibid. p.19
Dès l'enfance, contrainte par la maladie à une longue immobilité, Marie-Claire Bancquart a appréhendé le monde avec tous ses sens. Elle a appris à palper, flairer, lécher, caresser, goûter...et le fait avec délices.
– Mais comme un animal soupçonneux, je flaire une page
un livre un épiderme
et peu à peu me gagne une confiance très ancienne
en choses et gens.
Remuant un ragoût, racontant un voyage,
j'aime à la fois la fragilité, la force des minutes.
ibid. p.64
Fendre un blanc d'œuf en neige
comme on découperait un nuage?
Préparer une enveloppe
pour écrire aux créatures
qui vivent ignorées
dans les coussins, les murs, les fleurs?
– À nous d'entreprendre une décalcomanie du mystère
qui se resserre autour de nous, en pleine ville.
ibid .p.106
Peler un œuf, un avocat,
soulever la croûte d'une écorchure :
plaisir de porter au jour une intimité
mais crainte de toucher à ce qui protégeait la vie
cachée dans la chair maintenant à nu.
Humbles découvertes
du mystère quotidien.
ibid.p.107
Ces humbles découvertes sont sa façon de ressentir et de communiquer sans cesse avec le vivant. Quant à sa manière, presque impudique, de dépeindre toutes les sensations intimes qui en résultent et la traversent, elle ne nous la rend que plus attachante. En toute chose, la sensation prime.
Parce que toute existence crie et pense écrit-elle, page 56, ainsi résonne notre cœur.
On s'efforce.
on reste pour toujours intronisé dans le vivant.
On exauce un désir:
sentir notre caresse
tranquilliser cette tête égorgée, la Terre.
ibid.113
Qui vient de loin, qui espère et appelle,
graine folle parmi les hommes ?
Qui germe,
qui veut aller vers l'accomplissement ?
Qui peuple les ruines
de fantômes vivants?
Qui unit les espaces
et,
parfois,
caresse simplement le bois de sa table ?
Qui rêve à une seule lettre
ouverte
sur l'innombrable ?
ibid .p.114
Ce retour à la vie exige louange. Les deux poèmes, qui suivent, sont des hymnes d'amour à la vie et à celui qui la partage :
En toi je me retire comme dans une île
habitée de musique et de mots
seule pourtant
au milieu d'une mer muette
une île
qui peut bouger qui peut aimer
qui se suffit à elle même.
ibid.p.57
Respire
l'odeur forte des rues.
Tâte l'espace
entre parole et mort.
Un jour, il se refermera dans ta main.
Restera notre neutre, piètre nom,
plus, peut-être, le souvenir
d'une minute que tu aimais
... où tu collais ton visage
sur un autre
ou sur la blessure vermeille d'un arbre...
Aujourd'hui ton sang bat.
Tu n'as qu'à tâter ton poignet
pour supporter ta vie, passionnément.
ibid.p.53
Le métier de poète exige passion, lucidité et sagesse pour continuer à vivre dans l'épaisseur multiple des mots. Car, bien sûr, il y a ce qu'on ne dit pas...et l'inévitable, à venir.
Il y a des mots meurtris
devant la porte
n'ouvre pas
ils sont amoncelés, ils tomberaient en désordre
certains montent encore l'escalier
ils cherchent
peut-être
le silence. Leur silence.
Si tu ouvrais la porte
ils entreraient dans les dictionnaires
ils occuperaient ces calmes logis
d'ordre alphabétique, où rien ne prouve
que l'horreur existe vraiment
mais le sang
coulerait d'eux
chaque fois que nous arriverions au mot Sang.
ibid p.22
Nos livres
vieillissent
autour de nous
comme une forêt considérable
ils nous parlent souvent un autre langage
que les lettres imprimées sur eux
ils disent les années écoulées ensemble
sur la rondeur imperceptible de la terre
et notre disparition future, à nous tous,
imprévisible,
certaine.
ibid p.23
Merci à vous Marie-Claire Bancquart de vous être remise avec ardeur à l'ouvrage, vous qui disiez en présentant ce dernier livre, à la librairie Tschann, le 10 mai dernier :
La poésie est l'accompagnatrice de vie, l'institutrice de vie, elle est la vie portée à son incandescence.
Bibliographie :
- Qui vient de loin, éditions Le Castor Astral, 2016
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