J'écris le soulèvement du corps
devant l'insupportable visage de la mort.
J'écris le drap qu'on tire sur les fièvres,
la béance qu'on cache
sous l'incessant mouvement du vivre.
J'écris tes mains qui me cherchent,
me trouvent, disent
la joie d'être accueil, oubli,
dans le bercement des phrases généreuses.
in Lorsque la parole s'étonne, Escalade des heures, éditions Aspect, 2016, p.26
Dans ce tout dernier recueil, paru aux éditions Aspect, en juin 2016, Danièle Corre évoque des images qui nous fondent et que nous réchauffons sans cesse pour garder souffle et pied dans la houle du temps, avec ces creux, ses cruautés, ses envols, ses renversements.
Il en viendra d'autres qui de la cave au grenier, en murmures confus, en tumulte bavard, en cohortes que la nuit agite la pousseront hors d'elle.
Tant de vies bruissent en nous,
certaines tapageuses,
d'autres en silencieux combats,
qu'on ne sait jamais
qui paraîtra
aux créneaux de la nuit,
nous laissant le champ défait,
veilleur étourdi de rumeurs,
à guetter encore
on ne sait quoi.
ibid Escalade des heures p.19
Procédant par étapes, elle entreprend de relire sa vie, en partant de l'enfance, passée en Lorraine :
(...)
J'ai tant de souvenirs
que je m'écorche
à leur hâte de parler,
pose un doigt de silence
sur leurs sourires carnassiers,
accueille le bric à brac
des temps qui s'entrechoquent
où chacun évoque sa primauté.
(...) extrait ibid Donner la main à l'enfance, p.44
La mémoire est une grande maison qu'on traverse souvent à grandes enjambées tant l'éclat d'instants blottis dans l'ombre blesse encore, si l'on ne prend garde à leur lumière surgissante.
Nous la traversons avec elle de l'enfance à la source puis à la maturité en passant par la bourrasque.
La nuit,
les mots
osent paraître
nus
dans l'impudeur
de leur naissance,
dans le cri,
dans la violence
du surgissement,
dans l'ignorance
des visages
qu'ils esquissent
sous nos mains,
qu'ils esquivent
dans le brutal silence.
ibid En soi, la source p.55
Danièle Corre délivre une parole simple, courageuse et tendre à son image, une parole qui s'étonne et l'étonne et invite à la louange, comme le fait ce poème d'ouverture dédié à un poète, dont l'œuvre et la pensée ont beaucoup compté.
À Georges-Emmanuel Clancier
Quatre vers ont frappé à la porte :
le monde s'est ouvert
de multiples visages,
offert en pluie d'instants,
en soleils durables,
sur le déploiement des collines et des plaines.
L'enfance y demeure
à rêver dans la nuit
d'une humanité douce
où la poussée d'églantine
triomphe du chaos.
Quatre vers ont suffi
pour prendre par la main
les mots qui venaient des sources
et s'ébrouaient sur la rive
dans l'ignorance des chemins de clarté,
des arbres tutélaires.
C'est quatre vers, ils frémissent
comme feuilles sous le vent,
cœur battant jamais lassé
de remercier.
ibid Escalade des heures p.9
En faisant le choix d'écrire, elle fait aussi celui de la disponibilité et de l'ouverture à l'autre, un engagement qui donne sens à toute son existence.
Devenue professeur de Lettres, elle crée des ateliers d'écriture en milieu scolaire, initiant ses élèves à la poésie contemporaine.
Je t'ai appris
ces pays de granit
où le cœur et le corps
s'écorchent aux ajoncs.
Je t'ai appris
ces terres de silence
où les pas résonnent
dans leur course
et fuient,
si la mort le veut bien,
si rien n'est dit
de ce qui importe.
Il faudrait fracasser
la roche
lacérer le livre,
rendre au sol fertile
la tendre tige
de la parole
et l'entourer de soins
constants.
ibid En soi, la source, p.51
Je suis là à cette table
pour accueillir
ceux qui viennent
avec leurs sourires
en quête de mots,
pour dire oui
aux pages avides
parce que rien ne doit entraver
ni ternir,
ni retenir,
la source en soi
Guetteur de signes et d'aubes,
passeur d'un monde à l'autre,
dans l'ombre des arbres en fleurs
je vous attends.
ibid p.56
Ce recueil témoigne aussi des bourrasques du temps :
Quand tremblent
nos tranquilles certitudes
qu'en est-il de nous,
de nos murs, de nos dires,
de l'angle de nos fenêtres,
du ciel sur nos toits
et des phrases qu'on accrochait
aux branches des arbres
dans le jardin en fête ?
Il fait soudain très froid,
le chagrin couvre de givre
nos épaules, nos projets.
On ne meurt plus à petits feux,
mais d'un coup
debout
sous la gifle du temps.
ibid Bourrasques du temps p.64
Lucide et résolue, elle parle du quotidien, de la joie comme des blessures :
Nous voici
traversés de siècles
recrus d'horreurs
et de cruauté
avec notre humble lot
de douceurs familières,
de visages sauvés,
avec notre balbutiante, irrépressible
confiance en la bonté,
honteuse de se savoir naïve,
avide d'être rassurée,
légère d'être oublieuse,
bavarde si l'on s'attarde
près de la lampe des soirs
à compter les pas de nos joies.
ibid p.65
À l'obscur, elle oppose ingénument la confiance :
Dans la grande nuit
des peines d'exil,
une petite voix
chante et bondit.
La vie t'émeut,
la vie parle à la brindille,
te porte au plus haut
de toi-même.
C'est l'immensité
qui te gagne.
ibid p.70
Une force discrète, et que rien n'entame, l'habite et rayonne d'elle en poésie comme dans la vie quotidienne :
Une force s'infiltre,
coule dans les vaisseaux du corps,
dans les voies empruntées,
en cercle les moments
dont elle fera récit,
pousse sur des socles
les personnages qui importent,
irrigue les terres lointaines
où fleurissent des plantes oubliées,
gagne en tumulte
les confins, les rivages,
dépose sur des sols assoiffés
son précieux limon.
ibid p.88
Mystère et puissance de la poésie, ces quelques poèmes ont le mérite de nous remettre debout, dans l'étonnement du verbe et nous laissent vibrant de ce partage.
Visages que le flot emporte
dans le scintillement du soleil
sur la rivière insoucieuse,
visages que le temps a gardés
intacts aux colonnes du souvenir,
incrédule, je vous regarde
et reste là, sur la rive,
à contempler l'édifice
de pierre et d'eau
que les jours ont bâti
dans le tumulte des ans.
ibid p.89
Bibliographie:
- Lorsque la parole s'étonne, éditions Aspect 2016
- http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Dani%C3%A8le_CORRE-37-1-1-0-1.html
- http://www.editions-tensing.fr/Auteurs/daniele-corre/
- un article de Roselyne Fritel sur La Pierre et le sel: http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2014/04/dani%C3%A8le-corre-guetteur-doracles.html
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