La nouvelle de la mort du poète me parvient alors même que son dernier recueil, Ensemble encore, paru au Mercure de France, vient de m'arriver. Il s'adresse directement à chacun de nous, sans préambule. Je vous transmets sans plus attendre le message :
I
C'est bizarre, je ne vous reconnais pas.
Tant il fait nuit je ne vois plus votre visage
En dépit dans vos yeux de cette lumière
De diverses couleurs si loin là-bas.
Je comprends que vous tous, vous n'êtes plus
Auprès de moi qu'une seule présence,
À qui tendre la coupe, je ne sais
Ni ne le veux, je la pose, un instant.
Apercevant vos mains,
Je les touche des miennes, c'est suffisance.
(extrait) in Ensemble encore, Mercure de France, 2016, p.9
Si proche et familier de son lecteur, il ne l'a jamais été, mais le grand âge parfois accomplit des miracles de simplicité et l'émotion vient, qui change la donne. On ne pense plus uniquement, on ressent ses manques et on vient à se poser les vraies questions. Ce fut sa dernière découverte.
III
Mes proches, je vous lègue
La certitude inquiète dont j'ai vécu,
Cette eau sombre trouée de reflets d'un or.
Car, oui, tout ne fut pas un rêve, n'est-ce-pas ?
Mon amie, nous unîmes bien nos mains confiantes,
Nous avons bien dormi de vrais sommeils,
Et le soir, ç'avait bien été ces deux nuées
Qui s'étreignaient, en paix, dans le ciel clair.
Le ciel est beau, le soir, c'est à cause de nous.
Mes amis, mais aimées,
Je vous lègue les dons que vous me fîtes,
Cette terre proche du ciel, unie à lui
Par ces mains innombrables, l'horizon.
Je vous lègue le feu que nous regardions
Brûler dans la fumée des feuilles sèches
Qu'un jardinier de l'invisible avait poussées
Contre un des murs de la maison perdue.
Je vous lègue ces eaux qui semblent dire
Au creux, dans l'invisible, du ravin
Qu'est oracle le rien qu'elles charrient
Et promesse l'oracle. Je vous lègue
Avec son peu de braise
Cette cendre entassée dans l'âtre éteint,
Je vous lègue la déchirure des rideaux,
Les fenêtres qui battent,
L'oiseau qui resta pris dans la maison fermée.
Qu'ai-je à léguer ? Ce que j'ai désiré,
La pierre chaude d'un seuil sous le pied nu,
L'été debout, en ses ondées soudaines,
Le dieu en nous que nous n'aurons pas eu.
J'ai à léguer quelques photographies,
Sur l'une d'elles,
Tu passes près d'une statue qui fut,
Jeune femme avec son enfant rentrant riante
Dans l'averse soudaine de ce jour-là,
Notre signe mutuel de reconnaissance
Et, dans la maison vide, notre bien
Qui reste auprès de nous, à présent, dans l'attente
de notre besoin d'elle au dernier jour.
ibid p.p.19 et 20
La simplicité des mots, la tendresse des images nous le rendent soudain familier et c'est bonheur de le lire alors qu'il vient juste de nous quitter.
Un second livre L'écharpe rouge est paru également au Mercure de France tout récemment. Il s'agit d'un récit biographique inspiré d'un texte d'une centaine de vers datés de 1964.
Par une journée ensoleillée , pas trop chaude , des mots pour dire un temps de notre vie qui nous échappe ,
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