monotype de Roselyne Fritel 2016
Temps, traces
Là commence le monde : semence
et lave durcie, pluie et boue,
présage, perdition, remuement du rien
que le sable égrène.
Là commence le temps,
en cette feuille étonnée de renaître,
lentement se déplie son dessein.
Temps, nom exact des saisons
qui érigent en nous leur demeure,
– là où tout s'arrête, tu passes,
et chaque chose irriguée par tes remous
prend son humble et fragile mesure.
Quand tu ne souffles pas, tu souffles
racines et bourgeons, engendres une terre
aussitôt dissoute.
Sous le ciel sombre et inatteignable,
tu avances sur tes propres traces.
De quel vertige combles-tu mon âme?
À quel feu nourris-tu
l'élan même qui te détruit?
Quand la lumière épuise l'aube qu'elle gravit,
tu poursuis l'inlassable tâche
de rendre le monde à sa paisible agonie,
et toute vérité inaccomplie loge en toi,
comme une destinée, semailles et poussière.
D'abord l'air, la flamme meurtrie –
puis la douloureuse obstination
du vivant parmi la houle.
Où conduis-tu? Vers quel rivage
sans borne, sans mesure,
en quel recommencement
portes-tu un à un mes pas,
ouvrant l'ultime brèche
au cœur du passage ?
Tandis qu'en moi, pareils à des arbres froids,
les âges s'inclinent,
je regarde ce que promettent les marées
en ces voyages de migrantes,
– épaves, désirs, c'est encore le temps
qui bouge ce qu'il touche.
Le gong résonne.
Déjà le temps se retourne
et célèbre en son mouvement
l'imperfection de toutes choses :
arête, fracture, entaille.
Mais aussi l'infime tremblement
au bord de la nuit, – ferveur
où l'on se reconnaît.
Ferveur de l'argile et de la pierre,
– fragments du temps
qui taraudent la traversée.
Nous descendons, rasant les feuillages,
incertains d'avoir soulevé un peu de terre,
et d'être, en cet élan, au plus près
de nous-mêmes. Nous descendons,
comme descend le jour, ou le fleuve.
Ce qui naît demande à mourir.
La flèche ira rejoindre la cible ;
je n'aurai rien perdu, rien possédé.
Autour de l'axe de la vie, le temps
s'enroule. Et s'enroulant, renoue
avec son mystère.
Sans trêve, souffle racines et bourgeons.
in Autour du temps, Anthologie de poètes québécois contemporains éditions du Noroît 1999, p.73/74/75
Souffle, racines et bourgeons, ferveur où l'on se reconnaît, autant de mots qui clament le printemps, même s'il hésite à s'installer.
En tout lieux il demeure une saison des plus désirables et encore plus pour une québécoise comme Hélène Dorion vivant au pays des longs hivers.
Née en 1958, elle a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages de poésie au Québec et à l'étranger. Son dernier livre, Le Temps du paysage, est paru le 16 mars dernier.
Sur internet:
- http://www.helenedorion.com/
- http://www.maulpoix.net/Dorion.html
- http://www.francopolis.net/Vie-Poete/Dorion-fevrier2012.html
- https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9l%C3%A8ne_Dorion
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