Il fait un temps de demoiselle
Nous n'irons pas jouer à la marelle
et lancer nos pions par-dessus le ciel de terre
Nous n'irons pas cueillir
dans les champs de p'tit mil
le trèfle à quatre feuilles
Nous n'irons pas il fait un temps de demoiselle
Nous n'irons pas ce soir
pêcher la lune au quai Christophe-Colomb
Nous n'irons pas poser nos nasses
dans le lit de la Voie lactée
pour piéger des étoiles doubles
Nous n'irons pas il fait un temps de demoiselle
Nous n'irons pas dormir dans le lit de l'Amour
Nous n'irons pas il fait un temps de demoiselle
Le temps n'est plus au jeu
nous avons dépassé le chant des marionnettes
Le temps n'est plus au sommeil
nous avons dépassé le chant de l'enfant do
il fait un temps de veille
Mon Pays a un caillot de sang dans la gorge
in Nomade je fus de très vieille mémoire, Mon pays que voici, éditions Bruno Doucey, 2012, p.54
Anthony Phelps naît à Port au Prince, en Haïti, en 1928. Ce poème, extrait de son recueil Mon pays que voici, rédigé en 1963, sous la dictature de Duvalier et de ses "tontons macoutes", ne paraîtra que quarante ans plus tard au Québec.
Contraint à l'exil, le poète s'installe à Montréal, en 1964. Nombre de ses congénères, écrivains, l'y rejoindront par la suite.
Bruno Doucey réédite, en 2012, sous un titre choisi par l'auteur, Nomade je fus de très vieille mémoire, un large et riche aperçu de l'ensemble de son œuvre. Le livre est présenté au CNL, en février 2012, en présence de l'auteur. La voix du poète, sa séduisante présence marquent profondément ses auditeurs.
Je citerai juste deux des derniers poèmes de cette anthologie, qui évoquent selon moi la valse lente du temps et ce sentiment de nostalgie, qui l'accompagne. La "teinturière" y tient, me semble-t-il, le rôle de celle qui donne sens et couleur à la vie.
Teinturière
Le temps a brûlé lent Teinturière.
Les rêves aussi.
Souvent je laisse flotter le poème
comme un enfant son bateau de papier
ou le porte à mon oreille
pour retrouver les chants lointains d'un certain lieu.
Que de cris
de confidences tronquées de projets déréglés.
Les mots s'envolent
s'habillent de couleurs chagrines
mais ta main rythme leur dessin
ramenant l'équilibre.
Teinturière
si un jour de clair matin
je te retrouve
sous le sésame des oiseaux de la morte saison
tel clown endimanché d'innocence
bien au-delà des baisers d'accueil
je découperai la grammaire du soleil
et la calligraphie des fleurs
pour t'en faire parure.
Ah! un jour de gai matin un jour de clair soleil
redécouvrir l'ailleurs en toi!
Un jour de gai soleil un jour de clair matin
aux premières tendresses
d'une bouche qui se décline
tes souvenirs se raccorderont
au pas à pas du texte
à la fragilité du dire.
(...)
Ah! cette odeur du bout de la route
lorsqu'elle s'arrête tremblote et puis se casse
(...)
Ah!
Passe Teinturière. Passe.
L'oiseau reconnaît la pierre
se précipite à sa rencontre.
L'aiguille voit bien son œil
enfile le chas.
Le temps est seul
Le temps te nargue.
Le vin est doux et te conforte.
Pour la jubilation de mon regard
une lucarne de soleil
conjurera toujours ton corps
au temps présent de la lumière.
ibid p.p.225/226/227
Finale
Teinturière
œuf dans la gouache de la mémoire
ici prend fin la parodie.
Loin du commerce des racines
douce est l'argile
docile la glaise.
De l'autre coté du temps
liquide est l'air
frileux les nuages.
Par le bonheur d'une juste frappe
pour toi
dont le cœur bat dans la doublure de mes mots
je laisse rêver la lune au verso de nos noms.
Sous le coude du rêve
une plage ondule
intemporelle.
ibid p.228
sur internet :
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