Port des Barques
dimanche 9 août 2015
Cécile Oumhani, entre traces et signes
Tu cherches ton passé
au creux des nids que l'hiver
accroche haut dans les peupliers
les oiseaux
fervents de rives et de voyage
y ont laissé
leurs songes en obole
avant l'errance du ciel
in Passeurs de rives, éditions La tête à l'envers 2015, avec des encres de Myoug-Nam Kim, p.33
Le dernier recueil présenté, avant les vacances d'été, était celui de Moëz Majed, poète tunisien intitulé Chants de l'autre rive, je reviens vers vous, amis lecteurs, avec celui de Cécile Oumhani, Passeurs de rives.
Paru en avril 2015, aux éditions La Tête à l'envers, il est dédié à ses parents disparus.
Lors d'un voyage qu'elle fait de façon fortuite en Inde, peu après le décès de son père, les souvenirs d'enfance évoqués par sa mère prennent formes, couleurs, parfums. Naissent alors des poèmes en langue anglaise, langue maternelle de cette dernière, traduits en français. Ces traces devenues signes, donneront naissance à ce recueil, plein de pudeur et d'amour filial.
Passeuse de rives est un qualificatif qui sied à merveille à l'auteur. Née en Belgique, d'un père français et d'une mère anglaise née et ayant passé sa première enfance en Inde, Cécile Oumhani a épousé un Tunisien et vit en région parisienne. Riche de cet héritage multiculturel, la voici devenue Passeuse de mots et ravaudeuse de souvenirs. Naissent sous sa plume des poèmes intimistes, sensibles et retenus, qui lui ressemblent.
Les mots craquent
un grain de café sous la dent
saveur âcre au fond de nos bouches
rite étrange
où le suc étranger à nous-mêmes
se mêle se fond
jusqu'à disparaître
puis renaître
brève présence
exaltée par le silence
broyer les mots
épris de ce qu'ils renferment
d'encre et d'infini
un autre grain fendu
puis ce jaillissement
vie prise vie enfuie
le mot passe s'en va
sans que nous puissions le retenir
mot pris mot tu
au bout de nos doigts
seule une trace de parfum
mais les sons
n'ont pas de parfum
juste un goût qui vient
puis s'en va
comme le reste
in Passeurs de rives, encres Myoug-Nam Kim, éditions La tête à l'envers 2015, p.p.27/28
Tu t'adresses au vent
replié dans sa masure
aux lisières de la nuit
il chasse les ronces
à grands coups de draps
devant l'âtre
où s'enflamment tes rêves
avec une brassée de feuillages
ibid p.34
Entre ces poèmes se déploient les encres oniriques de Myoug-Nam Kim, l'illustratrice.
Le vent t'offre un lit de brume
et une barque pour franchir le fleuve
l'enfance de l'autre coté
danse dans sa robe de neige
et dresse la table pour toi
l'invitée des abeilles
tu rejoins le passé
dans le marc séché
d'un bol de faïence ébréchée
ibid p.37
Le matin de la mère
(...)
dans la cuisine
le pas de la mère
chuchote sur le carrelage
pensive elle peigne
le saule échevelé
à la fenêtre du matin
confie au vent
les billets qu'elle griffonne
la nuit sur du papier bleu
assise au coin de la table
elle dessine
à grands traits
sur ton pain
de lointains pays
poudrés de neige
des océans inconnus
qui sentent le café
elle n'entend pas le merle
cogner de son bec
à la vitre
et compte en anglais
à mi-voix
les jours qui restent
avant l'été
ibid (extrait) p.39/40
Le papier bleu, ultra léger, celui des nombreuses lettres échangées, était réservé au courrier avion. Plus d'un étudiant, parti pour poursuivre des études, lui confia le récit de sa nouvelle vie à des milliers de kilomètres de chez lui, grâce à lui perdurèrent des liens.
(..)
Tu remontes au fil de l'encre
les lettres les mots et les noms
au prisme des langues
posés sur la page
fragile épaisseur où retenir le monde
des feuillets bleus
le courrier n'en finit pas d'arriver
et chaque jour d'attente abîme l'espoir
des formes qui s'allongent
et comblent la béance
des couleurs trempées de lumière
ou embrunies par la nuit
(...)
ibid p.43
Avec une infinie délicatesse, Cécile Oumhani, recueille ces traces imperceptibles du passé, les tisse et nous les offre dans un beau livre de mémoire, qu'elle en soit remerciée.
"Trois séjours en Inde m'ont fait éprouver la force de ce qui se tisse et se transmet d'un lieu vers le secret de notre être, écrit-elle dans sa préface à ce livre; et elle ajoute: mon père ne connaissait pas l'Inde et il avait ici en France toutes ses racines. Pourtant la puissance de ce que j'ai ressenti à mon arrivée en plein deuil sur le sol indien a étroitement associé sa figure à celle de ma mère, dans l'écriture de ces poèmes. J'y croise les fils qui m'ont faite et continue de me faire, les leurs à tous les deux, au-delà de leur absence".
Une façade de pierres blondes
tu franchis le seuil
toi, l'invitée improbable
les tables sont mises
et l'on chuchote là-bas dans les cuisines
– ou est-ce un reste de vent ?
entre les nappes damassées
se dressent des noyers
six sept peut-être huit
tu ne parviens à les compter
tu hésites – murmures
les yeux levés
vers les pans de ciel
qu'ouvrent les arbres
en contrebas l'autre pièce
plongée dans la nuit
sommeille dans un nuage de cendres
ibid p.21
Était-ce un saule
ou encore un chemin de buis
au versant d'une nuit inconnue?
ou seulement c'est imparfait
qui serait toujours à venir
brèche au point du jour
fine crevasse où laisser chuchoter
les mots des ruisseaux
aujourd'hui
tu cherches en vain
dans tes tiroirs
restent à la vitre
ces poussières
entre toi et le jour
sables lointains ou miettes d'étoiles
souffle de funambules amoureux
vapeur de petits remorqueurs
bouts de robes taillées à même le ciel
corbeilles de fruits à la table de l'ogre
qui vivait là-haut dans les nuages
impalpables tulles de trapézistes
coutumières des vols d'oiseaux
ton doigt
repousse
à la vitre
pêle-mêle
bris de rêves
paroles lancées
contre la vague
des images pour fermer ton pas
tu n'as pas cessé d'attendre
ibid p./22/23
Sans plus attendre laissez-vous emporter par ce "sentiment de ce qui demeure d'ineffacé et d'ineffaçable en nous" .
sur internet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cécile_Oumhani
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