La lumière palpitante ressemblait à l'une de ces sources intermittentes au débit régulièrement interrompu, et s'écoulait comme une eau pourpre qu'un immense orifice invisible inspirait et expirait alternativement sans aucun bruit, répandant cette lumière et la rappelant à lui par des ordres muets. Et puis, une fois ce seuil dépassé, le soleil arrivait assez haut pour pouvoir se refléter entièrement et nettement dans la mer, et la mer le reprenait, l'accueillait en elle, le nourrissait, magnifiait son éclat de ses baumes magiques et bienfaisants. Le soleil céleste était terne et dolent, incolore et livide, à coté du soleil marin. L'œil s'opposait à l'un, avec pitié presque, mais était transpercé, défait, mis hors de combat par l'autre. Et pourtant, il y avait dans la présence étrange de ces deux soleils quelque chose de malsain, quelque chose qui ne pouvait pas durer, il y avait dans l'inégalité injuste entre les deux quelque chose de dangereusement prémonitoire et troublant. Leurs destins étaient contraires, leur présence simultanée illusoire. La réalité de l'un niait violemment celle de l'autre. Ce n'était pas une journée avec deux soleils que j'étais en train de vivre, mais un moment de rivalité féroce à l'issue duquel l'un d'entre eux devait être définitivement liquidé. Et je ne saurais jamais si c'était le vrai qui était resté en vie. Pourtant le résultat de leur implacable concurrence ne dépendait pas d'eux. Chacun évoluait selon sa propre loi. Chacun suivait sa propre destinée. Alors que le soleil céleste s'élevait de plus en plus éclatant, bien que de moins en moins chatoyant, de plus en plus objectif et triomphant sur le monde, le soleil marin se dégradait lentement et merveilleusement en une myriade de nuances liquides et diverses, frémissantes, changeantes, subjectives, elles s'unissaient et se séparaient, elles se mêlaient, elles essayaient de définir leurs limites, et elles périssaient en toute beauté, séparément et fièrement. Le soleil marin s'éteignait tout doucement, c'était si beau, si douloureux qu'en le regardant, l'œil s'emplissait d'une grande larme colorée, venue au monde pour le pleurer et refléter ses couleurs. À travers elle je voyais la mer charitable et infatigable tenter de ramener sur le rivage les derniers flots de sang, en un geste pieux et affectueux, je la voyais, vague après vague, effacer au large les traces de la mort et disperser les preuves du crime. Moi, je soutenais le soleil mort. Celui des nuées m'était indifférent. Je ne comprenais pas son assurance. Je ne comprenais pas son désir de rayonner si crûment sur toute chose, sa façon d'arracher sans pitié les ombres douces et mystérieuses en laissant les objets à découvert, sans défense, ridicules et dénudés sous cette lumière atroce. Mon soleil marin avait péri en héros parce qu'il avait refusé de mélanger ses couleurs pour faire naître ce blanc impersonnel et impitoyable, cette lumière sans identité ni sentiments. combien de temps avaient duré l'agonie et l'ascension, le simulacre de lutte au cours duquel le soleil avait vaincu tout ce qui, en lui, était beau, émouvant et vulnérable? Une heure?
Une saison? Ou peut-être moins? En tout cas, suffisamment pour que le monde se soit radicalement transformé entre-temps. Quand je m'éveillai de ma contemplation, la plage autour de moi paraissait brusquement étrangère et hostile, humiliée que je voie son néant complet, sa lamentable barbarie faite d'ordures et de détritus, ses pauvres secrets percés à jour et devenus écoeurants.(à suivre)
in Les Saisons, L'été, La ville qui fond, Nouvelle, traduite du roumain par Muriel Jollis-Dimitriu, aux éditions Le Visage Vert 2013, pages 98,99, 100, 101
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