Port des Barques

Port des Barques

vendredi 21 février 2020

Hommage à Marie-Claire Bancquart



         Dormeuse

         Le chat de la maison n'a jamais vu la mer.

         L'horloge cesse sans raison
         de marquer l'heure
         comme si elle était noyée.

         Malaise
         des choses familières.

         Je tiens à bout de bras
         d'inusables demandes.

         La femme que j'invente en moi
         souffre peut-être entre mon corps et la galaxie.

         in Rituel d'emportement, Opportunité des oiseaux, Poèmes.1969-2001,
         Obsidiane & le Temps qu'il fait, 2002, p.131

Marie-Claire Bancquart nous a quittés le 19 février 2019. Je vous propose de lire ou de relire quelques-uns de ses textes, à l'occasion du premier anniversaire de sa mort.

Il fut un temps où cette grande dame accueillait, en toute simplicité, visiteurs et poètes dans la toute première Maison de la Poésie, créée en 1983, sur les terrasses du précédent forum des Halles.
Jacques Chirac, alors maire de Paris, était à l'origine de sa création, sur une idée de l'éditeur et poète Pierre Seghers et du poète, Pierre Emmanuel. Ce lieu demeura ouvert au public jusqu'en 1995.

         Paroles de morts

             Sous l'occupation de la vie, nous avions nos heures heureuses. Nous disions groseille à 
         maquereau, pour que notre bouche s'emplisse d'acide, et nous disions profond amour pour y
        croire, le temps de dire. Il y avait des cueilleurs de jujubes, des successeurs de Couperin, des
        passionnés de timbres, des téléviseurs encastrés. On ne frappait pas toujours au grand portail,
        qui ne s'ouvre pas.
             N'importe : libérés, on est mieux. On roule sans essence, on s'arrache les plaquettes de
        poèmes, on se tait comme des graines. Ces fêtes nous sont prêtées par nos successeurs. À leur
        tour sous l'occupation de la vie, c'est avec douceur qu'ils nous offrent (du fond de leur doute)
        leurs impossibles.

        in Rituel d'emportement, Opportunité des oiseaux, Poèmes. 1969-2001,
        Obsidiane &Le temps qu'il fait p.135

Une bonne dose de gourmandise et d'humour, tempérée parfois d'une once de gravité, accompagne cette écriture.
Le lecteur, qui pourrait se sentir parfois dérouté, a tout à gagner à persévérer.

          Hors

          Infinitive et douce
          parole de forêt
          vendange des sucs dans la terre.

          Entre résine et sang
          le soleil attendri des feuilles
          filtre un long rêve sur ces verbes
          dont on chuchote
          sans passé ni futur
          un acte sans défaut :
          boire
          vivre
          joindre son corps aux aiguilles de pin.

          Couché à moitié hors de soi
          on est une seconde d'arbre heureux.

          in Rituel d'emportement, Opéra des limites, Poèmes. 1969-2001
          Obsidiane & Le temps qu'il fait, p.151



         Question

         Je te donne
         les rayures du chat
         le soleil en éclats sur la montagne maigre

         tout ce que j'ai autour de nous

         qui ne m'appartient pas
         sinon par un écho de la terre commune.

        Un jour j'aurai à dire :
        en ce monde
        je ne verrai plus ton visage.

       Parole d'impasse

       fondamentale insoumission
       de la nature à l'homme.

       Je voudrais bouturer mon œil
       fragmenter
       enfoncer un peu dans l'humus

       récolter vingt regards

       t'habiter
       d'une voyance interminable

       in Rituel d'emportement, Opéra des limites, Obsidiane & Le temps qu'il fait, 2002, p.161

Pour clore cette brève présentation, je citerai ce vibrant témoignage de l'auteur, qui donne sens à toute une vie d'écrivain :

            J'écris seulement pour parler de la vie, de l'amour, de la mort, de la révolte. Ce n'est pas tout.
       Ce n'est pas tout. Ce n'est pas rien non plus. Heurter l'impossible; mettre de l'énergie en mots; en
       donner peut-être à quelques hommes, même dans le dénuement.

            On reste en poésie, après s'être rendu compte qu'elle ne transgresse jamais toutes les limites,
       qu'elle ne change pas toute la vie. On a une nouvelle fois souffert du très relatif, du très éphémère
       qui est dans notre corps. Mais, en faveur du très précieux qui s'y trouve aussi, on a pris la
       résolution d'aller toujours.
           On a vieilli.
           On écrit pour cerner. Pour réclamer, pour célébrer. Pour déranger.
          
           ibid Qui voyage le soir, Inédits 2001, p.324

Bibliographie

  • Rituel d'emportement. Poèmes. 1969-2001, Obsidiane & Le Temps qu'il fait, 2002

sur internet:

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