Port des Barques

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vendredi 7 février 2020

Saint John-Perse pour la musique et l'élégance du verbe


                                     1

      C'étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
      De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de gîte,
      Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
      En l'an de paille sur leur erre… Ah! oui, de très grands vents
      sur toutes faces sur toutes faces de vivants!

      Flairant la pourpre, le cilice, flairant l'ivoire et le tesson,
      flairant le monde entier des choses,
      Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d'athlètes, de poètes,
      C'étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
      Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses…

      Et d'éventer l'usure et la sécheresse au cœur des hommes investis,
      Voici qu'ils produisaient ce goût de paille et d'aromates, sur toutes places de nos villes,
      Comme au soulèvement des grandes dalles publiques.
      Et le cœur nous levait
      Aux bouches mortes des Offices. Et le dieu refluait des grands ouvrages de l'esprit.

      Car tout un siècle s'ébruitait dans la sécheresse de sa paille, parmi d'étranges désinences :
      à bout de cosses, de siliques, à bout de choses frémissantes,
      Comme un grand arbre sous ses hardes et ses haillons de l'autre hiver,
      portant livrée de l'année morte;
      Comme un grand arbre tressaillant dans ses crécelles de bois mort
      et ses corolles de terre cuite –
      Très grand arbre mendiant qui a fripé son patrimoine,
      face brûlée d'amour et de violence où le désir encore va chanter.

      "Ô toi, désir, qui vas chanter..." Et ne voilà-t-il pas
      déjà toute ma page elle-même bruissante,
      Comme ce grand arbre de magie sous sa pouillerie d'hiver :
      vain de son lot d'icônes, de fétiches,
      Berçant dépouilles et spectres de locustes; léguant, liant au vent du ciel
      filiales d'ailes et d'essaims, lais et relais du plus haut verbe –
      Ha ! très grand arbre du langage peuplé d'oracles, de maximes
      et murmurant murmure d'aveugle-né dans les quinconces du savoir…

      in Saint John-Perse, Œuvre Poétique, Vents I, La Pléiade, p.p 179/180, édition de décembre 1986.

L'auteur, Alexis Saint-Leger Leger, naît à la Guadeloupe en 1884, sur un îlet au large de la Pointe-à-Pitre; à partir de1896, il poursuit ses études au lycée Carnot de cette ville. Un grand tremblement de terre, en 1897, suivi d'une grave crise économique amène sa famille à quitter l'île après plus de deux siècles et à s'installer à Peau, dans le Béarn.
La poésie, qui a été pour lui, dès l'enfance "un mode de vie", fait qu'il lie amitié avec le poète Francis Jammes, qui vit à Orthez.
Au décès brutal de son père, en 1907, il doit interrompre ses études universitaires et devient chef de famille auprès des siens. Il finira ses études de droit en 1910.
Il publiera dans La Nouvelle Revue française ses premiers textes, dont Éloges.
Après une vie de diplomate, passée en tant qu'ambassadeur de la France, dans nombres d'ambassades du monde entier dont la Chine et le Japon, il tiendra tête à Hitler lors des accords de Munich et devra s'exiler aux États-Unis durant l'occupation allemande, le führer ayant fait de lui "sa bête noire".
Par la suite, il écrira sous un nom de plume: Saint-John Perse.
Le Prix Nobel de littérature lui sera attribué en 1961.

Je vous invite vivement à mettre en voix le texte cité plus haut pour en ressentir toute la musicalité.
Je vous recommande aussi un bel article rédigé par Jacques Décréau pour La Pierre et le sel, qui a pour titre: Saint -John Perse, le poète aux masques, dont voici le lien:
https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2012/09/saint-john-perse-le-po%C3%A8te-aux-masques.html

Bibliographie:

  • Saint-John Perse, œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard 1972
sur internet


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