Port des Barques
vendredi 3 mai 2019
Jules Supervielle, un poème pour un matin gris de printemps
Le matin du monde
à Victor Liona
Alentour naissaient mille bruits
Mais si pleins encor de silence
Que l'oreille croyait ouïr
Le chant de sa propre innocence.
Tout vivait en se regardant,
Miroir était le voisinage
Où chaque chose allait rêvant
À l'éclosion de son âge.
Les palmiers trouvant une forme
Où balancer leur plaisir pur
Appelaient de loin les oiseaux
Pour leur montrer des dentelures.
Un cheval blanc découvrait l'homme
Qui s'avançait à petit bruit
Avec la terre autour de lui
Tournant pour son cœur astrologue.
Le cheval bougeait les naseaux
Puis hennissait comme en plein ciel
Et tout entouré d'irréel
S'abandonnait à son galop.
Dans la rue, des enfants, des femmes,
À de beaux nuages pareils,
S'assemblaient pour chercher leur âme
Et passaient de l'ombre au soleil.
Mille coqs traçaient de leurs chants
Les frontières de la campagne
Mais les vagues de l'océan
Hésitaient entre vingt rivages.
L'heure était si riche en rameurs,
En nageuses phosphorescentes
Que les étoiles oublièrent
Leurs reflets dans les eaux parlantes.
in Matins du monde, Gallimard éditeur, poème retranscrit dans Poésie française,
Anthologie critique, parue chez Bordas, en 1991, p.p.390/391
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