Paul Claudel est unique en son genre, qu'il épuise, et il forme, avec son œuvre, un site
étrange et fascinant, quelque chose comme une île de Pâques dans l'océan des lettres, ou
une cathédrale engloutie, ou encore, au fond d'une forêt exotique, une pagode secouant
ses lambeaux de ciel accrochés aux cornes de son toit.
Les mots, qui précèdent sont d'André Frossard. Ils introduisent le chapitre consacré à Paul Claudel dans Les plus beaux manuscrits de poètes français, ouvrage paru en 1991, chez Robert Laffont, dans la collection La mémoire de l'encre.
Comparer l'œuvre du poète à l'île de Pâques semble fort audacieux vu l'isolement géographique de cette île.
Paul Claudel est l'un des convertis de la cathédrale de Notre Dame de Paris, cette conversion eut lieu le 25 décembre 1886. Il la décrit ainsi :
"J'étais moi-même debout dans la foule près du second pilier, à l'entrée du chœur, à droite, du coté de la sacristie. Et c'est alors que se produisit l'évènement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. "
C'est l'occasion d'un second clin d'œil à la noble vieille dame, qui vient de faire la une des médias.
Souhaitons que ce lieu saint emblématique de Paris ne cesse de flotter sur l'eau qui le ceint, et continue de nous interpeller et de nous séduire à la fois, par son élévation et son histoire.
L'esprit et l'eau
(…)
Mon Dieu, ayez pitié de ces eaux désirantes !
Mon Dieu, vous voyez que je ne suis pas seulement esprit,
mais eau ! ayez pitié de ces eaux en moi qui meurent de soif !
Et l'esprit est désirant, mais l'eau est la chose désirée,
O mon Dieu, vous m'avez donné cette minute de lumière à voir,
Comme l'homme jeune pensant dans son jardin au mois d'août
qui voit par intervalles tout le ciel et la terre d'un seul coup,
Le monde d'un seul coup tout rempli par un grand coup de foudre doré !
O fortes étoiles sublimes et quel fruit entr'aperçu dans le noir abîme !
O flexion sacrée du long rameau de la Petite-0urse !
Je ne mourrai pas.
Je ne mourrai pas, mais je suis immortel !
Et tout meurt, mais je croîs comme une lumière plus pure !
Et, comme ils font mort de la mort, de son extermination je fais mon immortalité.
Que je cesse entièrement d'être obscur ! Utilisez-moi !
Exprimez-moi dans votre main paternelle !
Sortez enfin
Tout le soleil qu'il y a en moi et capacité de votre lumière, que je vous voie
Non plus avec les yeux seulement, mais avec tout mon corps et ma substance
et la somme de ma quantité resplendissante et sonore !
L'eau divisible qui fait la mesure de l'homme
Ne perd pas sa nature qui est d'être liquide
Et parfaitement pure par quoi toutes choses se reflètent en elle.
Comme ces eaux qui portèrent Dieu au commencement
Ainsi ces eaux hypostatiques en nous
Ne cessent de le désirer, il n'est désir que de lui seul !
Mais ce qu'il y a en moi de désirable n'est pas mûr.
Que la nuit soit donc en attendant mon partage où lentement se compose de mon âme
La goutte prête à tomber dans sa plus grande douleur.
Laissez-moi vous faire une libation dans les ténèbres,
Comme la source montagnarde qui donne à boire à l'Océan avec sa petite coquille !
(…)
extrait de Cinq grandes odes, Deuxième ode, Gallimard éditeur, paru dans Poésie française,
Bordas, p.328, en 1982.
Ailleurs, lors d'une ivresse poétique où sa muse devient la Grâce, le poète s'écrit : "mon art est de faire une ombre misérable avec des lettres et des mots". Que le ciel veille à maintenir debout et pour longtemps la cathédrale préférée d'un poète !
Bibliographie:
- Les plus beaux manuscrits des poètes français, chez Robert Laffont 1991
- Poésie française, Anthologie critique, Bordas, 1991
- Anthologie de la poésie française du XXème siècle, Poésie/ Gallimard, 2000.
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