Les semaines précédentes nous ont valu une expérience d'isolement total, que nous ne sommes pas prêts d'oublier.
C'était une saison que la douleur
accompagnait comme une brume,
dans les maisons, dehors,
dans l'eau que la soif n'appelait plus.
Nous retirions nos regards du ciel
sans les avoir emplis de bleu,
puis nous reposions nos mains sur les habitudes.
Les chats gris changeaient de sommeil
sans ouvrir les yeux.
Nous ne disions rien, de peur de trouver
pire que la monotonie du silence,
de peur de trouver
le couteau caché dans les mots.
in La vie atteinte, Rougerie, 2014, p.13
Tout du long de ces semaines, j'ai voulu que la poésie nous accompagne et nous soutienne. Je sais sa force et je lui fais toute confiance. Qu'elle nous permette de nous tourner vers l'avenir.
J'aime tout particulièrement le "presque" qui accompagne "la vie chantée", qui suit :
La vie presque chantée
Dans la maison des yeux fermés, on croit
à la lumière mais nul ne la voit.
Alors, aveugle, on ne sait si tel geste
qu'on fait pour saisir, saisit ou renverse.
Qu'importe après tout. Il reste le doute
qui ne laisse plus s'en aller les routes
toujours quelque part. C'est à lui qu'on doit
de n'être jamais celui que l'on croit,
mais celui qu'on cherche et parfois qu'on aime
quand on le rejoint au bout de poème.
Jean-François Mathé in La vie atteinte, Rougerie, 2014 p.39
Rechercher celui ou celle que nous sommes, au cœur de toute écriture, est une quête laborieuse, qui exige honnêteté et persévérance, mais elle nous vaut parfois un sursaut bienvenu de légèreté.
Nous deux dans notre amour, nous ne sommes
jamais très loin hors du monde, mais toujours assez
pour sentir battre derrière nous quelque chose comme
une porte. Un souffle la fermerait, et nous aurions vers
les trains, les navires, ces gestes de voyageurs sans bagages,
sans billet d'embarquement; ces pas légers de la danse ou du vacillement
qui ne s'appuient sur le sol que pour s'en délivrer. Nous deux sauvés, hissés
ensemble à bord du temps qui reste à vivre.
in Poèmes choisis, 1987-2007, Rougerie, p38
Toucher la rive d'un prétendu "déconfinement" nous laisse dubitatifs quant à l'avenir et là, où le vent n'a pas trouvé d'arbre, c'est bien nous qui tremblons d'une émotion de feuillage.
Toujours, j'ai cherché ce que le blanc des pages
disait de plus que les mots,
comment il les agrandissait
hors de l'encre qui les enfermait.
Et parfois, comme le silence de la neige
devient murmure, m'atteignaient les voix
de ceux qui étaient allés au plus loin
dans le secret du monde et
révélaient à voix blanche
ce qu'aucun mot ne saurait dire.
ibid p.41
La tendresse redevient soudain le chemin praticable, quand la confiance tarde à se rétablir. Faisons dès lors le décompte de tous ceux qu'il nous reste à aimer et disons leur combien leur présence a compté dans notre vie antérieure.
J'ai aimé l'oiseau
comme s'il avait été ton cœur
échappé de toi
pour faire palpiter l'azur.
J'ai longtemps regardé ses ailes
qui toujours s'ouvraient de plus en plus haut
sans déchirer notre amour
mais au contraire l'offraient visible
et plein en plein ciel.
Pourtant toi tu descendais la rue
et tu fermais ton manteau sur l'hiver
avant que l'oiseau revienne.
ibid p.35
Enfin, osons parler de cette paix relative à soi-même, discrètement fêtée chaque jour que dieu fait,
à petits coups de vin ordinaire.
Et pourquoi ne fêterions nous pas ensemble cet adoucissement même s'il n'est que provisoire ?
Je crois très fort en ces lectures, qui nous tombent à point nommé pour nous aider à reprendre souffle, avant même qu'un oiseau ne vienne soulever doucement le paysage du soir sans en renverser la lumière.
Bibliographie:
- La vie atteinte, Jean-François Mathé, paru chez Rougerie, 2014
- Chemin qui me suit, précédé de Poèmes choisis,1987-2007, paru chez Rougerie, 2011
- un entretien avec l'auteur mené par Pierre Kobel https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2018/05/entretien-avec-jean-fran%C3%A7ois-math%C3%A9.html
- http://www.m-e-l.fr/,ec,986
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire