IV
Le temps l'horloge
L'autre jour j'écoutais le temps
qui passait dans l'horloge.
Chaînes, battants et rouages
il faisait plus de bruit que cent
au clocher du village
et mon âme en était contente.
J'aime mieux le temps s'il se montre
que s'il passe en nous sans bruit
comme un voleur dans la nuit.
in L'accent grave et l'accent aigu, Plaisantineries, Le temps l'horloge p.84
Le carillon de deux horloges rythmait les heures de mon enfance. Mon père en remontait religieusement le mécanisme. Je le regardais faire tout en pensant que je ne voudrais surtout pas d'horloges dans ma propre maison!
J'ai pourtant deux pendules, qui marquent l'heure d'un chant d'oiseau, bien qu'il me suffise de regarder le ciel pour savoir, plus ou moins l'heure… un "plus ou moins", qui sied à ma nature créole!
II
Que et Que
(Testament léger)
Je sais que j'attends que l'heure
s'ajoute à l'heure et m'enlève
je ne résisterai pas.
Sur les prés et sur les dunes
les poulains les goélands
auront leur part de vitesse
de lumière de repos.
Enfin je ressemblerai
à ce qui m'anima, dès
l'origine de ma vie :
moitié soleil moitié ombre,
victorieux et défait.
ibid Plaisantineries, Que et que p.82
Du poète, nous gardons, Jacques Décréau et moi-même, un très chaleureux souvenir: lors d'une des soirées poétiques données dans la toute première "maison de la Poésie", sise sur les terrasses d'un bâtiment élevé sur "le trou des Halles", nous étions arrivés à l'avance, assis au premier rang, nous attendions que débute la lecture, quand un grand et bel homme s'approche et se penchant vers nous, main tendue, articule : "Jean Tardieu", en serrant la nôtre avant de s'assoir à nos côtés.
Le petit optimiste
Dès le matin j'ai regardé
j'ai regardé par la fenêtre :
j'ai vu passer des enfants.
Une heure après, c'étaient des gens.
Une heure après, des vieillards tremblants.
Comme ils vieillissent vite, pensai-je !
Et moi qui rajeunis à chaque instant !
in Le fleuve caché, Monsieur monsieur ( 1948-1950) p.127
Jean Tardieu avait aussi ce côté "bon vivant" qui faisait le charme de sa personne et de son écriture.
Conseils donnés par une sorcière
(à voix basse, avec un air épouvanté, à l'oreille du lecteur)
Retenez-vous de rire
dans le petit matin !
N'écoutez pas les arbres
qui gardent les chemins !
Ne dites votre nom
à la terre endormie
qu'après minuit sonné !
À la neige, à la pluie
ne tendez pas la main !
N'ouvrez votre fenêtre
qu'aux petites planètes
que vous connaissez bien !
Confidence pour confidence :
vous qui venez me consulter,
méfiance, méfiance !
On ne sait pas ce qui peut arriver.
ibid p.132
S'il vous arrivait d'avoir le spleen à l'entrée de l'hiver, faites une cure revigorante d'humour, grâce à la poésie de cet auteur. Un grand merci à l'amie de longue date, qui m'a réclamé du Jean Tardieu !
Les logements
Ce qu'on entend à travers les plafonds,
ce qui vient des étages profonds
n'élève pas, ne baisse pas le ton :
gravement, les paroles bourdonnent,
le feutre tombe sur la bouche qui chantait
sur l'eau qui dans les cuisines coulait
sur tout ce qui se délivre et résonne.
Terrons-nous dans ces antres de laine
enveloppons notre rire et nos cris :
il ne faut pas que le jour nous entraîne
vers les lieux où le monde bondit !
ibid Accents (1932-1938), Le citadin, Les logements, p.21
IV
Sonate
Plus rien entre le ciel et moi sinon le temps!
Je ne suis nulle part ailleurs que dans les ailes
invisibles de l'air qui battent faiblement
sous l'espace noyé par sa pluie éternelle.
Quel secret demander à ce désert savant ?
Quel secours sinon lui, quelle heure sinon celle
qui s'arrête!... La feuille est veuve de tout vent;
il suffit d'écouter et d'attendre comme elle.
Nul pas ne reviendra sur ce champ spacieux;
tout est déjà mémoire au front calme des dieux
et pour être plus près de leur lointain silence,
ouvre en toi-même un flot égal à ce qui fuit,
sans regret, sans espoir et sans autre présence
que ce cœur encore lourd d'immémoriale nuit.
ibid Le Fleuve caché, Poésies 1938-1961, Dialogues à voix basse, Nuit (1942-1943), p.70
III
Petite flamme
Petite flamme t'éteindras-tu ?
– Oui s'il pleut s'il vente
Et s'il fait beau ?
– Le soleil suffit, rien ne brille
Et s'il fait nuit ?
– S'il fait nuit, dort tout le monde
On n'y voit goutte.
Donc à la fin, de toute manière
la petite flamme s'éteint.
in Plaisantineries (Quatre airs légers pour flûte à bec), Petite Flamme p.83
Jean Tardieu décédera le 27 janvier 1995, à Créteil, nous laissant sa verve et son humour.
Ses œuvres ont été traduites en de nombreuses langues étrangères.
Ne manquez pas de lire ou relire un bel article écrit à son propos par Jacques Décréau pour le blog La Pierre et le sel.
Bibliographie:
- Le fleuve caché, Poésies 1938-1961, Gallimard, 2002
- L'accent grave et l'accent aigu, Poèmes 1976-1983, Gallimard, 2002
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