À l'approche des fêtes de noël, dans l'enclos des heures, je vous propose ces trois textes d'auteurs, à lire comme une invite à la méditation :
Je pensais à tout ce que l'on ne pouvait saisir – les reflets de la lumière sur l'eau faisant
comme des cristaux, la course des nuages, la naissance de l'aube. Je pensais à tout ce qui
a de la valeur à défaut d'avoir des mots. Le langage ne pouvait tout couvrir et j'y voyais la
raison de sa beauté. Je pensais au silence comme à une défaite. Il fallait baisser nos armes
et embrasser la terre qui nous portait. Je pensais que le monde m'avait encore ouvert une
petite porte sur la liberté. Je n'avais pas de la chance, j'avais ma chance. Je comparais
l'existence à une lave chaude et dorée, coulant sous nos peaux, nous rendant sacrés. Je
n'avais plus peur de perdre mon amour. Il me semblait posséder déjà un passé qui formait
un rempart face au danger. Nous n'étions pas uniquement en vie, nous étions à l'intérieur de
la vie, dans ce qu'elle avait de plus beau et de plus incertain, de plus fragile et de plus puissant.
in Appelez-moi par mon prénom, roman de Nina Bouraoui, Stock, 2008, p.112
La joie pure
Lorsque ma vie au continent futur
Abordera – ma longue et douce vie,
J'aurai des rats dans ma cale, des rêves
Devenus vie au fond du bâtiment.
Simple est le vent sur la mer, et simple
Est mon regard offert à l'avenir
Car j'ai la foi de ces êtres qui doutent
Et poésie est ma verte espérance.
Des mots sacrés survolent mon silence
Toute ma vie est un cri retenu.
Pourquoi mourir ? – le temps de la mort même
Est la racine où je porte les dents.
Or moi, de terre et tout de nuit vêtu,
Je peux survivre aux îles, aux naufrages.
Je tends au ciel mes bras comme des rames
Mon bateau glisse et les terres s'entrouvrent
Comme des cœurs où je plonge mon feu.
Les goélands se poseront sur moi,
un continent naîtra de ma parole.
Simple est mon nom – je suis une caverne,
une main d'homme où l'homme peut dormir.
in Les poissons délectables, Robert Sabatier par Alain Bosquet,
Poètes d'Aujourd'hui, Seghers, 1978, p.p.94/95
Et en effet, quand j'étendis la main dans le paysage comme celui qui veut savoir s'il pleut,
je connus en même temps la fraîcheur de l'air et la résistance des murs lointains, que j'avais
crus plus légers que des pétales d'œillet ; je froissai, avec leur parfum véritable, des feuillages
que mon regard avait fondus aux brouillards de l'aube et je posai des pas assurés sur une
prairie qui ne m'avait paru d'abord avoir d'autre existence que celle d'une plage vert tendre
mangée par l'ombre mauve d'une colline.
Je frappai à une porte qui ne donnait accès à nul fiévreux couloir, mais à l'enclos des heures
les meilleures et les plus choisies, à un plateau de plein air habité seulement de quelques
enfants assis sur des murs bas couleur de pain.
in Le miroir ébloui, poèmes traduits des Arts, Jean Tardieu, Gallimard, 1993, p.47
Bibliographie:
- Nina Bouraoui, Appelez-moi par mon prénom, Roman Stock, 2008
- Robert Sabatier, par Alain Bosquet, Les poissons délectables, Poètes d'aujourd'hui, Seghers 1978
- Jean Tardieu, Le miroir ébloui, Gallimard, 1993
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