Ne fuis pas, l'ombre est parfaite,
le corps du soleil redessine la vie,
ne fuis pas, les nuages se délient,
le ciel se permet un écart, il entre
dans ta joie et tu le remercies.
Les arbres récitent des couleurs
infinies, et toi, comme un enfant,
tu les serres contre toi et tes songes.
Non, la vie n'a pas fui, une ancienne
maison éclaircit les temps morts,
les accueille et leur dit que les nuits
n'auront raison de rien, puisque tu sais
qu'en toi les saisons s'enracinent.
La vie, la vie, tu répètes son nom,
comme par habitude, tu soignes
chaque jour tes plantes et tes fleurs,
et si tu te demandes s'il est bon
de leur offrir ainsi tes regards
et tes gestes, sache que rien
n'est plus beau, plus ardent
que l'oubli de toi-même
en chaque aspect du monde.
in Les frôlements infinis du monde, Gallimard, 2018, p.p.30/31
Autant de mots, qui nous sont infiniment précieux, en ce début de novembre, mois de réflexion et d'adieu à toute exubérance. Ne fuis pas l'ombre est parfaite, insiste le poète, car la poésie va bien au-delà des saisons :
J'aime les mots qui portent
en eux le visage des hommes,
la chaleur de leur sang, la longue
plainte de leurs espoirs vaincus,
leurs enthousiasmes, aussi,
quand le crépuscule parfumé
se souvient des aubes rassurantes.
Les mots, ils sont ma main,
mes doigts, leurs empreintes,
ils gouvernent l'espace,
ils prolongent le temps,
ils veillent sur moi,
sur les contrées inexplorées
de mes poèmes à venir.
Je me régale d'un beau matin,
comme d'une phrase étonnée
qui s'éclaircit sur ma page.
Sans cesse, je me demande
qui dort en elle, qui est
ce personnage qui me possède,
me protège, me rassure,
parce qu'il est la chair des mots
qui sont, en même temps,
le visage des hommes,
leurs souvenirs vécus,
leurs souvenirs rêvés
et l'endroit maternel où éclosent
les profondes légendes
où la vie se libère.
ibid p.p.74/75
Le poète engage sa ferveur au nom de chacun de ceux qui le liront ainsi nous voici engagés à notre tour! Que ne ferions-nous pas au nom de la vie et de la liberté ?
Souvent, le soir me bouscule,
je ne parviens pas à comprendre
ses plaies, ce que le jour,
en lui, a laissé de tragique.
Même le chant d'un merle
aperçu entre les branches
d'un tilleul qui voudrait m'aider
à comprendre ma vie, même
ce chant ne change rien
à la torpeur du temps
qui dort sur mes épaules,
je suis obscur, je m'en excuse,
au nom de qui ? de quel enfant
qui portait déjà, à bout de bras,
ma vieillissante vie ?
Quelque chose est à l'œuvre
en ma charnelle enveloppe,
quelque chose d'imperceptible
qui passe entre vie et mort,
comme le crépuscule,
amoureux des jardins,
s'enfonce dans la nuit
sans qu'il s'en aperçoive.
Le merle entrevu affronte
cet espace qui bat comme un cœur,
entre ce que je fus
et ce que j'attends d'être,
et le tilleul, en chaque feuille
remuée, m'apprend que je suis là,
en son seul mouvement.
ibid p.p. 80/81
Marcher vers l'inconnu est un sublime éveil. À toi de déterrer la nuit, suggère Richard Rognet .
En répondant à son invite, nous risquons de marcher plus loin que nos pas mais quoi de plus excitant ?
Ne manquez pas de lire ou relire également le précédent article, écrit à propos de l'œuvre du poète, dont vous trouvez le lien, plus bas.
Bibliographie:
- Les frôlements infinis du monde, Richard Rognet, éditions Gallimard, 2018.
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