Port des Barques
vendredi 4 octobre 2019
Un jour un auteur: Les balcons du vingtième siècle selon Erri de Luca
Les balcons du vingtième siècle, Erri de Luca les évoque dans un livre intitulé Aller simple, paru chez Gallimard, en 2015.
Ces balcons jouaient un rôle capital dans la vie des jeunes filles. Ils étaient le présentoir d'où l'on voyait et était vue, tout particulièrement aux Antilles. Le prétendant pouvait ainsi discrètement contempler la future avant de se décider, tandis que la jeune fille faisait son choix, de son perchoir.
Les balcons du vingtième siècle
Avant les téléphones les balcons,
on sortait et on faisait savoir.
Ils étaient la soupape de la maison, les filles ne sortaient pas se promener
sauf pour l'office, le dimanche.
Mais elles étaient bien en vue sur leur balcon,
un jeune homme passait, une fleur plantée dans la boutonnière,
un regard au vol, une entente flashée,
télégramme expédié par les cils.
Au balcon au milieu des plantes la jeune fille dévidait la laine,
brodait sur un métier, feignait de se piquer avec son aiguille
pour libérer ses yeux baissés.
Ma grand-mère se fiança au balcon.
Et ma mère, en été, après la guerre,
sort avec d'autres amis sur le balcon pour l'air frais
et un homme, vingt-huit ans, assis tout près, lui demande de l'épouser.
Je viens de leur rencontre là dehors, à Mergellina,
avec le ciel jongleur du couchant.
Mais à un autre balcon s'était montré aussi le fier-à-bras
pour déclarer la guerre, en se penchant rapace et perroquet
sur la foule ivre d'elle-même.
Il aurait mieux valu qu'il se montre à la fenêtre
et mieux encore s'il l'avait laissée fermée, ainsi ne se serait pas gâtée
l'histoire des balcons et de l'Italie du vingtième siècle.
in Aller simple, L'hôte impénitent, poèmes d'Erri de Luca, traduits par Danièle Valin, Gallimard,
page 165, 2015
Les balcons étaient lieux d'évasion et de rêverie pour les jeunes filles, qui, comme moi, étaient bouclées à la maison.
Fermant les yeux un instant je me revois sur ce large balcon, qui ceinturait le premier étage de ma maison natale. Assise dans une berceuse antillaise, un livre de classe ouvert sur les genoux, je guettais en secret, jusqu'à la tombée du jour, le passage d'une voiture, qui ne tournait que pour moi autour de la grand Place !
Du jeune et fervent conducteur, je n'apercevais qu'un coude à la portière, mais je tremblais de plaisir à ce jeu délicieux.
Maison
Derrière le tournant je la retrouve,
elle est encore là, la maison, ni écroulée, ni brûlée.
Elle est plus vieille que moi,
je l'ai rénovée quand j'étais moi aussi en temps de rénovation.
S'écroulerait-elle je ne me mordrais pas les mains
et je ne pesterais pas de rester sans toit.
J'ai encore le temps de voyager,
le bagage léger frapper aux portes
sans posséder de clés.
Je dois ça aux histoires, de me suffire,
moi aussi de leur suffire.
Avec crayon et cahier je peux écrire même quand gèle
l'encre dans mon stylo.
C'est la part qui me fut assignée,
héritage qu'on ne peut recevoir et laisser.
Je suis fait de ça, de pages feuilletées
et puis reposées.
ibid Casa /Maison, Quartier du dernier temps. p.135, 2015
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