Quand tu écris, comment savoir vraiment
si tu rejoins ou tu sépares ?
Tu t'éloignes d'autant que tu t'approches.
Mots qui absentez tous les corps, dites-nous
où commence le monde, notre venue ?
in Ce lieu que les pierres regardent, Pas japonais, Éditions Lettres Vives, 2009, p.121
Jean-Louis Giovannoni s'interroge sur cette voix intérieure, qui pousse le poète à écrire :
"Mais a-t-on vu une source remonter à sa source ?" Les mots n'existeraient que pour "donner aux choses un semblant de visage, pour s'inventer un vis-à-vis"?
Qu'importe! La poésie est unique, ainsi tenir entre ses mains le recueil d'un auteur encore inconnu est déjà une grande joie, qui pousse à s'en nourrir et s'en faire au mieux le passeur !
Un mot est toujours ouvert.
Même s'il ne peut rien garder, ni contenir :
il reste ouvert.
C'est ainsi que les oiseaux perpétuent
l'espace à chaque instant de leur vol.
Un mot contient tout ce qu'une écriture
ne peut épuiser.
ibid p.128
Les mots tombent en nous tels une semence dont nous serions les heureux bénéficiaires . Ils sont là pour faire signe, simplement pour se maintenir au monde, ne demeurer que dans le mouvement, tels des pierres plates, parmi des flots d'herbe, pour accueillir et laisser le pas...
Peut-être que la voix de l'autre
nous appelle essentiellement à l'intérieur
de nous-mêmes ?
ibid p.120
Mais il ne s'agit pas de faire résider dans ses mots, mais de toujours créer un passage, ajoute l'auteur.
Tu touches dans les mots ce qui n'a pas de rive.
Tu te tiens dans l'air
qui ne te tient pas.
Même les limites ont leur part d'incommensurable.
Même notre voix restitue au silence sa dimension.
ibid p.p.126/127
Certains jours, l'urgence consiste à trouver des mots pour donner aux choses un semblant de visage, pour s'inventer un vis-à-vis.. La poésie est là pour pourvoir à l'essentiel en nous tenant en éveil :
I
Imaginez
tout ce monde
enfermé dans son corps
rêvant de proliférer
d'envahir
de pousser ailleurs
de se multiplier
dans le corps des autres
d'être au présent
de toute chose.
ibid, L'invention de l'espace, 1992, p.153
Imaginez
l'espace
ne sachant plus tenir
sa distance
ne sachant plus contenir.
Où commencerait le monde
le corps du monde
si l'espace laissait les choses
se franchir
ne plus se tenir pour dites ?
ibid p.155
II
On écrit
pour vider les choses d'elles-mêmes.
On écrit
pour que les choses
n'aient plus lieu d'être.
Ne collent plus
à l'exigence
au nécessaire.
ibid p.157
Si nous manquons parfois de mots pour subsister, le poète est là pour nous en offrir :
Des mots
pour faire venir
de la distance
des mots
pour inventer l'espace.
ibid p.167
Écrire, pour que le monde lâche prise, est une tâche, qui exige sagesse, patience et ouverture à l'autre, autant de qualités que semble cultiver Jean-Louis Giovannoni.
Tout à mesure de distance.
Une forme ne peut naître
que par la fermeture d'une autre.
Tu sais au moins que le regard de l'autre
t'arrête, t'empêche de tomber hors de toi.
ibid Pas japonais, 1991, p.97
Bibliographie:
- Jean-Louis Giovannoni, Ce lieu que les pierres regardent, suivi de Variations, Pas japonais,
sur internet:
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